Aux Aygalades, les photos de famille, première pierre d’un patrimoine de la cité

Échappée
le 16 Sep 2017
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Pendant que beaucoup de Marseillais parcourront cette fin de semaine des lieux marqués par le poids des siècles à l'occasion des journées du patrimoine, d'autres, plus aventureux, pourraient être tentés d'aller faire un tour dans la cité des Aygalades. On pourra y voir sur les murs des images d'habitants de la cité, des années 60 à nos jours.

Marlène pose avec une photo la représentant enfant. L
Marlène pose avec une photo la représentant enfant. L'affiche sera collée dans la cité samedi. (LC)

Marlène pose avec une photo la représentant enfant. L'affiche sera collée dans la cité samedi. (LC)

Derrière les blocs d’immeubles à première vue sans âme de la cité des Aygalades, il y a la maison municipale d’activités. Et derrière les grilles de ce bâtiment carré et tout aussi impersonnel, un petit groupe profite de la douceur de septembre pour finir un pique-nique autour d’une table, d’un café et de discussions animées. Les derniers préparatifs pour les journées du patrimoine finissent d’être mis au point. Ce samedi, ils espèrent attirer les autres habitants, mais aussi quelques curieux pour découvrir le patrimoine des Aygalades.

“Le patrimoine, ce n’est pas que le chateau détruit, les campagnes disparues, la cascade inaccessible, ce n’est pas que le bâti”, prévient Nathalie Cazals, anthropologue. C’est d’ailleurs pour cela que cette connaisseuse des quartiers Nord a rejoint le photographe Abed Abidat, qui avait une idée en tête depuis longtemps. Les deux compères se sont mis en quête d’un trésor caché dans les placards et les boîtes à chaussures de toute la cité : les photos de famille, reflets d’époques lointaines ou proches. “J’en avais moi-même des centaines et je voulais les présenter, via un support numérique, mais aussi, à partir de mes photos, en avoir d’autres, des habitants”, raconte le photographe, auteur de plusieurs ouvrages photographiques, sur Marseille mais aussi dans d’autres pays. Le projet s’appellera “Comme une résurgence”, un clin d’œil, peut-être, à la fameuse cascade située plus haut dans le vallon.

Photographie d’Abed Abidat. (LC)

“On prend tout, on mélange tout”

Natif des Aygalades, Abed Abidat a vite fait de rallier à son projet ses amis d’enfance, qui lui ont prêté main forte depuis janvier dernier et jusqu’à ce dernier café partagé dans le jardin de la maison municipale d’activités. Samedi après-midi, une soixantaine de photos seront collées sur les murs de la cité au format poster, tandis que dans ce lieu, on en projettera d’autres, dans une ambiance festive. Et surtout, le site www.aygalades.com sera inauguré. Un site “vraiment simple, pour faire des recherches, mais aussi créer une mémoire collective d’un lieu comme les Aygalades”. Le site se divisera en deux parties : un onglet photographies et un autre consacré aux récits de vie recueillis auprès des habitants par Nathalie Cazals. Pour l’heure, près de 2000 images et une centaine de récits ont été collectés. Le binôme compte bien sur l’évènement pour convaincre d’autres habitants de fouiller leurs archives.

“On prend tout, on mélange tout. Des images à l’intérieur de la cité, mais aussi à l’extérieur, les classes vertes, les déplacements avec les clubs de foot, les camps de vacances…”, précise Abed Abidat. Sur les rouleaux d’affiches prêtes à être collées sur les murs, on entraperçoit donc tout aussi bien des minots habillés pour le carnaval que des familles attablées autour d’un plat de frites, et entre les deux, des photos de classe, des scènes de vie et des portraits capturés en noir et blanc par Abed au fil des années.

Marlène, Georges et Dominique, natifs des Aygalades et parmi les premiers à rejoindre le projet, observent aujourd’hui les tirages. Chacun a son commentaire. “Lui on l’a jamais revu”“tu es où toi sur celle-là ? “, “Eux, leur maison était ouverte à tout le monde ! C’était la maison du peuple !” Les quinquagénaires ricanent et se chamaillent gaiement. Marlène pose en riant à côté d’une affiche la représentant en princesse âgée de cinq ou six ans. Dominique a versé une photo de groupe datant d’il y a deux ou trois ans, autour d’un projet de jardin partagé qu’il avait monté. “On crée notre propre patrimoine”, dit-il à son tour.

“On est des anciens, on a grandi tous ensemble. Y a des gens qui comprennent pas que ça puisse exister dans un quartier. C’est dur pour tout le monde bien sûr, mais avec tout ça, on a été heureux”, philosophe Georges Cabelo. Comme les autres, il espère que ses enfants découvriront ainsi un peu de l’histoire de la cité. “Quand ils vont voir ma mère sur un poster, ça va être la fierté”, sourit ce plasturgiste de métier, collectionneur de cartes postales depuis ses 22 ans. Le projet a en tout cas permis à leurs yeux de resserrer des liens qui s’étaient distendus. “Il y a une nostalgie de la convivialité des années 60-70, observe Abed Abidat, qui s’explique cette évolution par le fait que “beaucoup de gens ne restent pas longtemps aujourd’hui”.

Nathalie Cazals et Abed Abidat pendant les derniers préparatifs. (LC)

“Le fait que l’idée vienne d’Abed a facilité la participation. Il y a beaucoup de projets participatifs, mais pourquoi faire au fond ? Ici, c’est participatif parce que sans leurs photos, le projet n’existe pas. La photo de famille, c’est très accessible, et les réunir, ça incite tout le monde à participer. Ce n’est pas comme souvent pour des projets où en tant qu’anthropologue on dit aux gens “veuillez participer !””, constate Nathalie Cazals. En parallèle du travail de récupération et de référencement des images par le photographe, elle a mené des entretiens avec les habitants. “On commence par parler des photos, et la confiance se créé, et ensuite on parle de l’histoire de la cité”. 

“On le fait dans des villages, pourquoi on ne le ferait pas pour les grands ensembles ?”

La scientifique de formation cherche aussi à aller au-delà des seuls souvenirs émouvants. “J’essaye de sortir de l’histoire particulière, qui ne me touche pas personnellement, pour communiquer ce qui dans ces récits peut intéresser au-delà. Quand on part du quotidien, on rentre dans des aspects qui renseignent au-delà”. Elle s’intéresse notamment aux significations accordées à chaque espace, le “plateau”, considéré comme plus aisé avec ses petits commerces, ou la “rivalité” avec le bout de la cité situé de l’autre côté de l’autoroute. “Une complexité des espaces, des usages qui se sont transformés”, dit l’anthropologue. “Ou transmis !”, complète le photographe.

Au-delà, les deux initiateurs du projet espèrent que leur projet aura son petit effet sur la vie de la cité. “Ce n’est pas que le site, c’est tout ce qu’il y a autour. Ces mois tous ensemble, toutes les rencontres, les anciens qui vont revenir ici samedi. Déjà, avant que le site existe, ça a servi à plein de choses, à remotiver les gens. Je suis persuadé que ça va servir à quelque chose”, s’enthousiasme Abed Abidat. L’objectif à terme est que le site soit alimenté par les habitants eux-mêmes. “On va former les associations et les habitants du quartier pour prendre le relais, leur laisser le flambeau ici”. 

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Images versées par les habitants et le photographe Abed Abidat. Cliquez en haut à droite pour les voir en grand format.

Nathalie Cazals va plus loin dans l’aspect sociétal et militant qu’elle souhaite donner au projet. “Il y a encore des jeunes qui se disent moitié Comorien moitié Français. Mais pour se dire Français à part entière, il faut déjà avoir une histoire à laquelle appartenir, voir que votre histoire est légitime, et qu’elle entre dans une histoire légitime, analyse-t-elle. On le fait dans des villages, pourquoi on ne le ferait pas pour les grands ensembles ? Qu’est-ce qu’on attend ? On dit qu’on n’a pas d’histoire commune ? Construisons-là. On sait quoi faire pour faire la paix sociale, commençons par là.” Soutenu par plusieurs collectivités, associations et mécènes, le projet “Comme une résurgence” pourrait bien s’exporter dans d’autres coins des quartiers nord, en quête de nouvelles mémoires à rafraîchir.

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Commentaires

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  1. Lecteur Electeur Lecteur Electeur

    Très belle réalisation. Bravo. je vais essayer de venir.

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  2. Nathalie Cazals Nathalie Cazals

    Merci de relayer des événements qui font sens pour les Journées Europénnes du Patrimoine, moment où l’on construit ensemble différentes sortes de patrimoines. Plus de 200 personnes sont venues, des anciens habitants pour présenter à leurs enfants les lieux de leur enfance, des familles de la cité et même des nouveaux arrivants sur Marseille. Une ambiance chaleureusement et conviviale et accueil enthousiaste du projet. Le site va s’enrichir assurément : http://www.aygalades.com
    Nathalie Cazals

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  3. -la louvine 40 - -la louvine 40 -

    En voilà une riche idée. Et oui il y a du patrimoine dans ces cités et surtout du patrimoine humain. Recueillir les récits des familles est fantastique. Car ces lieux recèlent des souvenirs magnifiques, tristes, drôles. La vie quoi !

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