Aux portes d’Euroméditerranée, l’autre parc Talabot, pris dans l’étau du squat
En face du marché aux puces, en bordure du quartier des Crottes qui va accueillir demain le futur de Marseille, subsiste une petite copropriété baptisée Paulin-Talabot. La cité ouvrière sombre peu à peu dans l'habitat indigne.
Le bâtiment Nord de la copropriété Paulin-Talabot. Photo : B.G.
Son nom est plus généralement associé aux quartiers chics de la ville. Au parc Talabot, les préfets ont une résidence dans laquelle le chef de l’État prend ses quartiers quand il est en visite à Marseille. Le parc porte le nom de son illustre propriétaire, Paulin Talabot, bâtisseur des docks modernes de la ville, grand pionnier de la ligne de chemin de fer Paris-Lyon-Marseille. Tout ceci peut être admiré depuis l’autre parc Talabot, une petite copropriété juchée tout en haut de l’avenue de la Madrague-Ville, face à l’entrée du marché aux puces.
Les deux immeubles qui se font face dominent la rampe vrombissante de l’autoroute A55 et, en contrebas, le faisceau de voies ferroviaires du port et les différents bassins où patientent les navires. De l’autre côté de l’avenue, c’est Marseille qui avance. L’opération d’intérêt public Euroméditerranée a confié à Bouygues les destinées du quartier des Fabriques, dont les premières tours sont en train de sortir de terre. À terme, 14 000 logements neufs seront construits entre la Cabucelle et les Crottes. À Paulin-Talabot, les habitants vivent à l’écart de cette promesse d’avenir glorieux.
Depuis octobre 2021, l’entrée 4 de cette petite courée aux allures de cité ouvrière est supposée être fermée. Un arrêté de mise en sécurité immédiate publié par la Ville interdit toute occupation des petits appartements, distribués par un escalier étroit. L’arrêté donne sept jours au syndic d’alors pour diligenter les travaux de mise en sécurité sur trois des entrées. Les désordres sont multiples : risque d’effondrement de l’escalier, installation électrique en partie détruite par un incendie avec fort risque de réitération en raison des repiquages sauvages, cabanons en arrière-cour en ruine “avec risque à terme de départ d’incendie”.
Arrêté de péril sans suite
Deux ans plus tard, rien n’a bougé au 135, chemin de la Madrague-Ville. Tout ce qui est décrit dans l’arrêté municipal tient toujours. Seule nouveauté : le garde-corps absent de la cage d’escalier a été remplacé par une structure en bois qui tient lieu de rampe provisoire. Les installations électriques incendiées sont toujours en place. De nouveaux repiquages ont remplacé les précédents. Les portes blindées anti-squat sont fermées par des fils de fer tordus. Les huit appartements de cette entrée sont visiblement tous occupés, souvent par des familles avec de jeunes enfants.
L’une d’elle est installée dans la partie ombragée de la courée. “C’est nous qui vivons là“, reconnaît la mère de famille qui se revendique “gitane. On a ouvert après le départ des locataires. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? C’est ça ou on dort dans la rue avec les enfants“. Son plus jeune fils vient à peine de rentrer de l’école voisine et court s’écrouler sur un matelas posé à même le sol. Maria* vit là depuis plusieurs mois avec sa grande fille de 18 ans et ses autres enfants dont certains en très bas âge.
Les réparations de fortune ont été faites par “un voisin“, dit-elle, qui, comme elle, s’est installé dans un des appartements “libérés” par le péril. Dans les autres entrées de la résidence, le spectacle n’est pas très différent.
À l’entrée 1, balafrée de tags informes, vivent plusieurs familles, parfois dans un dénuement des plus criants. “Tu es folle ! N’ouvre pas, c’est un policier”, crie une femme en espagnol à l’intention de sa voisine qui vit au second. Sarah* ne s’inquiète pas : “je n’ai rien à cacher. Ici, on vit dans la misère. On ne paie plus le loyer parce qu’à l’intérieur, c’est plus sale que dans le couloir, raconte cette maman de quatre enfants qui vit dans deux pièces. Les filles, dans une chambre, les garçons dans l’autre et nous avec le bébé dans la salle à manger.”
Squat généralisé
Elle affirme s’être vue refuser une demande d’hébergement au titre du Droit au logement opposable (Dalo), par la préfecture. Et si elle ne verse plus son loyer, elle affirme que son propriétaire perçoit toujours l’aide au logement de la caisse d’allocations familiales. “Qu’il m’envoie les huissiers, dit-elle avec un brin de provocation. Je leur montrerai dans quoi il nous laisse vivre.”
Au rez-de-chaussée du même bâtiment, de jeunes hommes s’affairent. Ils viennent de quitter le drive de cigarettes de contrebande qui se tient à l’entrée toute proche du marché aux puces. L’un d’eux, liasse de billets en main, aborde une très jeune femme. Elle partage un matelas posé dans l’unique pièce avec un nourrisson et une autre jeune femme.
À notre approche, le jeune homme se fait doucereux. Il dit vivre là sans droit ni titre, mais avoir démarré “des travaux en accord avec le propriétaire“. En appui de ses dires, il montre un badigeon de blanc qui recouvre en partie les murs sales de la cuisine. Le squat serait “en cours de régularisation” avec un propriétaire qu’il est bien en peine de nommer.
Vue sur autoroute
Au dernier étage de l’entrée d’en face, là où le bâtiment surplombe l’autoroute A55, Mabel tient sa porte close. Elle vit dans un minuscule deux pièces qui prend l’eau avec ses deux fils et son mari, originaire comme elle, de la province d’Edo au Nigeria. Elle a signé un bail il y a un peu plus d’un an avec un compatriote qui a beaucoup promis et peu fait. “Il pleut dans la cage d’escalier et parfois dans la salle à manger, explique-t-elle dans un anglais velouté. Ce logement n’est pas correct, trop chaud en été, froid en hiver. Mon mari travaille dur pour payer les 400 euros du loyer.” Plaquiste, il enchaîne les chantiers au noir. Le couple vit là dans moins de 20 mètres carrés. L’aîné entre en sixième, le second marche à peine, elle est enceinte d’un troisième. “Ici, ce n’est pas propre, reconnaît Mabel. Il y a tout le temps des cris, des problèmes avec les voisins. Mais on n’a pas le choix, si on ne vit pas là, c’est la rue”.
La Ville de Marseille affirme suivre la situation de la copropriété Talabot en continu. Lors de la dernière visite des techniciens municipaux, en mai 2022, ceux-ci ont pu constater que “cette copropriété est manifestement dans l’incapacité de répondre aux exigences d’une procédure classique de mise en sécurité.” Alertée par Marsactu, la municipalité prévoit d’envoyer une nouvelle fois une équipe “pour s’assurer de l’absence d’occupants sur les lieux concernés par une interdiction d’occupation”.
Première assemblée générale après deux ans d’inaction
Le nouveau syndic de copropriété, Patrick D’Agostino, est très conscient des lenteurs dans la mise en œuvre des prescriptions de l’arrêté de péril d’octobre 2021. “Nous venons de prendre la copropriété en gestion en avril de cette année, détaille-t-il. Avant nous et pendant plusieurs années, des syndics se sont succédé sans jamais rien faire. Nous avons découvert une copropriété sans comptabilité arrêtée, sans assurance, sans rien dans les caisses.”
Il dit avoir repris l’ensemble des comptes et organisé la première assemblée générale en août dernier : “tout le monde était présent et a voté à l’unanimité la désignation d’un bureau d’études et d’un architecte” pour lancer les travaux de structures. Le syndic connaît bien les lieux pour avoir été le mandataire d’une des gros copropriétaires pendant des années. “Je sais par exemple que la démolition des petits cabanons présents à l’arrière des bâtiments pose problème, car ils appartiennent à des copropriétaires qui n’entendent pas voir disparaître leurs biens”, précise-t-il.
Il se veut rassurant sur la tenue prochaine de travaux, “même si, compte tenu du contexte immédiat, ça ne sera pas simple. Il faudra sans doute une boîte de sécurité et à terme une résidentialisation de la copropriété”, c’est-à-dire l’installation de clôtures. Quant à la problématique du squat, “elle est devenue un problème à l’échelle de la ville”, pour laquelle il a déjà saisi les autorités, en remontant jusqu’à la préfète de police. “Mais nous avons pour agir, un règlement de copropriété, et le recours à la loi. Pour le reste, nous ne sommes pas magiciens…“
Commentaires
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« Octobre 2021 Un arrêté de mise en sécurité immédiate publié par la Ville interdit toute occupation des petits appartements, distribués par un escalier étroit. L’arrêté donne sept jours au syndic d’alors pour diligenter les travaux de mise en sécurité sur trois des entrées. »
« Trois ans plus tard, rien n’a bougé ».
Tout est dit : on considère que prendre des mesures c’est écrire des textes. Mais à partir du moment où ces textes ne sont pas suivis d’ACTIONS PHYSIQUES ça ne sert à rien.
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Vous avez raison, mais on retombe là sur un problème classique : c’est un copro privée sauf erreur de ma part. Donc la collectivité (Ville, Métropole, autre, peu importe) peut prescrire, mais pas contraindre.
En revanche elle peut se doter :
– de moyens de contrôles pour vérifier à des intervalles décents si les prescriptions sont exécutées (avec 15 000 fonctionnaires municipaux, on devrait bien pouvoir en trouver 200 pour faire ça il me semble)
– d’arrêtés municipaux, sur la thématique de mise en danger volontaire, permettant de sanctionner quand les prescriptions ne sont pas respectées ; mais en l’espèce les propriétaires qui seraient sanctionnés sont justement ceux qui n’ont pas les moyens d’agir.
C’est donc sans issue autre que la dégradation, jusqu’à ce que cela finisse par générer un trouble public suffisamment important (effondrement par exemple, terrible de devoir écrire ça) pour permettre à la collectivité d’intervenir (et les “propriétaires” y perdront leur bien).
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Un peu d’histoire : il s’agit des “Habitations Salubres” construites en 1893 sous l’égide de philanthropes locaux (famille Rostand et Caisse d’Épargne).
Cf. “De l’amélioration de l’habitation à bon marché”, thèse pour le doctorat par Auguste Baret, avocat au barreau de Marseille => https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5773145g
Description p. 190
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Merci pour ce lien, on y apprend que c’est bien la compagnie des docks fondée Paulin Talabot qui est à l’origine de ce projet d’habit ouvrier à la fin du XIXème. “L’ensemble comprend 16 logements de trois chambres et cuisines, 12 de deux chambres et cuisine, 8 de une chambre en tout 36 logements, chacun avec un water-closet et un filtre Chamberland-Pasteur, assurant à chaque ménage la pureté de l’eau de boisson”.
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Plus vieux de quatre ans, l’ensemble Sauveur Tobelem. Cette résidence de 39 logements (R+3) érigée en 1889 qui figurait dans le parc des “habitations bon marché” (HBM) de l’ancienne Phocéenne d’Habitation a bénéficié d’un lifting complet. Un chantier de 1,3 million d’euros HT qui a notamment permis de reconfigurer l’intégralité des pièces d’eau et d’améliorer le confort thermique des logements. (Unicil en est le propriétaire).
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Il me semble que ces immeubles sont inclus dans la ZAC littoral et sur un espace qui doit être réaménagé (selon le document actuellement en ligne pour la DUP) ce qui signifie qu’Euroméditerranée s’apprête à expulser pour détruire, non ?
Les proprio font de la résistance mais peut-être pour faire monter les montants d’indemnisation.
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Bonjour, j’ai contacté Euroméditerranée à ce propos. Ils m’ont assuré qu’il n’existait pas de projet arrêté à ce jour à cet endroit. Par ailleurs, le café qui jouxte la copropriété s’est vu proposer un rachat par l’établissement public. Quant à la Ville, elle a acheté une bâtisse en bordure de l’école publique située en bordure d’îlot, mais je n’ai pas réussi à connaître son projet à moyen terme.
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