“Accorde tes verbes et respire !” Battle Littéraire à La Friche

Reportage
le 25 Mai 2017
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Entre concours d'éloquence et clash hip-hop, une Battle Littéraire s'est tenue mercredi à la Friche la Belle de Mai. Ces joutes verbales entre jeunes marseillais remettent la littérature au goût du jour. C'est l'ambition de la première édition du festival Oh les beaux jours ! 

La Battle Littéraire sur la piste de danse de la Friche la Belle de Mai (photo : Loïs Elziere)
La Battle Littéraire sur la piste de danse de la Friche la Belle de Mai (photo : Loïs Elziere)

La Battle Littéraire sur la piste de danse de la Friche la Belle de Mai (photo : Loïs Elziere)

“On est les meilleures, c’est évident ! Si on perd c’est la faute au soleil…” Il fait très chaud ce mercredi après-midi à la Friche la Belle de Mai. Amel, en seconde au lycée Montgrand, nargue ses futurs adversaires. “Je m’échauffe et je déstabilise mes concurrents en même temps.” Dans 5 minutes commencera une battle littéraire. Un concours d’éloquence revisité façon hip-hop dans le cadre du festival Oh les beaux jours ! Le principe est de s’affronter par équipe autour d’un thème devant un jury, et de gagner la bataille des arguments et du style qui les porte.

Un prétexte pour aborder la littérature selon Mathieu, alias Dizzylez, rappeur et sociologue du hip-hop. Il a mené des ateliers en amont avec plusieurs groupes de jeunes. “Le rap était un super canal pour les amener vers la littérature. Ils en sont presque tous friands. On leur a fait lire des bouquins qui parlent de l’histoire du mouvement, ce qu’ils connaissent moins. Le but c’était aussi qu’ils arrivent à avoir un débat d’idées en public.”

Un débat au ton et au vocabulaire très libres, mais exigeant sur la langue. “Tu feras attention à bien accorder tes verbes hein ? Et respire !”, lance une prof de français à son élève de seconde. À l’approche de la première manche, son discours ressemble plus à celui d’un coach sportif. Mais c’est bien de littérature dont il est question selon elle. “On est en plein dedans. Déjà parce qu’ils utilisent la langue comme outil pour s’exprimer et convaincre. Le style hip-hop est très intéressant. Une punchline [phrase choc et incisive dans un texte de rap, ndlr] c’est de la rhétorique contemporaine. Il y a un ton, un vocabulaire, de la poésie, des rimes. Et tout le travail en amont s’est fait sur un corpus de textes très riches.”

Les apprentis débatteurs ont planché sur deux œuvres. Le roman Brûle de Laurent Rigoulet, qui retrace la naissance du hip-hop dans la violence du Bronx des années 70, et Hip-Hop Family Tree de Ed Piskor, qui traite le même sujet en bande dessinée. “Ça m’a passionné”, raconte Mathis, 15 ans, “j’écoute des rappeurs d’aujourd’hui et ça n’a rien à voir avec le délire de l’époque. J’ai lu le roman Brûle, c’est fou de voir comment tout ça est né.”

Que la battle commence

Dizzylez lance les hostilités entre des concurrents venus du centre social de Frais Vallon et d’autres de de l’atelier de la Friche la Belle de Mai. Après quelques pas de danse échangés, le débat commence : plutôt danse debout ou danse au sol ? “Nous on représente un territoire et on en est fiers, fiers de notre rue et de son bitume, nos racines sont dessous, donc c’est au sol que l’on danse !” Vague de cris dans les gradins, Frais Vallon marque un point. La réponse de Killian pour la Friche sera simple mais efficace. “Nous on danse debout pour montrer notre fierté, si vous dansez par terre, c’est parce que vous êtes des crasseux !”

Le public ne tient plus, les rires se mêlent aux cris, il a choisi son gagnant. Mais le jury, plus sensible à la poésie, désigne Frais Vallon vainqueur. Après quelques rounds, les sujets sont plus ardus et les argumentaires plus poussés. Parmi les jurés, DJ Djel, figure de la scène rap marseillaise et membre de la Fonky Family, est impressionné. “Ils ont de bons arguments et balancent de bonnes punchlines. Mais ce qui m’impressionne le plus, c’est leur capacité à alimenter leurs propos sans s’arrêter, ils pourraient continuer longtemps si on ne les arrêtait pas.”

Amel, l’élève de Montgrand (6e), n’avait pas surestimé ses talents avant la compétition. On la retrouve en finale face à des garçons de son lycée. Le thème : rap old school ou contemporain ? Les filles défendent les anciens. “L’image de la femme était bien plus respectée avant. Aujourd’hui c’est l’argent facile, les femmes soumises et tout ça écrit avec un vocabulaire très pauvre.” En face, Wandi a bien travaillé son histoire.

Wandi se défend face aux filles (photo : Loïs Elziere)

“Tu oublies le N.W.A. qui revendiquaient leurs vies de gangsters entourés de prostituées, les clashs hypers violents entre Tupac et Biggie qui ont fini par la mort des deux… Et tu ne connais pas les rappeurs d’aujourd’hui comme Kerry James ? C’est du vrai rap conscient.”

DJ Djel a les yeux écarquillés. Dizzylez sourit, ses ateliers semblent avoir porté leurs fruits. “Entre la littérature et le hip-hop, on a trouvé une bonne porte d’entrée. C’est très utile pour eux d’apprendre à manier des arguments. Étudier un sujet et utiliser ensuite un savoir pour se faire entendre. Ils ont compris l’intérêt de la littérature. Ce qui est intéressant, c’est qu’on tire au sort le point de vue à défendre. On voit bien qu’ils sont capables de mobiliser plusieurs arguments selon la situation.” Amel ne se sera finalement pas tant vantée, puisque c’est elle et ses co-équipières qui gagneront la battle Littéraire.


Oh les beaux jours ! Remettre la littéraire au centre de Marseille

Le festival ambitionne avec cette première édition de fêter l’été en plaçant la littérature au cœur de la deuxième ville de France. Une littérature vivante et ouverte sur le monde, à découvrir autrement, lors de rencontres inattendues. La hip-hop, le jazz, le football, la ville, le monde, mis au contact d’auteurs aux profils variés. Parmi les 60 rencontres dans divers lieux culturels de la ville, la rédaction vous propose subjectivement deux temps forts.

Jeudi soir, McKay à l’honneur  

L’écrivain jamaïco-américain Claude McKay avait fait l’objet d’une chronique sur Marsactu.
Son roman Banjo se situe dans Marseille des années vingt, où il a vécu. Un quotidien de marins et dockers sur fond de musique jazz, traînant leur esprit de liberté, entre les docks de la Joliette, le vieux port, et la Fosse (quartier détruit en 1943). Le festival lui consacre la soirée du jeudi 25 à la Criée.

D’abord par le débat Qui est Claude McKay ? Trois journalistes tenteront de dresser le portrait de l’écrivain vagabond et insaisissable. Puis en musique et en images avec le projet Looking for Banjo. Un concert dessiné en collaboration entre des dessinateurs de B.D. et le jazzman Raphael Imbert. Enfin, Tatou et Blu (Moussu T e lei Jovents) proposeront, En ballade avec McKay, voyage musical dans le Marseille cosmopolite des années 30, quand les chansons provençales côtoyaient les opérettes marseillaises.

Les beaux jours de Joseph Bayden

L’écrivain canadien s’est imposé dans la littérature contemporaine par une réécriture de l’histoire des amérindiens. Entre fiction et réel, il a raconté en une trilogie l’histoire des peuples premiers en Amérique (Le Chemin des âmes 2006, Les Saisons de la solitude, 2009, Dans le grand cercle du monde, 2014). En résidence d’écriture à La Marelle, il évoquera ses premiers beaux jours à Marseille lors d’un grand entretien “entre lectures et projections, jazz et chamanisme”. Sur la scène de l’Alcazar samedi 27 à 17 heures.

Tout le programme du festival Oh les beaux jours ! est à retrouver ici.

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