[Au fond des filets] Sur le port de Saumaty, la criée navigue à vue

Série
le 17 Août 2021
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Le pêcher, le vendre, le cuisiner... Le poisson est une tradition à Marseille, mais qu'en reste-t-il ? De l'hameçon à l'assiette, Marsactu part à la pêche. Pour notre quatrième volet : reportage à Saumaty, port de pêche inauguré au nord de la ville en 1976. Si le lieu semble aujourd'hui presque déserté, l'activité économique se maintient.

Sur les 40 grossistes présents il y a 40 ans, il en reste moins d
Sur les 40 grossistes présents il y a 40 ans, il en reste moins d'une dizaine aujourd'hui. (Photo C.By.)

Sur les 40 grossistes présents il y a 40 ans, il en reste moins d'une dizaine aujourd'hui. (Photo C.By.)

Dans la vaste halle, l’activité sonne creux. Ce matin de la toute fin du mois de juillet, ils ne sont que cinq grossistes à travailler dans le hangar principal du port de Saumaty. Au fil des années, le lien que Marseille entretient avec sa filière pêche, activité séculaire s’il en est, s’est distendu. Les petits pêcheurs sont de moins en moins nombreux, les poissonneries se raréfient. Le lent endormissement de la criée de Saumaty en est un autre symbole.

Octobre 1976. La criée quitte le quai de Rive-Neuve. Fini le marché aux poissons grouillant au cœur de la ville. Exit les poissonniers et poissonnières dont les cris de rabattage ambiancent le Vieux-Port. Au pied du phare de Mourepiane, juste avant l’Estaque, la Ville crée une anse et inaugure le port de Saumaty avec sa “Nouvelle criée du chalutage”. Quatre hectares de plan d’eau et autant de terre-pleins, des infrastructures à la pointe des années 70 : boxes pour pêcheurs, tour à glace, ateliers de mareyeur, point d’avitaillement en carburant, usines de découpe… L’objectif est d’accueillir et développer la filière. On nage encore en plein âge d’or de la pêche locale.

Le nombre d’embarcations va se raréfiant le long des quais du port. (Photo C.By.)

Le constat est simple : la pêche locale, florissante jusque dans les années 90, n’existe quasiment plus.

En 2006, l’office de la mer comptabilisait 126 “petits métiers” (bateaux de moins de douze mètres : fileyeurs, palangriers…), douze chalutiers, huit lamparos et six thoniers-senneurs en activité à Saumaty. Ce matin d’été 2021, le long des quais, il ne reste qu’une dizaine d’embarcations : un chalutier et deux lamparos côté criée et, de l’autre côté de l’anse, une poignée de petits bateaux. Le constat est simple : la pêche locale, florissante jusque dans les années 90, n’existe quasiment plus.

Selon la société gestionnaire du site, la Somimar – au sein de laquelle la métropole est majoritaire –, le port accueille aujourd’hui moins d’une dizaine d’entreprises de mareyage et vingt-cinq patrons pêcheurs en tout. Soit une soixantaine d’emplois directs. Le petit bar et le restaurant ont fermé depuis des lustres. L’endroit dégage une certaine beauté, pourtant. Les rituels amas de filets colorés et l’air chargé d’iode lui offrent le charme des petits ports de pêche, mais l’ensemble paraît englué dans la léthargie estivale.

“Que voulez-vous, il n’y a plus de pêche locale”

Dans la halle de 6500 mètres carrés, le sol patiné par 45 ans de marchés quotidiens est rendu glissant par l’eau et la glace qui fond. Les petits détaillants ont disparu, seuls sont restés les grossistes. “Que voulez-vous, il n’y a plus de pêche locale”, relève Cyril Palazzotto le patron de l’entreprise RM Marée. À quelques pas de là, un employé en marinière tranche d’un coup de main expert les grosses têtes bouffies de baudroies. “Regardez, il y a plus que des anciens, là  ! On n’a pas de relève. Les jeunes ne veulent pas faire ce métier”, peste-t-il. Dans cet espace tout en longueur, le ballet incessant et les gueulantes des crieurs ont cédé la place aux réguliers bip bip bip des portables et au silence des ordinateurs.

Cinq grossistes travaillent ce matin-là dans la halle de la criée de Saumaty. Ils achalandent les restaurants, poissonniers et collectivités du cru. (Photo C.By.)

De grosses caisses en polystyrène dépassent les nageoires caudales de solides thons. RM marée achalande restaurateurs, hôtels et collectivités du département. Sur les boites, écrits à l’encre bleue, les noms “Bords de mer”, “Cercle des nageurs” ou “Carmine” désignent les destinataires. C’est la pleine saison des thonidés : thon rouge, pélamide, thonine… Cyril Palazzotto fait claquer les élastiques qui retiennent le couvercle d’une des boites blanches. À l’intérieur une longue sériole, lointaine cousine pélagique du thon, aux délicats reflets bleutés va être livrée. En slalomant entre les palettes, le mareyeur qui écoule en moyenne de 10 tonnes de marchandise par semaine, indique vendre majoritairement des produits de Méditerranée.

On est tués par l’import. Une ville comme Marseille qui n’a quasiment plus de port de pêche, c’est quand même dommage…

Un employé

Les caissons en polystyrène, comme l’annoncent leurs étiquettes, proviennent d’Espagne, de Grèce ou d’Italie, mais aussi d’autres ports français plus lointains, de l’Atlantique. La mer est à deux pas, mais ces marchandises arrivent par camion. La pêche locale représente désormais moins de 20% des transactions.

Sur un stand, débarque un vieil habitué. Il scrute les cagettes, le nez au ras des langoustines, supions, merlans et autres pageots. Finaud, il négocie des fins de stocks. “Allez, pour toi, c’est 4 euros le kilo de lisette [un petit maquereau, ndlr] et 6 celui de poulpe”, glisse d’un ton canaille un employé. L’homme repart avec 10 euros de calmars et de crevettes. Un employé souffle : “On est tués par l’import. Une ville comme Marseille qui n’a quasiment plus de port de pêche, c’est quand même dommage…”

Lisettes, langoustines, baudroies, poulpes ou seiches… seront ensuite livrés à leurs acheteurs. (Photo C.By.)

Devant l’étal de Sud-Est marée, la plus vieille entreprise du site, de gros sacs de moules forment des pyramides. Des caisses de daurades et de loups vont bientôt être expédiées. “Avant, c’est vrai, ça grouillait ici. Il y avait du monde de partout et du va-et-vient”, admet Marc Limonta, le gérant de cette société familiale. Une filière en voie de mort lente ? Le patron fait un signe de dénégation. “Non. Ça évolue, ça change. Mais le travail est là. Il faudra toujours livrer du poisson aux restaurateurs. Ici, le poisson ne fait que transiter. Nos clients ne se déplacent plus jusqu’ici.”

Les lieux se vident, mais l’activité progresse

Il y a 15 ans, près de 15 000 tonnes de produits de la mer – pêchés dans le quartier maritime de Marseille ou d’importation – étaient commercialisés annuellement à Saumaty. Aujourd’hui, le tonnage a nettement augmenté. “En 2019, on était à 40 000 tonnes, précise Marc Dufour, le directeur général de la Somimar. Le nombre de mareyeurs s’est réduit, parce qu’ils se sont rachetés les uns, les autres. Ils étaient une quarantaine il y a 40 ans, ils ne sont plus que 8 ou 9 aujourd’hui. Mais ils vendent plus, notamment aux grandes surfaces.”

Ce paradoxe, Michel Mistral, le responsable de la tour à glace, gérée par le Silim, filiale de la Société des eaux de Marseille (groupe Veolia), l’observe aussi. Dans le silo, la glace stockée au premier niveau tombe avec fracas dans un gros bac avant d’être mise en sachet. Depuis 1976, l’édifice de 30 mètres de haut fabrique et fournit, avec ses 5000 tonnes annuelles, la glace nécessaire aux mareyeurs et aux poissonniers locaux. “Il ne reste presque plus de pêcheurs et les grossistes sont moins nombreux sur le site, mais la demande ne baisse pas”, analyse Michel Mistral. Ces dernières années, des professionnels se sont installés dans d’autres quartiers de la ville. Loin de la mer.

Édifiée en 1976, la tour à glace produit 600 à 700 tonnes de glace par mois durant l’été. (Photo C.By.)

Le site de Saumaty vivote. Et son avenir s’écrit dans un brouillard épais comme une entrée maritime d’automne. Une délibération d’octobre 2015 de la communauté urbaine décide de son réaménagement. En actant “la création d’une opération “Restructuration port Saumaty pêche” et l’affectation de l’autorisation de programme d’un montant de 10 millions d’euros.” Un an plus tard, la métropole Aix-Marseille-Provence missionne la société publique d’aménagement Soleam pour l’assister dans ce projet. Il est question alors de regrouper les activités pêche sur la partie ouest du site et d’installer sur les zones libérées d’autres activités industrielles maritimes.

Nouvelle halle et des pontons pour les pêcheurs

Et depuis ? “Rien”, répond Cyril Palazzotto dans un haussement d’épaules. Marc Dufour y croit néanmoins. Une nouvelle délibération de décembre 2020 constate “une exploitation très déficitaire et une sous-utilisation manifeste d’un espace rare”. Et envisage la construction d’une nouvelle halle plus petite et frigorifiée sur le site de deux usines désaffectées. Il est également question du remplacement des boxes de pêcheurs, devenus inadaptés et de la construction de pontons qui leur seraient dédiés. “Il s’agit d’un programme esthétique et performant, assure le patron de la Somimar qui voit dans le site futur “un lieu à la fois industriel et touristique”.

Restera, ensuite, à déterminer quelles activités trouveront place dans l’actuelle halle de la criée. Pour l’heure rien n’est tranché. Le projet mettra encore des mois à éclore. Durant lesquels les ambitions de restructuration vont rester tanquées comme un pointu sur un traitre banc de sable.

Actualisation le 30/08 : la mission de la Soleam était d’assistance à maîtrise d’ouvrage et non de maîtrise d’ouvrage, comme écrit initialement. Nous avons également retiré la référence au rapport de la chambre régionale des comptes, qui concernait la concession de la ZAC Saumaty-Séon et non cette mission.

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Commentaires

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  1. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Où l’on retrouve la légendaire Soleam, ce puits sans fond où les projets entrent puis disparaissent mystérieusement.

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    • Malleus Maleficarum Malleus Maleficarum

      Faux : après vérification, la SOLEAM n’a été titulaire que d’un mandat d’études. Ils n’ont jamais été maître d’ouvrage de quoi que ce soit sur ce site (confusion avec la ZAC de Saumaty Séon, hideuse mais distincte du site de pêche).

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  2. barbapapa barbapapa

    La plupart des poissons proviennent d’élevage, par ex sur une photo, une caisse “Loch Stuart” c’est du saumon d’élevage en Ecosse – tout ce qui vient de Grèce, c’est de la daurade et du loup d’élevage… Cette façon de fonctionner, très polluante par ailleurs, pille les ressources de la Méditerranée et de tous les océans. Ces élevages de poissons sont nourris avec d’autres poissons pêchés/massacrés par millions de tonnes sans distinction aucune, alevins, fourrage, espèces protégées qui sont ensuite broyés et déshydratés. Presque tous les loups ou daurades servis en restauration proviennent de l’élevage, même lorsque c’est garanti “pêche locale”. Certains rares restaurants arrivent à acheter du poisson de la petite pêche lorsqu’il y en a, et malheureusement quelquefois des poissons fléchés !

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  3. Alceste. Alceste.

    Marsactu, je pense que vous avez omis de parler du projet de traitement des thons ( et pourtant ils ne manquent pas à Marseille) qui une fois construit n’a même pas ouvert il y a une quinzaine d’années au moins , il y a même encore les plastiques sue les machines.Concernant cette zone, certains favorisés de l’ancienne mairie ont obtenu aussi des conditions plus qu’avantageuses pour l’achat de locaux.Mais si l’on est élu et que l’on ne peut faire des cadeaux aux copains , quel avantage d’être élu.

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  4. Pascal L Pascal L

    Comme je le disais dans un commentaire sur la privatisation du littoral, cette zone de faible activité qui n’est finalement qu’un groupement d’entrepôts quais exclusivement livrés par camion, pourrait être située ailleurs ce qui permettrait de rendre le littoral accessible çà la population des quartier nord.

    Dans le même genre on a les silos et la semoulerie de Bellevue (autrefois ilo y avait une belle vue …) “dits Panzani” car revendus plusieurs fois depuis avec le convoyeur à bande (tapis roulant) en passerelle qui passe au dessus de l’autoroute un entrepôs sur le port alors que là encore tout est livré par camion et donc pourrait être installé ailleurs. Il y a probablement que 20 emplois industriels pour une occupation énorme du littoral. La plupart des employés de la dite semoulerie étant des employés de bureau qui pourraient être dans n’importe quel bureau.
    On ajoute les parkings de départ pour les pays de la méditerranée et on constate que la plus grande partie des quartiers nord est privée de littoral, au nom d’une activité économique qui s’est réduite comme peau de chagrin.

    Alors que des emplois pour des activités de loisirs pourraient facilement se développer dans cette zone littorale très bien desservie et entourée d’une population dense.

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  5. didier L didier L

    Rendre enfin la mer accessible ne serait pas une idée inutile … A Marseille entre le port autonome et les espaces que vous décrivez autour de Saumaty la mer est mise en cage sur une grande partie du littoral. Ouvrir, ouvrir utiliser ces espaces et mieux les partager entre activités économiques et espaces de détentes et de loisirs comme cela a pu être fait dans d’autres grandes villes tel Barcelone ou Gêne. Mais Marseille comme toujours a 25 ans de retard et des administrations concurrentes qui défendent leurs espaces et leurs privilèges au détriment de l’intérêt général. Les lourdeurs procédurières …

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  6. Jean-Pierre LA8 Jean-Pierre LA8

    Les riverains n’en peuvent plus des désagréments produits par cette criée : odeurs nauséabondes dès les premières chaleurs, tour à glace bruyante. Votre enquête apparaît bien incomplète.

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  7. Malleus Maleficarum Malleus Maleficarum

    Cet article comporte une erreur : la SOLEAM est concessionnaire de la Métropole pour la ZAC de Saumaty Séon qui n’intègre pas le site de la criée. Sur ce site, la SOLEAM n’a été titulaire que d’un mandat d’études, qui n’a fait l’objet d’aucune décision. Pour une fois, ils ne sont pas (vraiment) concernés.

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    • Julien Vinzent Julien Vinzent

      Bonjour, il y a bien eu une intervention de la Soleam sur Saumaty. En revanche, il s’agit effectivement une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage et non d’une maîtrise d’ouvrage comme écrit initialement. Nous avons également retiré la référence au rapport de la chambre régionale des comptes, qui concernait effectivement la concession de la ZAC et non cette mission.

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