Après “un coup de sang”, Renaud Muselier coupe les vivres à la filière du documentaire

Renaud Muselier lors de ses vœux à la presse en 2021. (Photo région Sud/ R. Cintas Flores)

Sans préavis. Renaud Muselier, président (Renaissance) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, a provoqué une vague d’incertitude sans précédent chez les documentaristes de la région. Depuis le mois de janvier, les commissions consultatives donnant un avis sur les subventions accordées à la filière sont suspendues. En 2023 donc, aucune d’entre elles n’a encore eu lieu. Les dossiers étudiés en fin d’année dernière s’empilent et ne sont toujours pas passés au vote des élus. C’est toute la filière locale du documentaire qui se retrouve bloquée après cette décision émanant du président de l’exécutif régional. Si des pistes de sortie de crises semblent aujourd’hui s’ébaucher, ces mois de blocage auront mis en difficulté de nombreux acteurs.

Le gel des dispositifs concerne à la fois les étapes d’examen préalables au vote et le vote lui-même des subventions régionales. “Nous n’avons reçu ni projet soumis, ni convocation pour le moment. Et nous n’avons pas eu d’informations de la région à ce sujet”, confie un membre de ces comités.

La raison ? Tout serait parti, selon nos informations, de tensions autour du film Système Total, anatomie d’une multinationale de l’énergie, diffusé en 2022. Un documentaire réalisé par Jean-Robert Viallet et financé à hauteur de 12 000 euros par la région. Le journaliste s’y intéresse aux promesses vertes du groupe TotalEnergies, et démontre sa faible crédibilité. “Mon nom a sifflé partout dans la filière [du documentaire, ndlr] parce que mon film, fait en toute transparence, serait à l’origine de ce gel. Mais je n’ai jamais eu de retour direct de la région sur mon travail”, confie Jean-Robert Viallet.

Colère noire

Plusieurs sources ont confirmé à Marsactu que le géant de l’énergie a manifesté son mécontentement auprès du cabinet de Renaud Muselier. Dans l’entourage du président, on assure ne pas en avoir eu connaissance. Sollicité par Marsactu sur une potentielle intervention, TotalEnergies nie l’envoi d’un “courrier”. Sans s’avancer sur d’autres modes de communication.

Cette tension avec le groupe pétrolier aurait en tout cas mis Renaud Muselier dans “une colère noire”, glisse une source à la région. Avec en toile de fond, le fait que le géant de l’énergie est implanté sur le territoire régional, lequel a été désigné en novembre dernier par Elisabeth Borne comme pilote en matière de planification écologique. TotalEnergies possède notamment la raffinerie de la Mède, et participe aussi au financement à l’École de production des énergies du Sud à Marseille, aussi soutenu par la région.

Selon des acteurs de la filière, à la même période, deux autres productions, un documentaire et une fiction*, auraient entraîné des interventions auprès de la région, rajoutant aux tensions. Cette fois, sur des questions communautaires.

Représailles

Mis dans l’embarras, le président de Région aurait eu “un coup de sang”, selon certains professionnels du cinéma, entraînant la suspension des comités de lecture. Plusieurs acteurs du documentaire y voient de “l’autoritarisme” de sa part. “À ses yeux, lorsqu’on obtient une subvention de la région, on lui est presque redevable”, regrette une productrice. En privé, indique un professionnel, Renaud Muselier aurait d’ailleurs déjà comparé les aides régionales à des “cadeaux” faits aux producteurs.  

Muselier veut reprendre la main sur l’éditorial. Il n’a pas compris la liberté d’expression et de création.”

Une source à la région

Dans les couloirs de la région, une source grince : “Pour Renaud Muselier, un documentaire et un film institutionnel, c’est pareil.” Le même interlocuteur poursuit, “il n’y a aucune raison objective à cette suspension”. Et qualifie de “représailles” ce blocage de la filière : “Il veut reprendre la main sur l’éditorial. Il n’a pas compris la liberté d’expression et de création.”

Au sein de son cabinet, on se défend de toute censure ou répression politique à la suite de pressions. “Renaud Muselier ne regarde pas si on finance des gens de droite ou de gauche, assure-t-on dans son entourage. Il n’a pas la volonté de donner un sens politique à la culture”. Cet épisode en rappelle toutefois un autre, survenu en mai 2018. Renaud Muselier avait acté le retrait d’une subvention apportée à un documentaire du journaliste d’investigation Denis Robert. Beaucoup se demandent si la menace d’un contrôle politique plane toujours sur l’audiovisuel en PACA. Et plus particulièrement sur le documentaire.

Un autre événement survenu récemment est venu nourrir les accusations d’autoritarisme vis-à-vis de Renaud Muselier : le limogeage, présenté comme une démission, de son ancien conseiller culture. D’après plusieurs sources, Thierry Pariente a été poussé dehors pour ne pas avoir soutenu la position perçue comme radicale de son patron. La région n’a pas souhaité commenter ce départ pour “désaccord d’objectifs”. En remplacement, Mikaël Mohammed, précédemment au Mucem, a été nommé en avril.

Rattrapage des comités

Les acteurs du documentaire sont actuellement mobilisés pour obtenir un retour à la normale et des discussions ont été engagées. L’entourage de Renaud Muselier évoque une “refonte des équipes et des dispositifs” qui demanderait de faire table rase du fonctionnement précédent.

Des mesures devraient être annoncées très prochainement, affirme-t-on à la région. À commencer par le rattrapage des comités et des votes, dès le mois prochain, la mise à jour de la convention signée avec le centre national du cinéma (CNC), ainsi qu’un engagement pris par l’exécutif régional sur la liberté de création.

Les discussions permettent [aux élus] de mieux voir les retours sur investissement.

Un producteur

Certains professionnels veulent voir le positif dans cet “accès de fièvre” du président. “Les élus et Renaud Muselier n’avaient pas conscience des conséquences de cette suspension. En ce moment, les discussions leur permettent de mieux voir les retours sur investissement, et de mieux cerner la place du documentaire sur le territoire”, soutient un producteur.

Plus de 200 projets seraient en attente, et une trentaine de sociétés de production se retrouveraient en difficulté, selon un de nos interlocuteurs. “C’est catastrophique. C’est une perte de temps. Et il y a le risque aussi de voir les sujets sortir par d’autres”, regrette une professionnelle. Provence-Alpes-Côte d’Azur est aujourd’hui une région incontournable dans la filière audiovisuelle française, avec plus d’une cinquantaine de producteurs, dont la moitié dans le documentaire.

* Actualisation le 12 mai à 20 h 30 : de sources concordantes, un documentaire et une fiction auraient été concernés, et non pas deux documentaires comme nous l’affirmions dans un premier temps.