Arménie, des mémoires vivantes
Arménie, des mémoires vivantes
La silhouette frêle et le sourire angélique de l’américaine Kathryn Cook cachent une force de caractère et une détermination hors du commun. Son travail, Memory of trees, composé de cinquante tirages et d’une scénographie incluant des enregistrements en plusieurs langues mêlées, est le résultat d’un long périple au cours duquel la photographe a sillonné la Turquie jusqu’à la frontière syrienne, le Liban et les État-Unis à la rencontre de la diaspora arménienne.
En 2006, lorsqu’elle se rend pour la première fois en Turquie, « sans avoir l’idée de travailler sur ce sujet », elle apprend par hasard l’existence de l'article 301 du code pénal Turc interdisant "tout dénigrement" de l'identité turque, de l'Etat turc, de son gouvernement et de ses institutions. Dans ce cadre là, quiconque surpris à mentionner l'existence du génocide arménien peut être sévèrement puni. La même année une macabre découverte se fait jour : des fosses communes exhumées à la frontière syrienne dévoilent les restes de victimes arméniennes de 1915. Le long parcours de Kathryn Cook la mène finalement à Marseille, asile pour de nombreux rescapés du génocide – la communauté arménienne s’y élève à près de 100 000 personnes – telle Obsana, présentée comme la plus ancienne survivante du génocide.
Aller de l'avant
Accueillie en résidence par la JAF de mars 2011 à septembre 2012, la jeune femme poursuit son travail de mémoire, recueillant photographies et témoignages. La démarche de Kathryn Cook est motivée par une volonté d’interroger cette mémoire commune, de susciter et d'encourager la discussion afin de construire un futur pacifié entre les peuples : « Ce qui m’intéresse est la manière dont on transmet la mémoire. Dans le cas de la communauté arménienne de Marseille, je cherche à connecter, à rétablir un lien entre l’endroit où elle était originaire et l’endroit où elle s’est implantée. »
Le titre même de son travail, Memory of trees symbolise une farouche volonté d’aller de l’avant : lorsque la photographe prend connaissance de l’existence d’un petit village, Agacli, dont le nom arménien signifie « l’endroit des arbres », elle se rend sur place, au sud-est de la Turquie. Elle découvre alors que la tradition d’élevage des vers à soie a perduré générations après générations, en dépit de l’épuration ethnique de 1915, faisant près d’un million cinq cent mille morts. Travaillant également sur le génocide rwandais, et d’une manière plus large sur la conscience collective des sociétés post-génocidaires, l’artiste a publié ses clichés dans l’ensemble de la presse internationale, d’Orient et d’Occident.
Réflexion commune
Le projet s’inscrit dans le cadre des ateliers de l’EuroMéditerranée où les artistes, placés en résidence dans des entreprises, impliquent les salariés au cœur du processus de création de l’œuvre. Ainsi, Kathryn Cook puise une partie de son travail au sein de la JAF, association issue de la Résistance inspirée par Missak Manouchian, qui a pour but le développement culturel et artistique des jeunes français d’origine arménienne.
Un partenariat avec les Editions Bec en l’air, maison indépendante spécialisée dans l’édition des beaux livres de photographies permet l'aboutissement d'une telle initiative. Avec un livre publié sur le génocide cambodgien et un autre sur celui de la République démocratique du Congo, l’entreprise entérine un style déjà bien marqué : « quand on m’a parlé du projet de Kathryn Cook, on me l'a présenté en disant : "Tiens voilà un projet impubliable, bien trop polémique". J’ai répondu, "c’est pour moi "», raconte Fabienne Pava, responsable de la maison d’édition.
Elle se sent largement impliquée dans le projet, dans la mesure où « généralement les éditeurs arrivent plutôt à la fin de la chaîne. Là, nous sommes associés à la création, nous pouvons réfléchir ensemble ». Par ailleurs, l’éditrice ne cache pas son admiration pour la photographe : « Même si Kathryn est encore jeune, on remarque déjà une très belle personne, très engagée ».
L’exposition sonore Memory of trees sera présentée en 2013 par le MuCem, et accompagnera la sortie d’une monographie.
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