Au tribunal, le directeur du conservatoire d’Aix est dépeint comme un “prédateur sexuel”

Actualité
le 1 Juil 2023
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Jean-Philippe Dambreville comparaissait vendredi pour harcèlement sexuel, devant le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence. Une seule salariée du conservatoire s'est constituée partie civile, mais les témoignages glaçants de nombreuses autres femmes entourent le dossier.

Jean-Philippe Dambreville a été condamné à 10 mois de sursis par le tribunal correctionnel d
Jean-Philippe Dambreville a été condamné à 10 mois de sursis par le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence. (Photo : CMB)

Jean-Philippe Dambreville a été condamné à 10 mois de sursis par le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence. (Photo : CMB)

Ils sont assis sur le même banc, mais chacun regarde dans son couloir, imperturbable. À gauche, celle que nous appelons Julie*, accompagnatrice au conservatoire de musique d’Aix-en-Provence depuis 1999. À droite, Jean-Philippe Dambreville, directeur respecté de l’institution pendant 10 ans, jusqu’à l’année dernière. Au terme d’une enquête interne, le chef d’orchestre a été suspendu de ses fonctions pour un an et demi. Ce vendredi, il était jugé pour harcèlement sexuel par une personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction. Le procureur adjoint du tribunal correctionnel d’Aix, Olivier Poulet, a requis contre lui 18 mois de prison avec sursis.

Seule Julie s’est assise du côté des victimes. Mais le procès qui s’est déroulé durant plus de six heures est venu confirmer ce que Marsactu avait révélé dès avril 2022 : dans l’ombre, des dizaines et des dizaines de femmes ont souffert. Au cours de nos différentes enquêtes journalistiques, nous avions identifié au moins 11 salariées ou anciennes élèves s’estimant victimes de harcèlement, moral ou sexuel. Ce jeudi, une enquête de la Lettre du musicien donne la parole à d’autres femmes, victimes, selon elles, des mêmes agissements à Rouen et à Beauvais, où Jean-Philippe Dambreville a travaillé jusqu’en 2012. Vient enfin l’enquête pénale, ouverte à la suite de nos articles, dans laquelle d’autres femmes, encore d’autres, se sont manifestées.

La petite salle du tribunal correctionnel est pleine. Chaque partie dispose de ses propres soutiens, plus ou moins à forces égales. “Tout le Rotary est là”, fait remarquer un connaisseur. Jean-Philippe Dambreville est une figure connue du coin. C’est un chef d’orchestre talentueux, un homme “efficace” et “un très bon manager”, promet un professeur qui a fourni une attestation écrite. Jean-Philippe Dambreville assure disposer de “cinquante” attestations en sa faveur. Le musicien a aussi pu compter pendant de nombreuses années sur le soutien de son employeur, la mairie d’Aix, qui a été alertée d’incidents dès 2016 mais n’a ouvert une enquête interne qu’en 2021, après un signalement de Julie.

Le directeur s’estime victime d’une cabale

Mais avant de parler de Julie, le tribunal veut poser un contexte. En rappelant, en vrac, quelques formules prononcées par les personnes entendues pendant l’enquête : on y parle de quelqu’un qui “prend plaisir à mettre les gens mal à l’aise”. On le décrit “colérique”, “très tactile”, “mettant en place une pression morale et sexuelle constante”. On le qualifie de “chaud lapin”. Ou de “prédateur sexuel”. Alors oui, tous ces faits, toutes ces femmes qui se déclarent victimes dépassent largement le périmètre de ce procès. Et le président François-Marie Cornu l’assume : “C’est du contextuel, mais je trouve que c’est parlant car cela montre que vous sexualisez les relations de travail.” 

Le prévenu s’en défend. “Tactile, oui”, peu au fait “des évolutions sociologiques des relations hommes-femmes”, peut-être. Mais certainement “pas harceleur, jamais”. Il se dit “victime d’une cabale”, se définit comme “la victime la plus largement impactée par cette affaire” puisqu’il n’a plus de salaire.

Julie est seule dans un bureau avec le prévenu. Celui-ci ferme la porte, lui impose un bisou dans le cou, tire le chemisier de sa victime pour lui toucher son épaule, récemment opérée.

Julie s’avance. Elle n’a pas besoin de parler très longtemps. Elle soutient, “sans avoir jamais changé de version”, souligne le procureur Olivier Poulet, avoir été victime de harcèlement sexuel pendant plusieurs années. Une scène est au coeur des débats. Elle se déroule en décembre 2020. Julie est seule dans un bureau avec le prévenu. Celui-ci ferme la porte, lui impose un bisou dans le cou, tire le chemisier de sa victime pour lui toucher son épaule, récemment opérée. Julie est “tétanisée”. Elle entend son supérieur, qui se définit comme “célibataire polygame”, déballer son “addiction au sexe”.

Une autre fois, Julie est assise, et Jean-Philippe Dambreville “plaque” la tête de sa victime contre son ventre. Un jour, il “baisse la zippette” de sa robe. Puis il faut ajouter les “humiliations” permanentes. Les “allusions sexuelles, tous les jours”, auxquelles Julie ne sais plus comment répondre. “Quand je rétorquais, il disait qu’il aimait nos joutes verbales et ça l’excitait”, explique-t-elle. Aujourd’hui encore, elle fait l’objet d’un suivi psychologique.

Attitude tactile et sexualisation

Comme le souligne la défense, les faits qui concernent Julie sont assez “circonscrits”. Mais comment oublier toutes les autres, celles qui sont venues témoigner devant la barre, dans la presse, par écrit ou face aux policiers ? Parfois succincts, souvent violents, ces témoignages sont autant de récits qui “donnent du crédit aux propos de la victime”, souligne le président.

Il y a Luna*. Cette ancienne salariée entendue par les enquêteurs a eu “les larmes aux yeux” avant même d’entamer sa déposition. Elle rencontre le directeur lorsqu’elle a 29 ans. Un jour, Jean-Philippe Dambreville attrape son ventre “avec ses deux mains”, alors qu’elle est enceinte de 7 mois. Plusieurs témoins s’en disent choqués. Son supérieur s’émeut lorsqu’elle met des décolletés. Et “lorsqu’il fait la bise, il embrasse la commissure des lèvres”, confie-t-elle aux policiers. “Comment je pourrais ne pas vous demander si c’est vrai ?”, s’émeut le président.

Il y a Lydia*, lassée de “censurer” sa manière de s’habiller par peur d’être “sexualisée”. Parfois, elle s’enfermait dans une salle de classe pour fuir les questions déplacées de son employeur : “Ton mari, il s’occupe bien de toi ? Tu fais quoi le soir, avec ton mari ?” Sur le banc, le prévenu souffle bruyamment. Lydia est encore aujourd’hui “terrorisée”, assure son mari, venu seul à l’audience. “Vous pensez pas que votre attitude tactile est vécue comme un acte de domination par les femmes ?” interroge le président. “C’est compliqué, cette femme a été sous emprise, elle a fait des séjours en hôpital psychiatrique, elle a eu beaucoup de problèmes”, déroule le prévenu. Au sujet de Julie, il avait parlé en audition de “mythomanie”.

Des témoignages par dizaines

Il y a Marine*, qui a raconté à la police vivre un enfer à cause des pressions sexuelles qu’elle subit. Jean-Philippe Dambreville estime que tout est parti d’un conflit professionnel. Il soupçonne son ancienne collègue de vouloir se venger. Est-ce que c’est vrai que vous l’appeliez tout le temps « la blonde » ? demande le président. Le prévenu raconte une anecdote. Il dit que Marine faisait des blagues. Mais oui, c’est bien vrai. Marine rapporte avoir subi un main aux fesses en 2017. Son père est dans la salle d’audience.

Il y a donc Julie, Luna, Lydia, Marine. Auxquelles il faut ajouter Karine* mais aussi Josepha*, qui sont venues témoigner à la barre. Cette dernière a d’abord “témoigné librement sur les réseaux sociaux. Je voulais dire que je comprenais ce qu’il se passait, que j’avais plus 15 ans et que je pouvais aider. Parce que je sais de quoi il est capable.” Josepha raconte une scène qui s’apparente à une agression sexuelle, vécue lorsqu’elle était adolescente et qu’elle gardait les enfants du prévenu. Plusieurs femmes rencontrées par Marsactu ont aussi été entendues dans l’enquête pénale. En plus de toutes les personnes identifiées, les enquêteurs ont été destinataires de sept témoignages anonymes. 

Il y a enfin Marguerite*. Personne ne la connaît ici parce qu’elle a rencontré Jean-Philippe Dambreville dans le nord. Lorsqu’elle a appris dans la presse l’ouverture d’une enquête, Marguerite a envoyé un courrier, seule, au procureur d’Aix. Elle y raconte une agression sexuelle. “J’en suis très inquiet”, lâche le président. “C’est pas dans la prévention”, remarque à juste titre l’avocat de la défense. Le juge acquiesce et referme le dossier. La défense appelle une témoin. C’est une salariée du conservatoire, qui assure n’avoir jamais vu un seul geste déplacé. Elle dénonce une machination. Dans la salle, les soutiens du chef d’orchestre approuvent.

Si vous lui accordez la relaxe, vous lui offrez un permis de chasser. Cet homme est un prédateur. Il est dangereux, estime l’avocat de Julie, Pierre Carrascosa. Pour le ministère public aussi, “les faits sont graves et subis. Ils laissent de graves conséquences sur l’état psychique de la victime, qui ne souhaitait rien d’autre que de pouvoir travailler normalement. Dans la mesure où le casier judiciaire de Jean-Philippe Dambreville est vierge, 18 mois de sursis peuvent apparaître comme de lourdes réquisitions.

En défense, Philippe Bonfils a dénoncé la tenue d’un tribunal médiatique basé sur la rumeur. Et comment se défendre contre les rumeurs ? L’avocat a aussi souligné que seule Julie avait porté plainte, sur les milliers de femmes que Jean-Philippe Dambreville a croisées dans sa vie. Il est presque 23 heures ce vendredi soir lorsque le dossier est mis en délibéré. Le jugement est attendu au 4 juillet.

*Les prénoms ont été modifiés

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