Un an après la polémique, l’ancien directeur de l’unité d’hébergement d’urgence se livre

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le 22 Sep 2016
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Il y a un an, Marsactu mettait en lumière les difficultés de gestion de l'unité d'hébergement d'urgence qui accueille tous les jours près de 300 sans-abris. L'État et la Ville diligentaient alors une commission d'enquête dont la mission se terminait cette semaine. En attendant que le contenu de son rapport soit rendu public, l'ancien directeur de la structure, Gilles Chalopin, a accepté de répondre à nos questions.

Un an après la polémique, l’ancien directeur de l’unité d’hébergement d’urgence se livre
Un an après la polémique, l’ancien directeur de l’unité d’hébergement d’urgence se livre

Un an après la polémique, l’ancien directeur de l’unité d’hébergement d’urgence se livre

Ce mardi, l’unité d’hébergement d’urgence (UHU) qui accueille les personnes sans abri a reçu la visite des inspecteurs de la commission d’enquête qui scrute la structure depuis un an. Cette visite est censée mettre un point final à leur mission. Celle-ci a été déclenchée suite aux révélations dans la presse des errements dans la gestion quotidienne des deux sites après la reprise par l’Association de médiation sociale (AMS) en décembre 2015.

Comme l’a récemment déclaré le préfet délégué pour l’égalité des chances, Yves Rousset, elle est censée vérifier si l’ensemble des injonctions formulées en juin ont été suivies d’effets. Pour rappel, le rapport sévère que les inspecteurs avaient remis en juin comprenait une longue liste d’injonctions à très court terme (dix jours), court terme (un mois) et moyen terme (deux mois). C’est à l’issue de ce dernier délai, que l’État et la Ville qui financent conjointement l’unité d’hébergement donneront leur position vis-à-vis de l’association gestionnaire.

Parmi ces injonctions figurait l’embauche d’une directrice adjointe, réalisée cet été. Elle doit être complétée par l’embauche d’un directeur, en remplacement de Gilles Chalopin, le précédent directeur qui a quitté la structure dans le cadre d’un départ négocié. Ancien directeur du lieu de 2006 à 2011, ce policier à la retraite est arrivé dans les valises de l’association de médiation sociale qu’il a aidé dès le lancement de l’appel à projets pour gérer le lieu. C’est également lui qui a recruté Aïcha Carreiras dans un poste de coordinatrice contesté par les tutelles. Par son intermédiaire, une série d’embauches familiales avait déclenché une tempête au sein de l’UHU. Tempête qui aujourd’hui encore secoue la structure.

Aujourd’hui, Gilles Chalopin dit avoir pleinement participé à l’enquête diligentée par les tutelles et souhaite rétablir un certain nombre de vérités concernant sa responsabilité dans les errances de la structure. Bien entendu, ce faisant, il se dédouane d’une partie de ses responsabilités et charge son ancien employeur comme sa collaboratrice, Aïcha Carreiras. Les responsables d’AMS, muets pour l’heure, lui répondront sans doute dans les jours prochains, après que le rapport d’inspection aura été rendu public. Cette semaine, ils ont même fait paraître une annonce pour recruter un directeur…

Pourquoi avez-vous pris la décision de prendre publiquement la parole ?

Pour neutraliser une petite campagne de dénigrement dont je fais l’objet et qui à mon sens n’est pas justifiée. L’unité d’hébergement d’urgence est une très belle structure qui a une mission importante auprès des 300 personnes hébergées. Même si je crois qu’il serait mieux qu’elles soient accueillies dans une structure plus petite de 60 personnes. Mais l’UHU existe, il faut faire avec. Pour cela, il faut des gens compétents et expérimentés car la situation n’est pas facile et avoir un processus de travail clair, accepté par tout le monde. Ensuite, il faut travailler avec toutes les associations du secteur. Ce qui n’est pas trop le cas aujourd’hui et c’est dommage.

Comment avez-vous réagi à la parution des articles de presse sur l’UHU il y a un an ?

Au début, j’ai été dans le déni. Et puis j’ai pris le temps de lire plus attentivement, de les étudier. Et j’ai découvert qu’ils contenaient beaucoup de vérités, des choses que je ne savais pas. Par exemple, il était écrit dans un article de La Provence que les salariés n’avaient plus le droit de dire bonjour aux hébergés. Je n’y croyais pas. J’ai découvert ensuite que cette politique avait été mise en place au service d’accueil. À partir de cette prise de conscience, j’ai essayé de remédier à cette situation.

Comment avez-vous réagi à la mise en place de l’audit ?

Avant l’arrivée de la commission d’enquête, nous avons eu la visite de l’inspection du travail dès juillet 2015. Déjà là, nous nous sommes aperçus qu’il y avait des choses qui n’allaient pas dans les contrats. Certains n’étaient pas conformes au droit du travail. Au lancement de la commission d’enquête, nous avons travaillé ensemble car il y avait beaucoup de pièces demandées. L’ambiance a changé à la première visite sur place des auditeurs. Elle s’est refroidie quand ils ont demandé à voir les contrats. Ils ont ciblé directement l’armoire aux archives où ils se trouvaient.

Aujourd’hui, l’UHU n’est pas dans la situation idéale que vous décrivez. Avez-vous échoué dans votre mission ?

J’ai ma part de responsabilité dans cette affaire. Quand nous avons pris l’UHU avec AMS, nous voulions faire mieux que ce qui existait et nous n’avons pas réussi. Mais j’ai été confronté à quelques divergences d’opinion qui m’ont neutralisé. Le gros problème de la direction d’AMS est qu’elle considérait que mon contrat était un contrat de subordination alors que je considérais qu’il s’agissait d’un contrat de collaboration. Pour moi, j’étais l’expert qui leur apportait les éléments de compréhension. C’est moi qui leur ai parlé et fait découvrir l’UHU. Je m’étais positionné en tant qu’expert alors qu’ils me voyaient comme un subordonné. Or, pour exercer un lien de subordination sur quelqu’un, cela nécessite une connaissance du métier. Autant ils sont, paraît-il, performants dans la médiation, autant ils découvraient le secteur social.

Vous avez été associé au projet de reprise porté par AMS très en amont, au moment de l’appel à projets. Les avez-vous sollicités?

Non. Ils savaient que j’avais dirigé la structure. Ils sont venus me chercher pour améliorer ce qui existait. Pas pour faire moins bien.

Au sein d’AMS comme au Samu social et c’est le cas aussi pour vous-même, se trouvent beaucoup d’anciens fonctionnaires de police. Cela vous a rapproché ?

Un policier de terrain qui s’occupe de la sécurité publique est confronté le plus souvent aux plus pauvres. Le social, on en fait dans la police. Le patron du Samu social, René Giancarli, lui-même ancien policier fait de l’excellent travail. Il n’a pas la culture municipale mais celle de l’urgence, du collectif. C’est une expérience précieuse. À l’UHU, il faut un directeur qui gère le collectif et un directeur adjoint qui vienne du social pour gérer les cas individuels.

Quel était le projet construit avec AMS ?

Le projet était de remettre l’UHU en ordre de marche parce qu’il y avait un dysfonctionnement. Il y avait beaucoup plus de clandestins – de personnes sans papier – qui sont souvent en pleine possession de leurs moyens, aux dépens de gens qui sont de vrais SDF. Nous voulions donner la priorité aux SDF qui sont souvent des personnes en situation difficile sur le plan sanitaire, social, psychique… Nous voulions accueillir toutes les personnes mais en posant une priorité pour les plus démunis. J’ai toujours dit que les gens sans-papiers sont animés d’une volonté de s’en sortir, ils ont une énergie que d’autres n’ont pas parce qu’ils ont baissé les bras. Dans une structure de 300 personnes en collectif lourd, les plus démunis souffrent du dynamisme des autres. Enfin nous voulions remettre la structure en marche et améliorer les choses dans le partenariat avec les autres associations du secteur. L’UHU reçoit tout le monde, c’est un fait. Si vous souhaitez orienter certaines personnes, il faut avoir de bonnes relations avec les autres partenaires.

Cette approche différenciée des publics étaient une demande des tutelles ?

Dans le cahier des charges de l’appel à projets, il était question d’un accueil inconditionnel. Mais ils nous ont suggéré que la mission première de l’UHU était d’abord d’accueillir les plus démunis. C’est sur ce projet-là que nous avons été choisis. En clair, je préfère que ce soit un jeune homme en pleine possession de ses moyens qui dorme dehors qu’une personne malade. L’idéal serait qu’aucun des deux ne dorme dehors. Sous couvert d’un accueil inconditionnel, il y avait plus de personnes énergiques, des clandestins que les autres. Les vrais SDF fuyaient l’UHU. Tout cela a abouti très rapidement puisque c’est le 115 qui a opéré l’orientation des personnes.

Votre arrivée et celle d’AMS se sont accompagnées d’une contestation forte, y compris devant les tribunaux après un recours mené par plusieurs associations dont l’ancienne gestionnaire, l’Armée du Salut. Dans quel état avez-vous trouvé l’UHU ?

Nous sommes arrivés avec face à nous une opposition des salariés. Car l’ancienne directrice [de l’Armée du salut, ndlr] était une militante farouche qui savait défendre ses idées. Nous avons rencontré des problèmes tant sur le plan des effectifs, des hébergés, du matériel… Nous avons mis un ou deux mois à remettre les choses en place. Cela a été possible parce que j’avais l’expérience de la structure.

Mais c’est dès ce moment-là, en décembre 2014, que sont recrutés des membres et connaissances d’Aïcha Carreiras, votre adjointe ?

Aïcha Carreiras était dans le projet dès le début à mes côtés comme coordinatrice et exclusivement à ce poste. Quels que soient ces mérites, il y a des choses qu’elle sait faire et d’autres pas. Jusqu’au 2 juin 2015, je n’étais pas le directeur de l’UHU mais affecté à AMS en tant que directeur des personnels de l’UHU et dépendant de sa direction. Je n’avais pas le pouvoir de recrutement. Ce n’est qu’à compter du 2 juin, que j’ai eu la pleine direction de l’UHU puisque l’ancienne direction [qui avait été mise à pied immédiatement, ndlr] a effectué son préavis de six mois jusqu’au bout.

Vous n’avez donc pas de responsabilité dans l’embauche des membres de la famille Carreiras? 

Ce n’est pas moi qui signais les contrats. La preuve, madame Carreiras a été embauchée en CDI et nommée chef de service de Saint-Louis en avril 2015 alors que chacun sait qu’un tel poste nécessite des diplômes qu’elle n’a pas. Je n’aurais jamais fait ça. La connaissance du terrain ne suffit pas.

Vous connaissiez son profil puisque vous étiez tous les deux à l’UHU du temps d’AICS, gestionnaire avant l’Armée du Salut. Vous êtes-vous opposé à sa nomination ?

Je m’y suis opposé mais je l’ai appris qu’à travers l’audit, des mois plus tard, en découvrant l’additif à son contrat. C’est aussi le cas d’autres contrats…

Vous, directeur, n’avez vous pas pris part aux embauches ?

Certaines décisions étaient prises de manière collégiale jusqu’au 1er juin mais je ne faisais que donner un avis. Je n’avais pas la responsabilité du recrutement et du financier. Je n’avais que l’opérationnel. Le problème n’est pas le recrutement la famille de madame Carreiras même si c’est à proscrire. Le problème est que cela crée le sentiment qu’il y a du favoritisme dans l’organisation des plannings dont elle a la charge et qu’elle favorise les membres de sa famille. Quand on recrute des membres de sa famille, il faut être d’une rigueur et une transparence hors normes. Cela n’a pas été le cas. Au contraire.

Quand en avez-vous pris conscience de ces difficultés et quelle a été votre réaction ?

A compter du 2 juin 2015 quand je suis devenu directeur de l’UHU de pleins droits. Quand j’ai voulu prendre les pouvoirs qui me revenaient, j’ai été confronté à une autre façon de voir de la direction d’AMS. J’ai essayé de faire entendre mon point de vue dans le dialogue. Si vous êtes dans l’opposition avec votre direction, cela rejaillit sur les salariés mais aussi sur les hébergés. Tout se sait. J’ai cherché à avoir une certaine discrétion. Au final, nous avons fini par échouer à nous entendre car ma façon de voir la direction – qui est celle des textes en vigueur – ne cadrait pas avec la leur, qui limitait ma responsabilité à l’opérationnel.

J’ai du mal à croire que vous n’aviez pas la responsabilité de l’embauche des proches de madame Carreiras, dans les premiers mois de votre direction. 

Je suis responsable de l’embauche de madame Carreiras et de son fils en CDD. Les autres embauches ont été faites dans l’urgence en collégialité avec madame Carreiras, messieurs Pérez et Palmieri [directeur et directeur adjoint d’AMS, ndlr] et moi-même. Nous en parlions, évaluions les risques. Pour moi, ces risques étaient mineurs puisqu’ils étaient en CDD. Mais cela concerne 3 ou 4 personnes. Les autres ont été recrutées sans que je le sache.

Il y avait un suivi mensuel de l’État et de la Ville, y compris sur les embauches…

Oui mais le cahier des charges prévoyait que les tutelles soient consultées uniquement sur l’embauche du directeur et du directeur adjoint. Pour le reste non. Il y a eu des comités de pilotages mensuels et cela se passait bien. Le dernier a eu lieu en octobre 2015. L’audit a pris la suite.

L’audit a pourtant dressé une longue liste d’injonctions à réaliser dans un temps très court. Cela résume ce que vous n’avez pas réalisé la première année dans l’application du cahier des charges ?

C’est vrai mais nous progressions tous les mois. Le principal manque concerne le projet de service. Cela demande 3 ou 4 mois de travail avec les salariés, les hébergés, la direction, les partenaires. Cela peut être fait par un cabinet extérieur comme l’avait fait l’Armée du salut. Nous ne pouvions pas le faire la première année, parce qu’il fallait convaincre les tutelles et les partenaires de nos compétences. Il y avait une méfiance de la part des associations partenaires. Pour le règlement intérieur, nous avions réécrit le texte de l’Armée du salut en l’adaptant. Il devait être transmis au comité d’entreprise, à la direction du travail pour être validé. Cela n’a pas été fait. Enfin, pour le projet de service, il suffisait de reprendre celui de l’Armée du salut en l’adaptant. L’UHU ne s’était pas transformée entre temps. Dans une structure de 300 personnes, vous avez toujours la partie logistique, l’accueil, le social et le médical. Pour le reste, l’important est le dialogue social avec les salariés. ils sont au contact des hébergés en permanence.

Pourquoi ne pas avoir recruté un directeur adjoint prévu au cahier des charges ? Pourquoi la Ville et l’État n’ont pas réagi à cette absence de recrutement ?

Il ne pouvait pas l’être avant le 2 juin puisque l’ancienne direction effectuait son préavis. Il aurait fallu le faire durant l’été. Le recrutement a été lancé au mois d’octobre et la personne recrutée au mois de mai. C’est le problème d’AMS intégralement. Je n’ai pas été associé en quoi que ce soit. Cela a été notre divergence. Mon contrat initial avec AMS était que je ne reste qu’un an : six mois pour redresser l’UHU et six mois pour former un nouveau directeur. J’étais prêt à rester plus longtemps si la structure ne fonctionnait pas correctement. Au final, comme cela se passait mal, la décision d’une rupture conventionnelle a été prise avec le président d’AMS, monsieur Belot, en février. Elle a été déclenchée en juin à l’arrivée du rapport d’audit. Mon nom apparaissait à plusieurs reprises. Contrairement à de nombreux autres salariés de l’UHU, j’avais souhaité apparaître pour que les faits décrits ne restent pas à l’état de rumeurs. À la réception de cet audit, le président d’AMS a estimé que je les avais trahis et que je parte très rapidement. Partir ne me gênait pas. Le problème est de partir avec un établissement en souffrance et des salariés inquiets, ruminants, contestataires. Cela ne peut pas favoriser un accueil bienveillant des hébergés.

Aïcha Carreiras a décidé à la suite de nos premiers articles de déposer une citation directe auprès du procureur de la république de Marseille. Marsactu sera donc prochainement jugé, au même titre que La Provence, pour diffamation devant le tribunal de grande instance. Avec notre avocat, Me Gilles Gauer, nous défendrons le sérieux de nos enquêtes en produisant notre offre de preuves.

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Commentaires

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  1. martine Colombani martine Colombani

    l’aspect de subordination et d’expertise est le même dans les mairies: les maires et conseillers municipaux ne sont pas des professionnels – pour ma part j’ai eu un éleveur de poules – un employé de l’assedic, un prof de lettres puis un communicant. – et pourtant ils donnent des ordres, souvent il faut expliquer que ce n’est pas possible mais avec certain c’est impossible et la commune peut faire des cagades, avoir des procès qu’elle perd etc – en fait le personnel détient le savoir et les maires détiennent le pouvoir.

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  2. JL41 JL41

    Tenace dans ton interview, Benoît ! Bravo, du journalisme comme j’aime ! Affaire à suivre.

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  3. Regarder2016 Regarder2016

    Vieux débat ! Combien pensent détenir le savoir parce qu’ils ont le pouvoir !!!

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  4. LePalmipede LePalmipede

    Comment expliquer que les personnels mentionnés dans l’article soient les mêmes sur des décennies, tantôt avec des CDI, tantôt avec des CDD suite à des ruptures conventionnelles, voire des passages aux Prud’hommes. ?
    Comment croire que Monsieur CHALOUPIN n’avait aucune connaissance de ces données ? Pour un ancien flic, on peut dire qu’il a manqué de flair….!
    Bien entendu, derrière tout cela se cache le problème de l’utilisation de fond public à des fins privées, et ce à chaque étage de la fusée, d’autant que tout le monde se fout des SDF et qu’on peut donc agir à l’abri des regards indiscrets alors que des sommes colossales sont en jeu.
    Mais qu’ont donc fait les tutelles depuis des années que le système perdure en sachant qu’elles avaient connaissance des dérives ?

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