"Aux Baumettes, j'ai vu des cellules qui prennent feu, il faut rester vivant"

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le 9 Jan 2013
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"Aux Baumettes, j'ai vu des cellules qui prennent feu, il faut rester vivant"
"Aux Baumettes, j'ai vu des cellules qui prennent feu, il faut rester vivant"

"Aux Baumettes, j'ai vu des cellules qui prennent feu, il faut rester vivant"

Devant un sirop d'orgeat, Mystik alias Ghislain Loussingui Diabaka, auteur, compositeur, interprète, se montre loquace sur sa vie, s'épanche comme si le temps lui était compté. Lorsqu'il rencontre, par hasard, d'anciens compagnons de cellule et d'infortune, il se lève pour les saluer mais avoue en aparté qu'il aimerait quitter Marseille pour changer d'air. D'origine congolaise, il arrive en 1989 en France, à Meaux. Il a onze ans. Des années plus tard Il échoue aux sélections d'entrée à Clairefontaine pour devenir footballeur professionnel. Qu'à cela ne tienne, il se lance dans la musique, participe dix ans plus tard à l'album Racines du collectif Bisso na Bisso, réalise l'album solo Le chant de l'exilé, monte son propre label Meldek Music. Déjà, il anime des ateliers d'écriture rap et slam au Centre culturel français de Dakar, en région parisienne, à Aix-en-Provence, à Mayotte, en Pologne…

Et puis un jour, le rideau tombe. L'artiste vit un drame terrible, l'innommable, la perte de son enfant. Il perd le goût de l'écriture. Quatre mois après il est jugé puis incarcéré pour deux ans fermes au centre pénitentiaire des Baumettes, pour "un accident de parcours". Au niveau de l'écriture, c'est la traversée du désert. Il s'inscrit en 2009 à un atelier théâtral proposé par la Compagnie Alzhar, en coproduction avec l'association Lieux fictifs (laboratoire de recherche cinématographique). "Je n'avais pas envie de subir la prison. Au départ certains s'inscrivent pour obtenir une remise de peine, d'autres pour échapper à la routine, pour trouver un échappatoire, un lieu où l'on est en quelque sorte hors des murs. Vous savez, psychologiquement, la prison c'est costaud. Déjà votre famille subit l'humiliation, le regard de la société, les contraintes des heures de visite. Ils n'ont pourtant rien demandé. En un an j'ai vu quatre ou cinq suicides, des cellules qui prennent feu. Il faut rester vivant. On subit souvent une triple peine… On est censé être privé de liberté mais pas de dignité, ni de relations humaines."

Une révélation

Mystik participe à un atelier d'écriture et de mise en scène de l'oeuvre de Bernard Marie Koltès Dans la solitude des champs de coton. Il y est aussi comédien. "J'ai eu une révélation en participant à ces ateliers. Pour moi les choses ont changé du tout au tout. Mon écriture a changé, ma musique a changé. Je me suis rendu compte que je pouvais toucher plus de gens que je le ne pensais. J'ai compris que cette ghettoïsation de ma musique venait surtout de moi-même." Il reprends courage, pense déjà à sa réinsertion. Depuis la prison, il s'inscrit à un diplôme en animation d'atelier d'écriture dispensé par l'université Saint-Charles. Il passe l'oral avec succès, obtient d'intégrer la formation en portant un bracelet électronique. Malgré les frustrations que ce dispositif induit, Mystik obtient son diplôme, se vante même un peu : "Je crois que j'ai été la révélation de ma promotion".

Mais au-delà de ce que lui ont apporté les ateliers, le rappeur ne se lasse pas de répéter combien il est reconnaissant à l'égard de tous les intervenants culturels qu'il cite, les uns après les autres. La responsable du centre de ressources multimédia des Baumettes, les réalisateurs, comédiens et metteurs en scène, les animateurs, "ces gens qui ont cru en moi. Je crois en cette main qui vous tapote l'épaule et qui vous dit, « continue ! ». Ils ont réussi à humaniser l'endroit. ça fait un bien fou de sentir que quelqu'un te regarde comme un être humain."

"Une histoire d'amour avec Camus"

En sortant, Ghislain Loussingui Diabaka est convaincu que "le vrai combat commence maintenant, pour ne plus retourner en prison". Il intègre la compagnie Alzhar en qualité d'animateur d'atelier d'écriture et d'improvisations théâtrales autour des thématiques abordées dans le Premier homme d'Albert Camus, un projet prévu dans le cadre de Marseille-Provence, capitale européenne de la culture en 2013. "C'est peut-être un peu cul-cul de dire ça mais vraiment, ce bouquin a fait de moi un homme. J'ai vécu une histoire d'amour avec Camus pendant deux ans. Je le paraphrase quand il dit qu'il n'y a pas de honte à préférer le bonheur".

Un jour, "au culot", raconte-il avec délectation – "alors que j'avais 33 ans, l'âge du Christ" dit-il avec un clin d'oeil – il frappe chez Catherine Camus, la petite fille de l'écrivain. Elle est absente mais le rappelle un peu plus tard pour le rencontrer, "émue" d'avoir pu écouter Solitaire, Solidaire, un morceau rap de sa composition, écrit d'après Le premier homme. Peu de temps après Mystik est invité à chanter en ouverture d'une conférence donnée par Michel Onfray. "Tout ça pour dire qu'il n'y a pas de fatalité, les choses ne sont pas figées."

"Réinsertion affective"

En prison, Mystik a écrit son autobiographie, "qui sortira plus tard". Il va d'abord publier un autre livre, Réinsertion affective avec l'écriture pour lequel il cherche encore un éditeur. Il y évoque son drame, sa perte de l'envie d'écrire, son incarcération puis son retour à l'écriture. Mais pas question de parler de thérapie. "Il ne s'agit pas de cela. Quand tu relis ce que tu as écris, avec du recul, oui, là on peut parler de thérapie, mais pas au moment où tu écris." Il poursuit aussi sa carrière de musicien, avec la sortie en juin dernier de L'album Fukushima 8.9 "J'ai commencé aux Baumettes avec Lieux Fictifs, à partir d'images d'archives de l'INA, on devait réaliser un montage vidéo, une bande son. C'était des images de la chute du mur de Berlin, en 89, année de mon arrivée en France et amplitude du séisme survenu au Japon au même moment, 8,9. En sortant j'ai réalisé l'album et je suis allé faire le clip du morceau "Rue du Blues" devant le mur de Berlin."

Ghislain Loussingui Diabaka  n'a pas abandonné ses ateliers auprès des jeunes, auxquels il souhaite donner "des références autres que le rap ou le foot. On est dans un pays littéraire !". Il travaille aussi dans les maisons de retraites, dans les centres psychiatriques, auprès des handicapés. "L'écriture transcende les choses. A la fin, il n'y a plus de différences, on en voit plus les handicaps". En mai prochain, avec le Théâtre Off, il devrait lire des lettres de Jean Moulin dans l'établissement pénitentiaire de la Valentine, auprès des mineurs incarcérés. "La France d'en bas, pour moi, ce sont tous ces foyers, ces lieux où l'on enferme les gens."

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