Au port de Marseille, Castaner se pose dans la continuité, avec une touche de vert

Christophe Castaner le 24 janvier 2023 face à la presse. (Photo : VA)

Le discours est rodé. L’attitude assurée. C’est serein et bien préparé que Christophe Castaner s’est présenté devant la presse ce mardi matin, pour sa première conférence en tant que président du conseil de surveillance du grand port maritime de Marseille-Fos. Il y a deux mois tout pile, l’ancien ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron y a été élu, après de longues tergiversations. Depuis, c’était silence radio, hormis l’accueil du ministre des Transports début janvier. “J’ai fait une diète médiatique le temps de me préparer, mais aussi pour éviter qu’on me pose des questions sur d’autres sujets, auxquels j’aurais dû répondre”, se dédouane celui qui est pourtant connu pour apprécier les caméras.

“D’autres sujets”, comprendre, des sujets nationaux qui “[l]’occupent beaucoup”. Comme probablement la réforme des retraites, dont l’annonce a secoué le gouvernement au moment où Christophe Castaner devait prendre la tête du conseil de surveillance du port, en septembre 2022. “Si son élection a été repoussée, ce n’est pas pour rien. Le gouvernement n’a pas voulu rajouter de l’huile sur le feu”, glissait alors à Marsactu un acteur politique local proche de la majorité présidentielle tandis que la CGT du port manifestait contre ce “parachutage”. Depuis, des discussions ont eu lieu avec les syndicats et Christophe Castaner est bien là, avec sa nouvelle casquette de capitaine. Une casquette qu’il a choisie verte et enfilée sans faire de remous.

Couple “magique” et vieille feuille de route

Fidèle à son image de “déconneur”, c’est forcément avec quelques blagues que l’ancien maire de Forcalquier a pris place, aux côtés d’Hervé Martel, le directeur du GPMM, dans une petite pièce au-dessus de la salle de spectacle du Silo. “J’ai toujours rêvé de me produire au Silo, et avant que l’on monte sur scène ensemble, j’ai regardé la programmation, commence-t-il en se tournant vers le directeur. Ils passent bientôt le Lac des cygnes. L’histoire, comme nous, d’un couple magique.” Sans aller jusqu’à préciser qui jouera le prince et qui sera le cygne, Christophe Castaner, a déroulé dans les grandes lignes la feuille de route du port, celle qu’un président est censé faire respecter.

Ouverture sur la ville, objectif de décarbonation, mais aussi créations d’emplois… Rien de nouveau sous le soleil du GPMM où le thème de l’écologie est déjà mis en avant depuis plusieurs années. Il faut dire que Christophe Castaner prend ses fonctions en milieu de mandat. En pratique, il récupère donc la feuille de route 2020-2024 de son prédécesseur Jean-Marc Forneri, décédé soudainement en décembre 2020. Son titre : “Un port vert au service de l’économie bleue”.

Le développement industriel lié uniquement aux hydrocarbures est fini, la production des énergies de demain se joue ici.

Christophe Castaner, président du port

Pourtant, le nouveau président se vante d’arriver sur la place portuaire marseillaise “dans un moment charnière, de transformation”, où le “rapport à la réindustrialisation” doit être repensé. “Le développement industriel lié uniquement aux hydrocarbures est fini, la production des énergies de demain se joue ici”, lance Christophe Castaner qui assure “vouloir garder le caractère industriel”. “L’objectif de décarbonation se fait ici. […] Nous sommes à l’avant-garde de l’électrification à quai” et “sur le GNL, aucun port n’offre cette capacité” : l’envoyé du gouvernement se pose ainsi en garant de la transition écologique du port, avant de laisser à Hervé Martel le soin de rentrer dans les détails plus techniques. “Je connaissais le port de Marseille, mais en fait, je suis en train de le découvrir”, termine l’ancien ministre, soucieux d’apparaître les manches retroussées.

Christophe Castaner au côté d’Hervé Martel, directeur du GPMM. (Photo : VA)

Le directeur du port, qui a lui, une vision plus affinée et plus ancienne du GPMM, dresse de son côté un bilan positif de l’année écoulée. C’est en effet à lui que revient la charge de l’exécution de la feuille de route. En d’autres termes, il est le vrai capitaine et le prouve par sa connaissance sans faille des dossiers portuaires. Se faisant plus taiseux sur ceux qui n’avancent guère ou n’ont rien de glorieux, comme le projet du J1 par exemple (“voyez avec Vinci”), ou la chute libre du côté d’ArcelorMittal, très gros client du port qui a stoppé l’un de ses hauts fourneaux. Autant de dossiers que Christophe Castaner va devoir apprendre à maîtriser afin de manier la pirouette, comme son acolyte.

“Il faut les sous pour prouver que ce n’est pas de l’enfumage”

En tout cas, celui qui fût qualifié “d’éborgneur de gilets jaunes” il y a quelques années se tenait prêt pour la délicate question de ses relations avec les syndicats. “Je ne rejette ni les contraintes environnementales, ni les exigences sociétales. Ce que porte la CGT est parfaitement cohérent avec notre vision d’aménagement, nos investissements sur le multimodal, déroule-t-il. Mais ça serait présomptueux de dire que nous les avons rassurés. Eux vivent des inquiétudes profondes, qu’il faut entendre. Certains ont connu cette époque où la seule rente venait du pétrole, mais ça suffit et ça doit être notre feuille de route.”

De leur côté, les syndicats confirment ne pas être rassurés, même s’ils ont été entendus, disent-ils. “Nous attendons les investissements, les décisions. C’est bien beau les discours politiques mais maintenant, il faut les sous pour prouver que ce n’est pas de l’enfumage”, rappelle Pascal Galéoté, à la tête de la CGT du port. Moderniser le ferroviaire, améliorer les infrastructures de Mourepiane, celles des quais… Les projets d’investissement sont cités autant par les syndicats, qui demandent un plan d’urgence, que par le “couple magique”.

Il n’y a pas eu de rebonds du port en termes de projet et d’infrastructures pour compenser la baisse des hydrocarbures.

Pascal Galéoté, CGT

“Mais à part la transition écologique et le branchement à quai, il n’y a pas eu de rebonds du port en termes de projet et d’infrastructures pour compenser la baisse des hydrocarbures, poursuit Pascal Galéoté. Marseille en grand, le port en grand c’est bien beau, mais concrètement, il n’y a pas eu d’investissement.” Dans son bilan annuel, le port met en avant un volume de 60 millions d’euros d’investissement en 2022, hors projets portés par des acteurs privés, et une prévision à 80 millions cette année.

L’arrivée de Christophe Castaner à Marseille est-elle un bon signal pour la réalisation de la volonté d’Emmanuel Macron de faire de son port “une tête de pont de l’axe Rhône-Saône” ? Le nouveau président jure y travailler, sans pour autant annoncer des projets. “Si rien ne bouge, on va voir comment se positionner et comment réagir”, somme la CGT. Christophe Castaner, lui, est serein. “Les projets et les investisseurs ne manquent pas”, jure-t-il. Le plus dur serait donc seulement de faire les bons choix, pour aller dans le sens de l’histoire. Et ne pas rester à quai.