Au Tholonet, les riverains défendent leurs villas contre les HLM

Enquête
le 10 Oct 2016
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Au pays de Cézanne, des villas à l’abri et de l’immobilier hors de prix, le plan local d’urbanisme est un enjeu stratégique. Remontés contre un projet de construction, des habitants d’un lotissement ont soulevé -en vain- le conflit d’intérêts d’un adjoint au maire pour dénoncer l’ouverture de ces terrains à l’urbanisation. Avec en toile de fond, la crainte de logements sociaux.

Au Tholonet, les riverains défendent leurs villas contre les HLM
Au Tholonet, les riverains défendent leurs villas contre les HLM

Au Tholonet, les riverains défendent leurs villas contre les HLM

Ils ont pour nom Chante Perdrix, Sau Marqua, Saint-Jacques, Mont-Joli. Au fil de la célèbre route Cézanne qui mène à la Sainte-Victoire depuis Aix, le Tholonet égrène un chapelet de lotissements. Oubliez les allées pavillonnaires aseptisées, ici nous sommes en zone “naturelle” et les villas de 300 mètres carrés avec piscine prennent place sur des terrains arborés de 3 000 m² minimum.

Depuis plusieurs années, des remous agitent ce petit monde dominé par le château de la société du canal de Provence. Mécontents du nouveau plan local d’urbanisme (PLU) adopté en 2013, 19 propriétaires du lotissement Chante Perdrix espéraient obtenir son annulation en justice. Après avoir perdu devant le tribunal administratif en novembre 2014, ils étaient devant la cour administrative d’appel le 22 septembre. Jeudi, elle a confirmé la validité du document d’urbanisme.

Ne pas déranger

Des remous ? À peine des vaguelettes. Pas un mot dans le magazine municipal, pas d’échanges d’invectives comme à Venelles ou Peynier. Joint par téléphone, un des contestataires accepte de nous expliquer la situation à condition de ne pas être cité. Pur lui, pas question de susciter une polémique. Malgré cette procédure, Chante Perdrix n’est pas en guerre contre la mairie, explique-t-il en substance. Le lotissement cherche seulement à éviter les constructions promises par le PLU via le classement de 7,3 hectares en zone AU (“à urbaniser”).

Au Tholonet, l’immobilier suit le canal municipal 1

Orientation d’aménagement du PLU pour le secteur Chanteperdrix. En orange, la zone ouverte à l’urbanisation. Chanteperdrix se situe à sa frontière ouest.

Si Chante Perdrix, n’est pas une résidence fermée, le visiteur est accueilli par des panneaux sens interdit, sous-titrés “Propriété privée”. À défaut de perdrix, le chant des oiseaux est à peine troublé par quelques voitures passant au loin étouffées par les hautes haies qui bordent les allées. L’autoroute A8, en contrebas, n’est pourtant qu’à 200 mètres, juste avant le hameau de Palette qui donne son nom à un vin rare mais réputé.

Difficultés de logement

Dans cette commune riche où la population s’est stabilisée depuis dix ans autour de 2200 habitants, c’est de loin le plus gros projet de construction dans les cartons. “Aujourd’hui très peu bâti, ce secteur pourrait porter un programme d’une centaine de logements (entre 100 et 140)”, table le PLU. Ce même document le range parmi les secteurs destinés à accueillir 20 % de logements sociaux.

Trop peu peuplé, Le Tholonet ne fait pas partie des communes tenues d’atteindre un taux de 25 % de logements sociaux. Ces constructions interviendraient donc à titre volontariste pour participer à l’effort du pays d’Aix afin de pallier les difficultés de logements sur le secteur. En témoigne ce calcul réalisé cette année par l’agence d’urbanisme du pays d’Aix :

Si l’on met en relation les prix de l’immobilier, les conditions d’emprunt et les niveaux de revenus dans les cinq principales villes du Pays d’Aix, la moitié des ménages ayant entre 30 à 39 ans ne peut acquérir un T3 (ou plus) à la revente sur sa commune de résidence.

Un adjoint très intéressé

Villas contre HLM, l’histoire paraît classique. Seulement dans son combat, Chante Perdrix a soulevé un argument explosif : le conflit d’intérêts d’un adjoint au maire, Patrick Hasbanian, dont la famille serait propriétaire de la plupart de ces terrains riches de promesses.

Patrick Hasbanian est bien propriétaire direct d’une parcelle de 5000 m², actuellement vierge de toute construction et située dans la zone propice. Or, il a voté le PLU de 2013 de même qu’une modification en 2015, sans signaler ce conflit d’intérêts. “Dans les petites communes, cela arrive souvent qu’un élu soit propriétaire d’un terrain. La jurisprudence est très stricte, il faut arriver à démontrer que sa participation a eu une influence concrète sur le projet”, soutient Julie Capdefosse, l’avocate de la Ville. C’est ce qu’a écarté le tribunal en première instance et ensuite la cour administrative d’appel :

Il ne ressort pas des éléments produits au dossier que celui-ci aurait pris une part active au débat lors de la séance au cours de laquelle a été adopté le PLU en cause, ni que sa participation en qualité de membre de la commission « travaux, aménagement et environnement » (…) aurait été de nature à exercer une influence effective sur la délibération en litige, adoptée à l’unanimité.

Mais ce n’est pas le seul Hasbanian dans l’histoire. Ainsi, un peu avant l’entrée du lotissement, un terrain de 10 000 m² attend patiemment la fin du conflit juridique. Stéphane Hasbanian, avocat parisien, a obtenu sur cette parcelle un permis de construire en 2013 pour une et une seule villa de 300 m².

Mais le nouveau statut de sa propriété pourrait ouvrir de nouvelles perspectives. C’est qu’au Tholonet, les prix de l’immobilier atteignent des sommets départementaux – si l’on exclut la Côte Bleue et Cassis – à plus de 3500 euros le m² dans l’ancien. Pour les logements collectifs neufs, les données sont rares, faute de projets récents. Mais chez la voisine Beaurecueil et dans les quartiers Est d’Aix, les prix dépassent 5000 euros le m².

Ironie de l’histoire, le même Stéphane Hasbanian, associé à Emmanuel, banquier montant de la place parisienne, a tenté sans succès d’obtenir une extension de la zone de développement. Le projet de lotissement “Le Domaine de Sima” qu’ils portaient sur un vaste terrain de 60 000 m² à quelques mètres de là aurait alors pu prendre une autre dimension. Une remarque lors de l’enquête publique n’ayant pas suffi, ils ont attaqué au tribunal administratif. Selon nos informations, ils se sont finalement désisté, se contentant des constructions permises par la zone “naturelle”. Obtenu en janvier 2016, le permis d’aménager est actuellement concrétisé par des travaux de terrassement.

Au Tholonet, l’immobilier suit le canal municipal 1

Carte des prix de l’immobilier dans la métropole. Le Tholonet s’inscrit dans la galaxie aixoise. Source : AUPA.

Les riverains se gardent bien d’agiter publiquement ce conflits d’intérêts. Il s’agit d’un simple levier juridique, au même titre que la défense d’une fleur protégée – la tulipe sauvage – d’insectes – la magicienne dentelée et la zygène cendrée – ou d’amphibiens – le crapaud calamite et le pélodyte ponctué – qui seraient menacés par le projet. La charge a toutefois obligé la commune à se justifier, par l’intermédiaire de son avocate, Julie Capdefosse. “Ils n’ont pas tout le secteur contrairement à ce qui a été affirmé. Et la famille Hasbanian est implantée sur la commune depuis très longtemps, il n’a pas forcément de lien direct avec eux”, rétorque-t-elle.

La mairie joue l’apaisement

Sans attendre la décision de la cour d’appel, la mairie avait déjà ajusté son projet. Une enquête publique pour une nouvelle modification du PLU s’est ouverte le 3 octobre. Exit la “mixité sociale” ciblée sur plusieurs secteurs, dont Chante Perdrix : l’implantation de logements sociaux se fera “au cas par cas”. Contactée, la mairie n’a pas souhaité s’exprimer sur ces évolutions.

Par ailleurs, “compte tenu de la dynamique constructive en place, et de la forte production de logements collectifs”, elle semble réduire la voilure sur Chante Perdrix, en scindant la zone en deux. Sur les deux hectares de la partie Est, “la volonté est de permettre une urbanisation plus douce, axée sur des typologies moins denses assurant une continuité urbaine avec le lotissement de Chante Perdrix”. Comme si, avant même que la justice parle, la municipalité avait entendu le sens de l’appel de ses administrés : éloigner les HLM du chant des perdrix.

Vous pouvez retrouver cette enquête dans le numéro d’octobre du Ravi, le mensuel régional d’enquête et de satire dont nous sommes partenaires.

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