Le couvent Levat, passé du vœu de silence à l’expression artistique
Le Couvent Levat de la Belle de Mai a bel et bien enterré son passé religieux. Désormais, l'association culturelle Juxtapoz y héberge 83 artistes de tous horizons. Reportage dans ce lieu atypique mis à disposition par la Ville pour trois ans.
Juxtapoz est installé dans le couvent Levat depuis 2017. (Photo : Violette Artaud)
Dans l’étroite rue Levat, à la Belle-de-Mai, les va-et-vient sont incessants. Au numéro 52, une petite porte en bois s’ouvre et se ferme sans cesse au gré des passages. Au dessus d’un immense portail peint de triangles bleu turquoise, un panneau assorti de lettres en bois nomme le lieu : “LE COUVENT”. Mais si, derrière le mur, une croix s’élève en haut de l’édifice, la typographie n’annonce rien de très religieux.
Pourtant, il y a tout juste un an, le couvent remplissait encore sa fonction principale. En son sein, une congrégation de religieuses ayant fait vœu de silence s’adonnaient aux pratiques spirituelles.
En décembre dernier, plus de 150 ans après avoir investi la bâtisse, les religieuses des Victimes-du-Sacré-coeur-de-Jésus, considérant ne plus pouvoir poursuivre leurs activités monacales en centre-ville, ont décidé de quitter l’endroit. En achetant le lieu et avant de savoir quoi en faire, la mairie de Marseille a décidé de lancer un appel à projet pour éviter qu’il ne reste vide ou qu’il serve de refuge à des mal-logés. Au bout de cet appel à projets, les murs du couvent ont connu une véritable révolution. Passant de l’art de méditer dans le silence à l’art de s’exprimer par tous les moyens possibles et inimaginables. Comme souvent dans ces cas-là, les artistes servent ainsi d’avant-garde d’une transformation plus profonde, notamment à travers le projet Quartiers libres, prévu à quelques pas à peine.
Désacralisation préalable
“D’abord, il a fallu faire des travaux. Le plus long, ça a été d’installer l’électricité, les sœurs ne s’éclairaient qu’à la bougie”, raconte Élodie Gaillard, chargée de communication de l’association Juxtapoz qui a pris la gestion du couvent. Juxtapoz, qui œuvre pour la promotion de la culture urbaine, est notamment à l’origine du projet Aux tableaux dans l’ancienne école Saint-Thomas d’Aquin (6e). L’équipe a débuté ici une nouvelle aventure. Après trois mois de travaux et 30 000 euros environ d’investissement, le couvent de la rue Levat a lui aussi changé de vie : 83 artistes marseillais, nationaux et internationaux aux disciplines multiples y ont établi leurs ateliers.
Dans les cellules des sœurs, de 7 m² chacune – certaines cloisons ont été démolies pour faire des pièces de 14 ou 21 m² -, les croix aux murs ont été retirées. À la place des bureaux, des plans de travail, des étagères pleines de pinceaux, des chevalets, des fours à céramique ont été installés. La chapelle, elle, sera désormais un espace de répétition et de diffusion. “Les sœurs ont tenu à désacraliser le lieu. Elles n’ont pas pu le faire elles-mêmes, mais elle ont demandé à des gens d’enlever toutes les croix et statues qui restaient”, poursuit la jeune femme.
Le lieu est immense : 1,7 hectare en pleine ville dont quelques 1700 m² de bâti et le reste de jardin, soigneusement entretenu pendant plus d’un siècle par la congrégation. Entre les vignes et le poulailler, dans une petite dépendance aux grandes baies vitrées, Pascale est assise devant son tour. Un vase prend forme. “Ici, c’est le top, je travaille avec vue sur la verdure, entame la céramiste qui a probablement le plus bel atelier du couvent. Si je n’avait pas cet atelier, je serai surement seule chez moi”, poursuit-elle. Ici, les artistes payent 7 euros par mois le mètre carré. Soit 49 euros pour un atelier de 7 m², 98 pour un de 14 m² ou encore 147 pour 21 m². Juxtapoz jouit d’une mise à disposition précaire des lieux qui court sur trois ans. Les charges et taxe d’habitation demeurent aux frais de l’association.
De l’aube à la doudoune fluo
Au premier étage du couvent qui en compte deux, les Robins des villes planchent sur un projet d’urbanisme. Leur credo ? Connaître, partager et transformer le “cadre de ville” avec ceux qui y vivent. Ils travaillent notamment dans le cadre des Maîtrises d’œuvre urbaine et sociale des projet de rénovation urbaine. Difficile d’imaginer qu’il y a un an, deux sœurs dormaient encore dans ce qui est aujourd’hui leur bureau. Les couleurs et la pagaille ont effectivement rempli la pièce. Des plans de la cité d’Air-Bel et des vues aériennes de Marseille sont accrochés aux murs, des post-it collés un peu partout, des piles de dossiers s’entassent…
“J’ai visité le lieu lors d’une balade urbaine organisée dans le quartier. C’est là que j’ai rencontré les membres de Juxtapoz, se souvient Florent Fresneau. C’était pile le moment où l’on cherchait un lieu pour s’installer”. Les cinq jeunes membres de l’association ont alors sauté sur l’occasion. Et tant pis pour le chauffage. “C’est trop grand, on a interdit le chauffage électrique, sinon on ne pourrait pas couvrir les frais. Alors ici, c’est chauffage au gaz ou poêle à bois”, détaille Élodie Gaillard. Ou encore, blouson de ski. Les Robins des villes travaillent équipés de manteau ou doudoune fluo.
Mapping sur la grange
Mais ce jeudi soir, c’est du côté de la grange que ça se passe. Des dizaines de personnes parmi lesquelles des proches des résidents sont conviées à un premier vernissage, qui prendra la forme d’une performance. Dans la cour, des braseros accompagnés de tas de bûches et des chaises de jardin multicolores ont été disposés. Sur la façade de la grange qui arbore de vieilles fourches, un dessinateur projette ses réalisations sur fond de musique électronique. À l’intérieur, point de bottes de foin. L’art numérique a pris ses aises.
L’association Délétère a transformé la grange en laboratoire de recherche et de production d’arts numériques. Des souris d’ordinateur y côtoient de vieux outils rouillés datant de l’ancienne vie du couvent. Adelin Schweitzer, plasticien, est le chef de ce projet à la croisée de la science et de l’art. “Je cherche à observer les réactions du corps et de l’esprit de l’homme quand celui-ci est en lien avec une réalité virtuelle, j’organise des sortes d’expériences chamaniques guidées par les nouvelles technologies”, explique l’artiste.
Étoile satanique et vin chaud
Au grenier, Lucien Gaudion, titulaire d’un diplôme national supérieur d’expression plastique et passé par le conservatoire de Marseille, peaufine son installation faite de néons équipés de micros de guitare, de rallonges et d’un ordinateur. Sur l’écran, une étoile satanique clignote. L’univers sonore et visuel qui s’en dégage est déstabilisant. “En fait, nous avons mis au point trois installations connectées qui réagissent entre elles en s’envoyant des signaux binaires par wifi”, détaille Lucien.
À ses côtés, Naoyuki Tanaka, performeur et programmateur japonais enfile l’une des trois installations. Il s’agit d’une prothèse qu’il a lui-même confectionnée et qui prolonge son bras de trois tentacules lumineuses. Nao, de son nom d’artiste, s’apprête à jouer sa performance devant des visiteurs dont les bras sont eux prolongés par des verres de vin chaud. Espérons que les anciennes résidentes ne décident pas de passer dire bonjour ce soir là.
Outre l’accès libre au public des jardins qui se fait actuellement les mercredis et un dimanche par mois, l’association Juxtapoz envisage d’ouvrir le Couvent plus largement à partir du printemps prochain. Notamment avec la mise en place d’une exposition sur l’art urbain mêlant une trentaine d’artistes de divers horizons.
Au delà, le projet serait d’ouvrir encore plus grand les portes en proposant aussi un lieu de vie ouvert quatre mois par an, où se restaurer, assister à des projections, des conférences voire, et pourquoi pas, en faire un lieu qui pourrait aussi être festif et qui proposerait, à l’image de la Friche, des soirées jusqu’à 23 heures. Le chemin de croix des mises aux normes et démarches administratives ne fait que commencer. Avant une transformation plus définitive du lieu.
(Pour un meilleur visionnage du diaporama, activez la flèche de plein écran, en haut à droite)
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Commentaires
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Ca serait bien de faire un espace vert dans un quartier qui en manque tant.
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Le couvent Levat fait partie du périmètre de réflexion du projet Quartiers Libres, espérons que les urbanistes voudront et pourront intégrer un espace vert à cet endroit.
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