Avec Marcel Roncayolo, “la balade est une lecture du paysage”

Interview
le 7 Sep 2016
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Avec Marcel Roncayolo, “la balade est une lecture du paysage”
Avec Marcel Roncayolo, “la balade est une lecture du paysage”

Avec Marcel Roncayolo, “la balade est une lecture du paysage”

L’histoire est celle d’un cheminement commun, au sens propre, qui a donné naissance à un livre, Le géographe dans sa ville, dont Marsactu a publié cet été des aperçus sous forme de trois balades. Le livre est signé Marcel Roncayolo et Sophie Bertran de Balanda. Le premier est un géographe unanimement célébré pour son travail sur la ville et particulièrement sur le laboratoire de recherche à ciel ouvert constituée par celle qui l’a vu naître, Marseille. La seconde, architecte et urbaniste à Martigues, l’accompagne dans un dialogue fécond depuis plusieurs décennies.

Films, débats, expositions, Marseille lui rend hommage à partir du 10 septembre au musée d’histoire de la ville en prenant appui et prétexte de la parution de l’ouvrage aux éditions Parenthèses. En raison de son grand âge et de petites fatigues légitimes qui l’accompagnent, Marcel Roncayolo ne pourra pas être présent à la table-ronde organisée ce samedi au musée d’histoire. En revanche, Sophie Bertran de Balanda qui cosigne le livre y sera pour évoquer la lente fabrication de cet ouvrage. Le dessin et la balade y tiennent un place centrale.

Marsactu : comment avez-vous rencontré Marcel Roncayolo ?

Sophie Bertrand de Balanda : C’est lié à mon activité professionnelle. Je suis depuis longtemps l’architecte et urbaniste de la Ville de Martigues. En 1988, j’étais déjà en poste et j’avais souhaité mettre en place un cadre de réflexion sur la construction de la ville. Cadre qui est toujours opérant aujourd’hui. Cela a donné lieu non pas à un concours d’urbanisme mais à une forme d’appel à contributions auquel ont répondu des architectes comme Antoine Grumbach, Paul Chemetov et d’autres. En parallèle, j’avais soumis l’idée aux élus de Martigues que ceux-ci dialoguent avec des personnalités issues de champs de recherche et de création différents pour confronter leur regard sur la ville et ses évolutions. J’avais lu les articles de Marcel Roncayolo. Je suis montée à Paris pour le rencontrer et l’associer à cette démarche. De là est née l’idée d’un premier livre autour de Martigues, déjà pensé comme un dialogue entre Marcel Roncayolo d’une part et le peintre Jean-Charles Blais de l’autre. Comme nous avons l’habitude du “vite fait, bien fait”, ce livre a mis dix ans à se construire dans un échange dont j’étais un peu l’artisane, allant de l’un à l’autre et réunissant les contributions à ce qui allait être Martigues, regards sur un territoire méditerranéen, paru en 1999 aux éditions Parenthèses.

C’est de ce premier livre qu’est née l’idée du second ?

L’idée est née du dessin. J’ai toujours avec moi un carnet dans lequel je dessine en permanence. Il ne s’agit pas d’illustrer mais de traduire la pensée du moment. En voyant mes dessins de Marseille, Marcel Roncayolo m’a dit qu’il avait l’impression d’y voir la ville de son enfance, comme si le dessin laissait paraître ce qui persiste. Cela vient aussi du fait que je ne sais pas dessiner les voitures, elles en sont donc absentes comme au temps de son enfance (rires). Quoi qu’il en soit, l’idée d’un regard sur la ville de son enfance est née de là. Nous sommes partis avec ce projet de livre en 2002, pour ainsi dire la fleur au fusil avec les balades et le dessin comme madeleines de Proust.

À chaque fois que Marcel Roncayolo descendait à Marseille, nous programmions une rencontre, souvent dans un café ou à une terrasse. J’y dessinais en permanence tout en prenant en note nos conversations. Ces rencontres ont donc permis ce retour sur soi, afin qu’il puisse à la fois raconter sa propre histoire dans la ville et l’apport de la ville elle-même à sa pensée. Parfois, les choses se faisaient en différé. Nous nous donnions rendez-vous aux Danaïdes. Je dessinais ce que je voyais autour de nous mais notre conversation était toute autre et abordait par exemple le trajet de ses grands-mères. Mon carnet me servait aussi à noter les pensées de Marcel Roncayolo au moment même où celui-ci les exprimait. Je tapais ensuite le tout et lui envoyais pour ne pas qu’il oublie certaines choses. La première partie du livre [biographique et signée uniquement par Marcel Roncayolo, ndlr] est donc née de la seconde. Il y a trouvé la matière de ses récits d’enfance, mais aussi à cette réflexion subtile sur la place de sa ville natale dans la construction de sa pensée de géographe.

Entre 2002 et 2015, la ville s’est elle-même beaucoup transformée. Comment avez-vous appréhendé cette évolution permanente ?

Cela n’a pas été un problème même quand cela s’est accéléré dans la perspective de 2013. Notre idée n’était justement pas d’interroger ce changement mais de poser une réflexion globale sur la façon dont la ville évolue. Disons que ces changements nous ont accompagnés. Je me souviens en particulier de notre balade sur la Canebière au moment des travaux du tramway, devenue de ce fait un vrai parcours du combattant. Ils ont également suscité des moments forts quand nous avons pris ce même tram pour remonter jusqu’aux Caillols. Ou encore quand nous avons visité le nouveau boulevard du littoral entre le J4 et la Joliette avec l’architecte et historien René Borruey. Il était fascinant de découvrir ainsi comment le projet urbain du XXIe s’appuie sur le socle du XIXe.

C’est là où l’historien croise le géographe…

Et Marcel Roncayolo est autant l’un que l’autre. Cela montre plus largement comme on prend appui et référence sur les siècles qui ont précédé. Marcel Roncayolo dit souvent qu’il vit sur les trois siècles : le XIXe siècle que lui ont raconté ses grands-parents et les deux qu’il a lui-même traversés.

Les balades permettent aussi de faire émerger certains de ses concepts comme la ville-campagne, la ville de l’entre-deux…

Bien entendu. Mais c’est aussi à partir de ces concepts que nous avons travaillé. Par exemple, dans la balade que nous avons consacrée à la Canebière, nous avons établi un inventaire très précis, presque numéro par numéro, des éléments qui en faisaient un lieu de centralité par le passé – les brasseries, cinémas, les banques – et où ceux-ci étaient partis.

Une forme de réalité augmentée…

Oui. Nos balades offrent une réalité augmentée du poids de l’analyse, de son regard sur la ville et ses évolutions. Les balades sont une lecture du paysage. Mais sans jugement. En bon scientifique, Marcel Roncayolo est un homme qui doute en permanence. Il se refuse à porter un jugement sur les choses qui sont en cours. Il laisse souvent en suspens. Il pose alors les choses sous forme de question. Qu’est-ce qui va faire centralité dans le Marseille de demain ? Jusqu’où peut-on transformer un édifice patrimonial sans le nier ? Ou encore, comment une politique d’image peut-elle laisser de la place à l’imaginaire…


Pour accompagner la sortie du livre Le géographe dans sa ville, le musée d’histoire de Marseille et ses partenaires proposent un mois de rencontres, débats, films et balades autour de l’œuvre de Marcel Roncayolo. Le programme est ici.

Retrouvez les balades publiées en avant-première dans Marsactu :

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Commentaires

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  1. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Merci de nous avoir fait connaître ce livre. Je suis en train de le lire et il est passionnant. D’un très grande intelligence, c’est à dire qu’il relie les élément les uns aux autres en analysant tout à la fois leurs complémentarités et leurs contradictions.

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  2. JL41 JL41

    J’ai vainement cherché ce WE en page d’accueil de Marsactu, sur quelle vignette on pouvait cliquer pour avoir l’interview de Cesare Mattina, mais du Roncayolo, on en a depuis un certain temps ! Le travail de Mattina avait engendré des commentaires et du dialogue au sein des commentaires, ce qui est assez rare et de bon augure. Il fait partie à mon sens des pépites de Marsactu. Des pépites parfois parties d’une brève et que rien ne permet de retrouver…

    Après avoir lu « Le géographe dans sa ville », que l’on ne trouve plus à la librairie des Vestiges fermée, mais chez Maupetit sur la Canebière justement, devant laquelle Roncayolo ne serait pas passé au cours de ses pérégrinations (la Canebière n’est plus évoquée par lui que comme lieu de passage, ce qui n’est déjà pas rien, voyons la rue Saint Ferréol, mais la Canebière est aussi lieu de stationnement pour une autre population de Marseille, comme en attestent les aquarelles de Benoît Gilles. Une population invisible pour certains observateurs. Les choix de réhabilitation devraient pouvoir restaurer une certaine ouverture à d’autres couches de la population. Dans quel sens travaillent les équipes de Gaudin ?

    Ont contribué à l’édition de ce bel ouvrage sur Marseille, le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône et le service Culturel de la Ville de Marseille.

    On ne sait pas si cet ouvrage reprend en l’état des écrits antérieurs et ce qui a depuis pu y être corrigé, ou si c’est la pensée profonde exprimée par Roncayolo durant sa vie active ?

    A part quelques assertions, les grandes familles marseillaises qui ont également contribué à faire Marseille et à transformer Marseille au-delà de ses murs, ne font guère l’objet de commentaires. Pourtant Roncayolo qui s’étend longuement sur la biographie de sa lignée devait pouvoir y faire des rencontres. Il en est de même de façon plus discrète plus loin, pour Sophie Bertran de Balanda.

    C’est bien l’absence d’au-delà de ses murs qui pose le plus question dans « Le géographe dans sa ville » et les digressions davantage orientées architecture et urbanisme en fin d’ouvrage. Je pensais qu’on allait parler de cette périphérie qui fait Marseille aussi, ben nom, on en remet une couche sur les évolutions internes de la ville avec des descriptions souvent, on ne peut plus lacunaires, voir la Friche et la Rue de la République.

    Par deux fois au moins, à la suite d’observations physiques du déplacement du port au sens strict (quais et outillages). Roncayolo parle de divorce du port avec la ville. Une assertion reprise par un certain nombre d’analystes (trop vivants pour que je les cite) ou d’institutions que le foncier portuaire intéresse. Marseille est quand même le siège de beaucoup d’entreprises maritimes et portuaires de toute taille, quand à l’arrière des quais, toute une « industrie » de déconditionnement/reconditionnement des marchandises arrivées par le port, où le négoce longtemps négligé par les chercheurs jouait un rôle essentiel. Des centaines d’entreprises ne fonctionnant pas toujours de façon bien identifiable dans les fichiers d’entreprises de la CCIMP et de l’INSEE, souvent inconnues de l’URSSAF. Roncayolo parle des docks sans même dire ce à quoi ils servaient, au moins à la fin de leur vie : réception et déconditionnement des crevettes et autres crustacés avant leur réexpédition vers les marchés d’utilisateurs.

    Cet ouvrage est néanmoins plaisant à lire pour qui s’intéresse aux transformations internes de la ville, de petits morceaux de la ville, malgré d’interminables descriptions. On aimerait un travail de cette facture, d’un érudit comme Roncayolo, pour le Marseille d’aujourd’hui, dont on trouve quelques éclats remarquables dans les ouvrages de Philippe Pujol (La fabrique du monstre) et de Marie France Etchegoin (Marseille le roman vrai). J’y ajouterai le travail de Cesare Mattina : https://marsactu.fr/un-heritage-clienteliste-cesare-mattina-a-mon-sens-le-defferrisme-est-toujours-la/

    Critiquer une approche est également un hommage rendu à son auteur, même si ma sensibilité de la ville et de son évolution avec sa périphérie n’est pas la même.

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