Lancé en grande pompe le marché de gros de Grand littoral “ne tourne pas comme espéré”

Reportage
le 3 Nov 2018
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Inauguré en février dernier, le MIF68, devait être le "nouveau centre de la mode de l'Europe du Sud". Pour le moment, ce lieu dédié aux grossistes textile et accessoires de mode peine à atteindre le rayonnement escompté.

Lancé en grande pompe le marché de gros de Grand littoral “ne tourne pas comme espéré”
Lancé en grande pompe le marché de gros de Grand littoral “ne tourne pas comme espéré”

Lancé en grande pompe le marché de gros de Grand littoral “ne tourne pas comme espéré”

Les places ne manquent pas sur le parking. Dans l’une des deux allées bordées de containers-boutiques, un couple repart bredouille. Dans l’autre, on charge un camion. Bref, ce n’est pas la ruche au MIF68, centre de grossistes de vêtements et accessoires inauguré en février dernier aux pieds du centre commercial Grand littoral (15e). Lors de son ouverture, le MIF68 était pourtant présenté comme le “nouvel Aubervilliers”, dans l’espoir de devenir comme ce spot parisien une plaque tournante en Europe du commerce de gros dans le domaine du prêt-à-porter. Mais, presque un an après une inauguration en grande pompe, ce pôle qui est censé accueillir à terme 250 boutiques, peine à décoller.

Selon les fondateurs du projet, 20 % des locaux disponibles (94 lots de 196 mètres carrés et un de 80 dans des containers aménagés en boutiques donc) du MIF68 sont à ce jour inoccupés. “Je préfère voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide et dire que nous sommes remplis à 80 %. Au printemps prochain nous seront à 100 %, espère Guvan Lemée, l’un des fondateurs du lieu. Et cela est complètement normal. À Aubervilliers et Badalona [en Espagne, ndlr], il leur a fallu six ans pour se lancer. Par rapport à tous ces référents, on est les plus rapides en terme de remplissage.” Mais l’impression de vide se fait toujours ressentir parmi les clients venus pour se réapprovisionner sur place, comme en témoignent de nombreux commentaires sur Internet. Et si les brochures mentionnent le MIF68 comme un “centre de la mode”, ici, le textile n’est pas le seul produit. On trouve aussi des accessoires de téléphonie et même de la Hi-Fi. En gros, toujours.

Capture d’écran de commentaires laissés par des internautes sur la fiche Google du Mif68.

“Les gens ne connaissent pas le MIF68”

Le MIF68, comme vous le racontait Marsactu il y a quelques mois (lire notre article), est né de l’initiative de trois hommes : le promoteur marseillais Xavier Giocanti, son associé Guvan Lemée et l’ancien président de l’association des commerçants chinois de Belsunce Dingguo Chen. Ces trois hommes (dont seul Dingguo Chen est grossiste dans la zone) ont donc fondé la SAS MIF68 dont l’activité principale est la location de biens immobiliers. Quatre autres commerçants de la communauté asiatique en France les ont rejoints au capital. “Mais l’un d’entre eux est déjà parti”, confie-t-on, sous couvert d’anonymat dans un des magasins de la plateforme de gros, où tous les commerçants ne sont pas aussi sereins pour leur avenir que Guvan Lemée.

Plusieurs commerçants déplorent un démarrage difficile en espérant des jours meilleurs.

“Ça ne tourne pas vraiment comme on l’espérait. Pour ma part, je me laisse un an. Si dans un an c’est toujours pareil, j’irai ailleurs”, glisse-t-on dans une boutique. En cause, selon plusieurs commerçants, le manque de publicité “à l’extérieur de Marseille”. “Les gens qui viennent d’ailleurs ont entendu parler de nous par du bouche-à-oreille. Mais sinon les gens ne connaissent pas le MIF68”, explique une jeune femme qui a profité de l’ouverture du lieu pour se lancer dans le commerce de gros de prêt-à-porter. Dans la boutique qui jouxte la sienne, le constat est le même. “Des gens viennent de Troyes ou de Saint-Étienne c’est vrai, mais ce sont des anciens clients à nous. On travaille toujours sur notre ancienne base, il n’y a pas de nouveaux clients”, y déplore-t-on.

Conscient de cette lacune, Guvan Lemée compte bien y remédier. “Nous avons des réunions prévues prochainement pour mettre en place des campagnes de marketing pour faire connaitre le MIF dans tout le sud de la France. Nous prenons en main la stratégie de communication.” Outre l’absence de notoriété, un autre point de blocage ressort dans la bouche des commerçants qui ont tenté l’aventure : le montant du loyer.

2050 euros pour un local

Connaître le montant réel du loyer relève de la gageure. Un seul commerçant interrogé évoque un montant de 1750 euros auquel s’ajoutent 300 euros de charges pour un local. Ni ses collègues, ni Guvan Lemée ne souhaitent le confirmer. “À Aubervilliers, ils offrent carrément un an de loyer à ceux qui se lancent. Ici, ils ont finalement baissé le loyer au printemps dernier et ce pour an mais ça ne suffit pas”, explique le locataire de l’une de ces boutiques-containers. “Nous avons fait un effort dès le départ, comme dans tous les centres qui se lancent”, dément de son côté Guvan Lemée.

Si certains commerçants déplorent le prix trop élevé du loyer, ce n’est pas le cas de tous. “Il y a la sécurité, le parking, de l’espace, de la publicité ! À un moment tout cela à un prix, estime en revanche le responsable de la boutique France Led Display au MIF68. Ça, vous ne l’avez pas dans le centre-ville.” Ou plus précisément, rue du Tapis-Vert à Belsunce, cœur historique du commerce textile de gros à Marseille, que le MIF68 était censé remplacer. Pour le moment, peu de grossistes ont fait le déménagement. “Nous sommes une petite dizaine seulement à venir du centre-ville, renseigne l’un d’eux. La plupart vient plutôt de Paris, d’Italie, ou encore du Portugal.” 

“Lobbying de Tapis-Vert”

Avant même toute question à ce sujet, Guvan Lemée préfère prendre les devants. “Je sais qu’il y a un lobbying de la rue de Tapis-Vert qui souhaite créer toute une polémique [autour du MIF68]. Parce que finalement Marseille est comme ça, elle adore les polémiques, les rumeurs.” Ce qui semble en tout cas avéré, c’est que rue du Tapis-Vert, le MIF68, comme c’était déjà le cas avant son ouverture (lire notre article), ne recueille toujours pas beaucoup d’avis favorables. “C’est une belle connerie”, “Ça n’a aucun intérêt”, “Ils ont fait ça uniquement pour se mettre de l’argent dans la poche, pas pour les commerçants” : dix mois plus tard, les critiques ne se font pas plus tendres.

“Un blocage de la communauté israélite”, croit savoir le fondateur du projet questionné par Marsactu. À l’origine, le commerce de gros de Belsunce était tenu par des commerçants juifs qui travaillaient essentiellement avec une clientèle venue du Maghreb. Une origine que l’on retrouvait également parmi les vendeurs. Au début des années 2000, de nombreux magasins ont été rachetés par des commerçants d’origine chinoise, souvent venus de la région parisienne.

Contrairement à ce qu’avance sans nuance le propriétaire, les réserves viennent de toutes parts. “Si nous devions bouger, nous irions à Aubervilliers, pas au MIF68, confie-t-on parmi les commerçants, entre autres, asiatiques de Belsunce. Pour que ce projet marche, il aurait fallu que tout le monde suive. Mais le MIF n’arrive pas au bon moment. Il y a une crise générale.” Guvan Lemée ne peut nier cette crise du secteur. Mais selon lui, c’est justement en quittant le centre-ville que l’on peut relancer l’activité dans le sud de la France.

“À Bordeaux et à Lyon, les grossistes vont disparaître car on est à une heure de Paris en TGV. Mais si on réfléchit dans une logique Nord-Sud, et que l’on prend en compte les caractéristiques méditerranéens de cette activité, on peut aisément réussir à garder au moins 200 grossistes sur Marseille, analyse-t-il. Ce qui est sûr, c’est que ça ne sera pas à Tapis-Vert. Tous les marchés de gros qui fonctionnent se situent en banlieue.”

Parmi les grossistes de la plateforme, certains ne perdent pas espoir. “C’est difficile pour tout le monde, mais on espère qu’ici, ça ira mieux l’année prochaine. Ça va se faire petit à petit, se rassure une commerçante. Mais il ne faudra pas attendre plus, car dans ce milieu, on se fait vite une mauvaise réputation.” 

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Commentaires

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  1. Tarama Tarama

    Encore un fail dont cette ville a le secret.
    C’était ça le fameux “chinatown” marseillais ? Monsieur Lagarde n’a pas un assez gros carnet d’adresses ? A moins que comme d’autres illustres promoteurs locaux, il ait fait son business au moment de livrer le truc, et ce qui se passe ensuite ne le concerne plus.

    Tout ça pour un royaume des babioles importées qui plus est.

    “À Bordeaux et à Lyon, les grossistes vont disparaître car on est à une heure de Paris en TGV”, on comprend que si toutes les analyses sont aussi pointues, leur truc est en effet mal barré.

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  2. Alceste. Alceste.

    Nos lumières locales qui ne sont en fait que des loupiotes ont un mot magique à la bouche : capitale.
    Marseille capitale de ceci , Marseille capitale de cela. La dernière tartarinade trouvée était “Marseille centre (sous entendu capitale) de la mode l’Europe du Sud”.
    Nous en avons le résultat ,cela vient de faire Pschiiiiit, comme d’habitude. Cela n’était pas écrit mais fortement prévisible de la part de nos lascars.
    Alors que vont-ils encore nous trouver: la création d’un centre spatial, d’un institut de recherche sur les marées, un “hub” commercial de la tong, un centre de recherche sur le muge ?
    Je crains le pire.
    Que voulez vous notre bon Pagnol les auraient définis” comme bons à rien et mauvais en tout”.

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