Après avoir surfé sur la vague Raoult, les politiques locaux prennent le large

En septembre 2020, Michèle Rubirola et Martine Vassal avaient choisi l'IHU de Didier Raoult pour présenter leurs actions contre le Covid-19. (Photo : Emilio Guzman)

Renaud Muselier, Martine Vassal, Michèle Rubirola… Ils se sont tous affichés aux côtés du patron de l’Institut hospitalier universitaire (IHU). “Il a soigné ma mère”, répétait il y a moins d’un an Renaud Muselier sur nombre de chaînes télé et radio, assurant faire une totale confiance au professeur. Quelques semaines plus tôt, en septembre 2020, la présidente du département, accompagnée de celle qui était encore maire de Marseille, se rendaient main dans la main à l’IHU. Après s’être affrontées lors des élections municipales, Martine Vassal et Michèle Rubirola choisissaient l’antre de Didier Raoult pour illustrer leur réconciliation et protester contre la politique gouvernementale de gestion de l’épidémie.

Au tout début de la crise sanitaire, de nombreux élus LR locaux étaient même allés se faire soigner à l’IHU en le revendiquant haut et fort. Mais en septembre 2021, alors que le professeur est sur la sellette, rares sont ceux qui le soutiennent encore ouvertement.

Du sauveur au brouilleur de message

Un sauveur dans la crise, un défenseur contre les injustices imposées par Paris… Voilà des habits de lumière que beaucoup ne prêtent plus à Didier Raoult. À commencer par ses employeurs. L’Assistance publique-hôpitaux de Marseille et Aix-Marseille université ne souhaitent en effet pas le voir garder son poste de professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH). Le professeur a atteint l’âge de la retraite et sa demande de cumul emploi-retraite a été rejetée. En cause, entre autres, sa position sur le vaccin.

“Les propos du Pr Raoult sont insupportables à écouter”, a notamment estimé le président de la commission médicale de l’AP-HM Jean-Luc Jouve, au sujet d’une vidéo diffusée le 17 août. Des propos qui ont d’ailleurs donné lieu à un fact-checking complet par l’AFP. “On peut discuter de l’efficacité du vaccin dans un congrès mondial sur les maladies infectieuses, mais sur Youtube, cela a un impact sur les gens qui ont un mauvais accès à l’information et qui n’iront pas se faire vacciner”, a développé Jean-Luc Jouve lors d’une conférence de presse. L’institution reproche à Raoult de brouiller sa communication, alors qu’elle est confrontée à une réticence au vaccin au sein même de ses troupes.

En visite à Marseille, le président de la République lui-même y est allé de son commentaire. “Il y a eu des spécificités marseillaises dans la gestion du Covid. Des choses ont été inventées ici. Les tests, je ne l’oublie pas, ont commencé plus fort qu’ailleurs. Mais on a aussi moins vacciné parce qu’on a laissé courir quelques fadaises”, a-t-il lancé lors de son discours au Pharo. De son côté, Didier Raoult ne recule pas. Il accuse la nouvelle direction de l’AP-HM de faire “de la propagande” et d’être téléguidée depuis Paris pour le pousser vers la sortie. Un discours que ses soutiens politiques locaux d’antan, à l’exception du Rassemblement national, sont loin de reprendre.

Michèle Rubirola : “Je ne m’afficherais plus à ses côtés”

“Ces derniers temps, l’ensemble de la classe politique est en train de changer. C’est l’ambiguïté de Didier Raoult et le coup du vaccin qui font qu’ils sont en train d’en revenir”, glisse un membre du conseil d’administration de l’IHU sous couvert d’anonymat.

L’ensemble de la classe politique est en train de changer. C’est l’ambiguïté de Didier Raoult et le coup du vaccin qui font qu’ils sont en train d’en revenir.

Un proche du dossier

“Au début, nous avons tous minimisé, moi-même je l’ai fait, entame Michèle Rubirola, qui a désormais la casquette d’adjointe au maire à la santé et de présidente du conseil de surveillance de l’AP-HM. Tout le monde a le droit de se tromper sur une maladie nouvelle. Didier Raoult est quelqu’un de brillant, mais je comprends les médecins de l’AP-HM. On ne peut pas s’élever comme ça contre le vaccin”.

Celle qui est aussi première adjointe au maire et défendait il y a peu “l’attitude strictement médicale” du professeur va plus loin : “Je ne suis pas pro vaccin, mais le rapport risque-bénéfice n’est pas contestable. Le professeur Raoult reste sur sa position alors qu’il devrait faire marche arrière, comme je l’ai fait. Aujourd’hui, je ne m’afficherais pas à ses côtés.” Cette dernière estime qu’il s’agit là d’une question de “position plutôt que de débat scientifique.” Elle trouve légitime le départ à la retraite de Didier Raoult. “Il a 70 ans, rappelle-t-elle. C’est normal qu’il parte.” 

Si la question de la poursuite des fonctions de Didier Raoult en tant que professeur des universités et praticien hospitalier a été tranchée, reste celle de son maintien à la tête de l’IHU, à laquelle doit répondre le conseil d’administration. La direction de l’AP-HM et celle de l’université, toutes deux membres fondateurs de l’institut d’infectiologie – et donc à ce titre de celui du conseil d’administration -, s’y opposent avec l’argument suivant : “Quelqu’un qui ne pratique plus ne peut pas rester à la tête de l’IHU.” Un argument que reprend mot pour mot Michèle Rubirola.

Dissonances au conseil départemental

Quant à celle qui, il y a un an, figurait avec Rubirola aux côtés de Raoult, elle se garde bien de commenter publiquement le sujet. Contacté, le service communication de Martine Vassal refuse de donner sa position. Pourtant, en janvier dernier, ce même service a dû plancher sur le numéro 258 de la revue du département qui affichait en une les cheveux longs et sourcils froncés de l’homme. À la suite d’une interview fleuve, on y découvrait que la collectivité lui décernait le prix départemental de la recherche.

Aujourd’hui, dans l’entourage de la présidente, seul Frédéric Collart, professeur en médecine et conseiller départemental délégué à la santé, adopte un avis sans équivoque. “Cela fait 30 ans que je le connais et le travail qu’il a fait à l’IHU est remarquable. Mais il a atteint l’âge de la retraite et il n’y a pas un réel besoin de service pour qu’il bénéficie d’un cumul emploi-retraite”, déclare le monsieur santé de Martine Vassal, lui aussi inquiet quant à la position du professeur sur le vaccin.

Membre du conseil d’administration de l’IHU où il représente le département, Frédéric Collart prendra part au vote pour déterminer si Didier Raoult doit ou non rester à la tête de l’IHU. Mais à titre consultatif seulement. “S’il n’a plus d’activité clinique, il perd de la légitimité. C’est un professeur très brillant, mais à sa place, je laisserais s’épanouir les jeunes qui l’entourent, glisse-t-il. Beaucoup d’élus ne comprennent pas sa position sur le vaccin. Il faut qu’ils le disent. Martine Vassal est sûrement de mon avis.”

Malaise dans la droite locale

Si cette dernière ne prend pas position, dans son entourage très proche des voix dissidentes existent. “Je suis choqué des haros sur Raoult, se différencie Yves Moraine, vice-président au département. Je reste pour ma part reconnaissant envers celui qui m’a soigné. Je suis pro-vaccin, mais je suis contre la pensée unique et je n’admets pas le refus d’opinion divergente”. Pour lui, le départ de Didier Raoult serait “regrettable”. “Je ne veux pas parler pour Martine Vassal, mais il me semble qu’elle n’a pas changé d’avis et n’est pas dans une logique de lâchage.” Pourquoi alors un tel silence ? Yves Moraine ne s’aventure pas à commenter. De son côté, Frédéric Collart y voit “un malaise de l’ensemble des élus”. Le représentant du département à l’IHU précise d’ailleurs une chose : son vote n’est toujours pas arrêté et encore soumis à discussions.

Parmi les politiques locaux, à droite, il en est un autre qui se fait très discret sur le sujet. Renaud Muselier est pourtant directement concerné, puisqu’il a été testé positif au Covid le 30 août, malgré une vaccination complète. Et surtout, il siège au conseil d’administration de l’IHU. “Didier Raoult est mon ami et le restera”, disait ce dernier, il y a moins d’un an. Aujourd’hui, ni son service presse, ni son entourage n’ont donné suite aux sollicitations de Marsactu. Parmi les observateurs du dossier, on ne peut que noter cette absence de réaction. “Même Renaud Muselier, toujours prompt à réagir, n’a pas bougé une oreille sur son départ à la retraite”, glisse la source au sein du CA citée plus haut. Impossible aujourd’hui de deviner ce que fera le docteur Muselier le jour du vote.

Contactée, la direction de l’IHU n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet non plus. En tout cas pas face à Marsactu. Mais la veille de la publication de cet article, Didier Raoult a évoqué le sujet dans une vidéo postée sur Youtube : “il n’y a pas que les extrêmes qui me soutiennent, il y a des gens très à gauche et très à droite. Mais il y a aussi des centristes, je remercie Jean-Claude Gaudin qui m’a appelé pour me dire que comme d’habitude, il me soutenait et aussi Renaud Muselier”, s’est targué le professeur*. Son service communication se montre lui très confiant. “On en reparle au prochain CA”, obtiendra-t-on comme seule réponse. Ce sera pour novembre**. Au total, 18 personnes devront prendre part au vote. Parmi elles désormais, comme au sein de la population, des pro et des anti Raoult.

*Ajout de la citation de Didier Raoult le 08/09/2021 à 11h30

** Selon le service de communication de l’IHU, le CA devrait se tenir en novembre et non le 17 septembre comme nous l’avions écrit au départ. Le 17 se tiendra une réunion des fondateurs.