Aux Réformés, le square Labadié sombre dans la spirale de la prostitution et du trafic
Depuis le début de l'été, le quartier du Chapitre, entre Saint-Charles et les Réformés, connaît une flambée de la violence et de l'insécurité. Autour de la place Labadié, une nouvelle population de travailleuses du sexe, jeunes et vulnérables est sous la coupe de souteneurs et dealers. Les riverains s'inquiètent d'une dérive accélérée.
Le ballet des clients est facilité par le caractère circulaire de la place. Photo : B.G.
Cela a d’abord pris la forme d’un dérèglement du quotidien. La misère soudain plus présente, les gens de la rue plus abimés, les algarades, nuit et jour, et la violence qui grimpe en flèche. Soudain, au tournant de l’été, la petite place singulière du square Labadié est devenue invivable aux yeux de ses habitants.
L’année avait pourtant bien commencé avec l’inauguration du square circulaire qui donne une grande partie de son cachet aux lieux. Pendant des années, il n’ouvrait que de façon exceptionnelle, tant les riverains craignaient qu’ils viennent concentrer les fléaux chroniques du quartier : la consommation de drogues dures et la prostitution de rue, depuis longtemps installées sur les flancs de la gare Saint-Charles.
Des prostituées plus jeunes et sous emprise
Mais, depuis le printemps, les acteurs ont changé, trimballant avec eux une traînée de violence. De très jeunes femmes occupent désormais les trottoirs aux côtés des travailleuses du sexe traditionnelles, celles que les habitants saluent gentiment, en voisin. Ce n’est pas le cas de ce groupe composite qui a pris position place Labadié et dans les rues alentours. Très jeunes, parfois mineures, selon des témoignages récurrents, elles sont le plus souvent encadrées par des hommes du même âge. À la fois proxénètes, petits copains et fournisseurs en produits, ils vont et viennent constamment, ajoutant une dose de violence au quotidien.
Il suffit de passer quelques heures sur place pour constater cette présence. Jeudi, en fin de matinée, même en cette période de vacances, le square est peu fréquenté. Trois hommes boivent des bières fortes. Autour d’eux, une constellation de capsules étoilées témoigne du caractère habituel de cette consommation. Des grands-parents jouent avec un enfant sur les jeux récemment installés. Sur les bancs, un couple de jeunes gens. Elle, blonde, très maigre, se lève dès qu’un homme pénètre dans le square. Elle aguiche des yeux, sans insister et recommence à l’arrivée suivante.
À l’extérieur du square, une autre jeune femme, guère plus âgée, interpelle les automobilistes qui ralentissent à son approche. Un jeune homme s’approche. Ils échangent un baiser et un petit sachet passe de l’un à l’autre. Lui aussi reste au contact et ne quitte pas des yeux le ballet des clients. Tous détalent fissa à l’arrivée d’un équipage de police qui contrôle une autre fille qui racole à l’autre bord de la place. Ils fouillent sa petite pochette et poursuivent leur ronde.
Le remake de Shéhérazade
Les riverains connaissent la plupart des acteurs de ce commerce des corps. “C’est exactement comme dans le film Shéhérazade qui a été tourné, ici, raconte Hélène, riveraine de la place depuis 1995. Sauf qu’on croise des filles de plus en plus jeunes et des hommes de plus en plus agressifs. Entre eux, c’est extrêmement violent”.
Cet été, on n’a pas passé une nuit normale. C’est tout le temps des cris, des bagarres. On voit des filles poussées de force dans des voitures.
Une habitante
En début de soirée, il y a quelques semaines, le petit groupe de riveraines qui s’est réunie pour recevoir Marsactu dresse un inventaire glaçant. “Cet été, on n’a pas passé une nuit normale, raconte Sylvie*. C’est tout le temps des cris, des bagarres. On voit des filles poussées de force dans des voitures. Des voitures bien identifiées qui les déposent et les reprennent en groupe, des souteneurs se battent entre eux. C’est constant“.
Groupe WhatsApp et pétition
Le petit groupe a mis en place un groupe Whatsapp où circulent les photos et les signalements. Un document en ligne partagé recense tous les faits qui relèvent de la police, avant leur remontée aux autorités. Sur le groupe de messagerie instantanée, les riverains débattent également des aménagements urbains qui pourraient permettre une réduction des désagréments. Plusieurs pétitions circulent.
Le 20 septembre, la maire de secteur, Sophie Camard (Printemps marseillais) a écrit à la préfète de police et à la procureure pour dénoncer les points de tension du centre-ville.
“La présence de la prostitution est très ancienne dans le quartier Rotonde-Labadié. Des individus très aggressifs ont rodé tout l’été avec des intrusions violentes dans des halls d’immeuble. Des rixes ont eu lieu entre les prostituées elles-mêmes. Nous avons également l’information de prostituées mineures”.
Du côté de l’association l’Amicale du nid, qui accompagne les prostituées, on confirme la réalité de la prostitution juvénile dans le secteur, tout en soulignant qu’elle est difficile à quantifier. “Notre philosophie est d’aller vers les personnes prostituées pour les accompagner vers le soin ou le travail social, explique Cécile Mistre, la directrice. Nos éducateurs de rue constatent les mêmes mouvements de population avec des personnes prostituées plus jeunes et la présence d’hommes qui peuvent être des proxénètes ou des dealers. Parfois les deux“. Depuis l’été, les rondes policières se sont intensifiées. Les scènes de violence ont diminué d’intensité mais sans régler le problème sur le fond.
“Les riverains ont raison de se plaindre. Pour nous aussi, ça a changé”, soupire Sophia qui attend le client à côté d’une des entrées du square. À 49 ans, Sophia est une ancienne. Elle a derrière elle, plusieurs décennies de prostitution à Marseille et ailleurs. La nuit, la rue elle connaît.
Le problème, c’est le produit.
Sophia, prostituée
“C’est devenu la cour des miracles. Le problème, c’est le produit, poursuit-elle. Il y a une bande qui s’est installée depuis six mois. Ils consomment de tout, du ballon [le protoxyde d’azote, ndlr], des cachets mais surtout du crack. Et ça, ça les rend fous“. Par crack, Sophia entend la cocaïne basée, c’est-à-dire mélangée à de l’ammoniaque, pour obtenir une cristallisation qui intensifie ses effets. Ce crack artisanal se fume dans des pipes à eau que les riverains ramassent fréquemment sur leur perron.
Pendant que nous conversons, sa collègue se fait approcher par un jeune homme. “Tu veux combien ?“, demande-t-il. “50“, répond la jeune femme. On ne saura de quel type de produit.
Coke, crack et racket
Pour Sophia, c’est la coke qui domine. “Tout le monde en prend. En quelques années, ça a explosé. Même les clients te proposent un trait quand tu montes. Après, pour certains, ça leur coupe leurs moyens“, rigole-t-elle. Mais les effets délétères de la “mache” sont sans commune mesure avec sa version basée. Les prises sont plus régulières et l’effet de manque plus aigu. “Elles vont disparaître pendant plusieurs jours pour se défoncer et revenir ici quand elles n’ont plus de sous, raconte Sophia. Là en ce moment, elles ne sont pas là. C’est plus calme, mais y a moins de clients“. Car la contrepartie de ce rajeunissement est la présence plus massive du ballet de voitures de la clientèle, attirée par la jeunesse et peu sensible à son état de détresse.
“Le problème est qu’elles sont accompagnées de leur mec qui les rackettent sur chacune de leur passe et nous rackettent aussi à l’occasion“. Sophia dit avoir lâché 20 euros et 40 euros à un des souteneurs pour avoir la paix. “Maintenant, quand ils me branchent, je dis que je n’ai rien parce que je travaille pas assez“, râle-t-elle.
Croisée alors qu’elle rejoint la place, rue des Héros, une autre “ancienne” fustige ces nouvelles formes de contrôle : “Elles se sentent libres alors qu’elles se vendent pour le prix d’un sandwich, formule-t-elle. Elles foutent le bordel et ça profite à personne“.
C’est devenu commun de croiser des filles qui ne sont que l’ombre d’elles-mêmes, qui peuvent à peine marcher.
Une salariée de l’association Omial
Sur le trottoir d’en face, les salariées de l’association Omial en savent quelque chose. Infirmières, aides à domiciles, elles embauchent tôt et rentrent tard. “On a tous subi du harcèlement, raconte une coordinatrice. Soit des gens avinés, soit des souteneurs ou des clients. Ils viennent parfois se battre devant la porte. Et puis c’est devenu commun de croiser des filles qui ne sont que l’ombre d’elles-mêmes, qui peuvent à peine marcher”. Depuis un récent cambriolage, le numéro de la police est placardé partout. Mais la réponse sécuritaire n’est pas suffisante.
Réponse politique en cours de construction
Alertée tôt dans l’été, la mairie de secteur a tenté de prendre les choses en main. “Nous avons financé un gardiennage de la mi-juillet à la fin août, détaille Monique Rolbert, adjointe à la tranquillité publique à la mairie du 1/7. Nous avons aussi alerté très vite le commissariat de secteur dans le cadre du groupe de partenariat opérationnel. En parallèle, on a eu une programmation tout l’été au sein du parc pour essayer d’occuper le terrain”.
Enfin, d’autres élus de secteur ont réalisé des maraudes avec les éducateurs du Sleeping, struture qui agit au plus près des usagers de drogue. “On espère que la création de la halte soins addictions [la salle de consommation de drogue à moindre risque, ndlr], boulevard de la Libération, permettra de drainer une partie des usagers qui consomment dans l’espace public au Chapitre”, veut croire Etienne Tabbagh, autre élu de secteur qui a participé à ces maraudes.
Pas d’augmentation dans les statistiques
Côté police, on dit prendre les alertes au sérieux, mais du point de vue des faits constatés, les statistiques du début de l’année diffèrent peu de celles de l’année précédente. “Que cela soit sur les atteintes aux biens comme sur les atteintes aux personnes, nos chiffres ne font pas état d’une progression importante, rapporte Yannis Bouzar, le directeur de cabinet adjoint de la préfète de police. En revanche, nous avons eu un cas de proxénétisme et un viol sur mineur dans ce secteur, durant l’été”. Le travail de sécurité publique va de pair avec les enquêtes menées par le parquet sur d’éventuels réseaux de proxénétisme.
Mais l’essentiel, pour le cadre policier, est d’insister sur “le travail partenarial”. “Une bonne partie des faits signalés relève de la tranquillité publique, détaille-t-il. Il ne faut absolument pas les minimiser mais, au contraire, avoir une approche collective en occupant l’espace public, en travaillant avec le secteur associatif pour mettre à l’abri les personnes en détresse sociale ou sanitaire“.
Mettre fin au point de “fixation” de Labadié est d’autant plus primordial que le centre-ville de Marseille tout entier est la proie de tensions depuis plusieurs mois. Des Carmes au Chapitre, en passant par Belsunce ou Noailles, les points chauds se multiplient. Le centre-ville ressemble plus en plus à une cocotte-minute au bord de l’explosion.
Commentaires
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Et l’on pouvait s’attendre à quoi d’autre.?.
Petit jardin public dont la destination eût été à l’usage des enfants ou des personnes souhaitant se poser.
Mais vu l’état sordide de ce centre ville,c’est une suite logique , regrettable mais inéluctable.
Et ce ne sont pas ces quelques associations qui font du bon boulot qui solutionneront le problème.
Une goutte d’eau .
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L état sordide? Il s agit de quoi exactement ?
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La première année de re ouverture du parc a été vécu comme un grand moment de joie et d’apaisement .
La violence embrasse tous le quartier pas l’ intérieur du parc
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Comme pour la consommation de drogue, quid de la responsabilité pénale des clients qui alimentent cette situation catastrophique ? Visiblement certaines prostituées sont mineures, on peut s’interroger sur l’absence d’éthique et le degré de perversité des personnes qui visitent ce lieu. On peut aussi s’interroger sur la faiblesse d’action des pouvoirs publics qui se montrent impuissant à démanteler au coeur d’une grande ville française une situation digne des bas-fonds de Bangkok ou Manille. Il me semble que dans ces pays, le tourisme sexuel à l’encontre de mineurs est sévèrement réprimé, pourquoi pas à Marseille?
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Et pendant ce temps, on s’écharpe pour empêcher l’ouverture d’une halte soins addictions cours Libé. Il y a aussi de la responsabilité côté citoyens qui alimentent la peur et l’hypocrisie de la société.
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Faut dire que la maire de secteur (1/7) y a bien contribué… Les usager.e.s sont concentré.e.s dans son secteur, mais elle n’a pas voulu en entendre parler
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La solution de la ville est clairement exprimée dans l’article ! On déplace le problème sur la salle de consommation de drogue à « moindre risque », au milieu de 14 crèches, écoles, colleges, lycées sur le boulevard de la liberation qui sera vite rebaptisé boulevard de la consommation !!!!
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Vous proposez quoi alors?
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Vous avez raison, comme d’habitude, cher Peuchère : les drogués doivent continuer a se shooter au milieu de la rue, entre deux crèches, trois écoles, face à un collège et derrière un lycée.
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Un concentré de problèmes quasi insolubles. La drogue, la prostitution, les consommateurs, les clients, les dealeurs, les proxénètes. Un commerce où la libre concurrence s’exerce à coup de poings, couteaux ou calibres. Un concentré de capitalisme sauvage.
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C’est vrai que tout cela n’existe pas dans les pays non capitaliste….Dans vos rèves !
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Vous connaissez des pays non capitalistes, vous ?
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C’est même pire.
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“les statistiques du début de l’année diffèrent peu de celles de l’année précédente”, dit la police. Heureusement, le policier qui tient ces propos y ajoute intelligemment une vraie réflexion sur la tranquillité publique et la transversalité avec les travailleurs sociaux.
Mais si certains s’en tenaient aux statistiques ?! C’est à craindre.
La tranquillité n’est pas une statistique …
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RML, les mots ont un sens, sordide:”D’une saleté repoussante, qui dénote une misère extrême”
Dictionnaire Robert.
Cet adjectif qualificatif est la résultante d’une situation matérielle ,il permet de caractériser ce qu’est devenu le centre-ville marseillais,
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tant qu’en France on laissera les riches et ultra riches tout amasser et garder et qu’on laissera 30% de la population sombrer dans la misère tous ces phénomènes liés à la misérisation ne vont pas s’arranger, loin de la… Et avec leur suppression du RSA ça va encore bien empirer…
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Tout à fait, c’est la faute des riches si les pauvres volent, prostituent, agressent, vous avez tout à fait raison.
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c’est ici qu’il faut implanter une salle de soin addiction !
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