Aux Réformés, le centre autogéré d’accueil des demandeurs d’asile veut montrer l’exemple

Reportage
le 23 Juil 2022
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Depuis plusieurs mois, des associations et collectifs accompagnent le quotidien d'un immeuble qui abrite des demandeurs d'asile dans le centre de Marseille. Auparavant squatté, le lieu fait désormais l'objet d'une convention avec le propriétaire, avec le soutien des autorités.

Une réunion entre les habitants du centre autogéré et les associations pour évoquer le futur de l
Une réunion entre les habitants du centre autogéré et les associations pour évoquer le futur de l'immeuble. (Photo : DP)

Une réunion entre les habitants du centre autogéré et les associations pour évoquer le futur de l'immeuble. (Photo : DP)

Bien sûr que j’aime cet endroit, nous sommes tous égaux ici, je me sens en sécurité.” Dans le quartier des Réformés, Amelba vit dans un immeuble pas comme les autres. Le 25 rue Saint-Bazile abrite un centre d’accueil pour les demandeurs d’asile, Cada dans le jargon social, autogéré et autoproclamé. Originaire de Sierra Leone, l’homme est installé depuis plusieurs mois dans l’immeuble. “Personne n’est mis de côté, nous participons tous les jours à la vie du centre”, explique-t-il en cuisinant. Comme lui, une quarantaine de demandeurs d’asile bénéficient de cet immeuble qui comporte cinq étages. À chaque niveau, des chambres, des toilettes et une cuisine partagée.

Un projet novateur, porté par l’association des usagers de la Pada (AUP), qui regroupe des exilés et les aide dans leur parcours. Son président, Alieu Jalloh, s’assure tous les jours du bon fonctionnement de l’immeuble. “L’idée est de pouvoir offrir à ces demandeurs d’asile un lieu différent des squats où ces gens isolés rencontrent toute sorte de difficultés, font face à l’insécurité et aux marchands de sommeil“, développe-t-il. Rue Saint-Bazile, les pièces sont étroites, le confort est sommaire mais qu’importe. “Je peux laisser mes affaires, je n’ai jamais eu de problèmes, je peux dormir tranquillement sans avoir peur. Il y a tellement de problèmes dans la rue“, confie Amelba.

“Dans cet immeuble de nombreux squatteurs appartenaient déjà à l’AUP. Quand nous sommes arrivés, nous avons établi une liste nominative afin de réglementer la présence de chaque habitant et pour gérer les entrées”, détaille Pierre Albouy, juriste qui accompagne l’AUP.

Amelba est un habitant du centre autogéré depuis plusieurs mois. (Photo : DP)

Autogestion et règlement strict

Le centre accueille également des familles. C’est le cas d’Oriseh Joy, originaire du Nigeria qui vit au troisième étage avec son fils de deux ans. “Je suis arrivée l’année dernière ici, déclare-t-elle, tout en saluant un autre habitant. “Ici tout le monde se parle, on fait les tâches ménagères ensemble, on décore ensemble, j’emmène mon fils voir les voisins“, illustre-t-elle. À ses côtés, l’enfant déambule dans le couloir de l’étage. Dans le centre de Saint-Bazile, chaque habitant doit respecter un règlement strict auquel veille Alieu Jalloh, devenu régisseur social au sein du collectif Just, spécialiste de l’accompagnement de la vie en squat. Parmi les règles, l’interdiction de mettre de la musique trop fort ou encore l’obligation de nettoyer les parties communes chaque dimanche.

Originaires du Nigéria, Oriseh et son fils ont une chambre au troisième étage. (Photo : DP)

Les habitants se réunissent régulièrement afin de discuter des projets de l’immeuble. En témoigne la salle principale au rez-de-chaussée encore en travaux, où se tiendra la permanence juridique qui sera assurée par l’AUP, mais aussi les cours de français et d’informatique qui doivent bientôt démarrer. Le collectif de graphistes Terrains Vagues s’est joint à l’aventure pour aider à décorer la pièce. Sur des planches fixées aux murs, ils ont imprimé avec les habitants des images qui leur tiennent à cœur. Se côtoient donc photographies de stars du ballon ou encore d’animaux. “C’est moi qui ai choisi la chèvre”, sourit Daddu Yinusa, originaire du Nigéria. “J’en ai une chez moi”, dit-il en montrant des photos sur son téléphone. Les locataires sont formels, ici l’ambiance doit être détendue.

Une convention signée avec le propriétaire pour neuf mois

Lorsque l’AUP s’implique dans l’organisation cette propriété de l’Établissement Public Foncier, en juin 2021, celui-ci était déjà squatté, comme le souligne Jean-Régis Rooijackers, du collectif Just, chargé des travaux de sécurisation. “L’AUP est arrivée et nous a contactés pour créer un centre légal géré par les demandeurs eux-mêmes. On a décidé de les aider pour porter le projet face au propriétaire“. Pour avoir plus de poids, l’AUP a fait appel à l’association Habitat Alternatif social (HAS) qui s’est déclarée responsable pénale du lieu. “Cela correspond à notre association, nous croyons au fait de répondre à des besoins non couverts, la vacance à Marseille est tellement forte qu’elle offre la possibilité pour ces personnes d’être à l’abri”, affirme Cécile Suffren, directrice PACA d’HAS. Cette dernière s’est rendue sur place mercredi 20 juillet pour expliquer la démarche aux habitants.

Il aura fallu plusieurs mois de négociations pour qu’un bail d’habitat précaire soit finalement signé, le 1er juillet 2022. Les habitants se tiennent prêts pour la présentation officielle du Cada qui aura lieu le 13 septembre en présence de l’EPF. D’ici là, l’organisme, qui a racheté l’immeuble en 2019 pour permettre une opération publique de type logements sociaux, ne souhaite pas s’exprimer sur le projet. Le Cada autogéré de Saint-Bazile est toutefois temporaire : les habitants sont priés de rendre les lieux le 31 mars 2023.

“Un nouveau modèle coopératif en marche”

J’étais rassuré, affirme Amelba au sujet de la convention, c’est une vraie victoire !” Pour la fourmilière associative qui s’active ici, l’enjeu est maintenant de reproduire le projet ailleurs dans la ville. “On veut montrer que c’est possible, que c’est un nouveau modèle coopératif en marche“, espère Jean-Régis Rooijackers.

Les institutions vont avoir besoin de nous pour identifier et surtout répondre à ce problème.

Alieu Jalloh

Un enjeu de taille et une nouvelle alternative pour pallier les carences en matière d’hébergement des demandeurs d’asile. Rien qu’à Marseille, selon l’AUP, ils sont 5 899 à avoir été recensés par la structure de premier accueil des demandeurs d’asile (SPADA). Un nombre bien supérieur aux places disponibles, alors que leur mise à l’abri est pourtant, en théorie, assurée par la loi. “Les institutions vont avoir besoin de nous pour identifier et surtout répondre à ce problème”, déclare Alieu Jalloh.

La Ville de Marseille a également décidé de soutenir le projet “dans le contrat territorial d’accueil et d’intégration” signé avec l’État, comme le souligne Audrey Garino, adjointe au Maire. “La Ville n’est pas décisionnaire en la matière mais face aux manques de place de mise à l’abri, et notamment de CADA, face à l’augmentation des squats, bidonvilles ou du nombre de sans-abri, nous regardons positivement les initiatives innovantes et nous y apportons notre concours.” La préfecture n’a pas répondu à nos questions sur le sujet, mais selon plusieurs interlocuteurs, elle regarde la démarche d’un œil bienveillant.

Rue Saint-Bazile, on voit les choses en grand et on y croit. “Je rêve que les politiques finissent par s’intéresser vraiment à notre cas,” confie Amelba. Des lieux comme ça doivent exister dans la ville. Ici des femmes, des hommes et des enfants espèrent encore.”

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    J’ai adoré ce papier sur cette tendance marseillaises en vogue, le ” rouffeuuuu topeuuu” et le “loundgeuuuu”.
    Repaire des vieux beaux qui ne veulent pas mourir, bronzés sur leurs 31 et là pour aganter la girelle. Réunion des nouveaux riches dont les sources de revenus n’ont pas trouvé leur origine dans les grandes écoles mais plutôt du côté de la cigarette de contrebande ou bien de la blanche,accompagnés de superbes automobiles allemandes,de montres suisses achetées en liquide et de superbes cagoles.
    “La” classe marseillaise en un mot.

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  2. Alceste. Alceste.

    Erreur d’aiguillage, ce commentaire concernait bien sûr Marseille vue d’en haut,ce qui m’a permis de lire cet excellent article portant sur les réformés.Ces gens sont au top mais pas de la même que celle des kékés marseillais anciens et récents

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  3. GENIA GENIA

    Marseille montre l’exemple d’accueillir tout ce qui débarque sur son sol….surtout venant du Sud, le Nigeria étant particulièrement bien représenté, ces temps ci, d’après les rumeurs journalistiques sur nos superbes cités…… Et toujours le même refrein : il suffit d’avoir plus de moyens, de logements, d’aides de toutes natures, et l’intégration se fera de toutes les façons !
    Tous ces “demandeurs d’asile” (en remplacement des illégaux qui ne repartiront jamais dans leur patrie d’origine) font partie de ce flot sans fin.
    Nous avons bien entendu les moyens d’accueillir tout ce petit monde…..Notre générosité est légendaire. Il suffit d’augmenter les impôts, notre dette et l’on continuera à être un modèle international qui attire toute la misère du monde.
    Faut arrêter de râler sur le niveau de vie qui décroit, c’est aussi le système des vases communicants : Je donne plus , donc j’ai moins !

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  4. eolienne eolienne

    Génia, toute la misère du monde ne vient ni en Europe, ni en France, ni à Marseille; Une toute petite proportion seulement arrive jusqu’à nous. Elle va principalement dans des pays voisins au leur. Beaucoup de migrants se perdent en cours de route (meurent sur leur parcours, sont arrêtés pour devenir esclaves ou travailleurs forcés). Franchissant la Méditerranée et les Alpes, ce sont des “survivants”, par chance. Alors suivons de près cette expérience autogérée, responsable et qu’elle donne naissance à d’autres expériences pérennes de ce type. Et ceux qui choisissent de s’installer dans notre pays, ils auront prouvé qu’ils feront de bons français. J’en suis convaincue .

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  5. kukulkan kukulkan

    beau projet à pérenniser et à multiplier dans tous les locaux et immeubles vides ! réquisitions !

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