Alinéa perd la moitié de ses effectifs mais garde ses dirigeants

Actualité
le 1 Sep 2020
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Lors de l'audience pour la reprise de l'enseigne de meubles dont le siège est à Aubagne, une seule offre a été présentée. Celle des actionnaires actuels qui profitent d'un récent décret pour racheter leur propre entreprise tout en procédant à une drastique cure d'amaigrissement avec la suppression de la moitié des effectifs sur le plan national.

La salle des pas perdus du tribunal de commerce de Marseille. Photo d
La salle des pas perdus du tribunal de commerce de Marseille. Photo d'illustration. JV.

La salle des pas perdus du tribunal de commerce de Marseille. Photo d'illustration. JV.

L’échange résume le paradoxe. “Les néo-repreneurs rentrent plus tard”, indique la greffière devant la salle d’audience du tribunal de commerce de Marseille. “Mais nous sommes aussi dirigeants”, lui répond Audrey Goutille directrice de la transformation d’Alinéa. En cessation de paiement, l’enseigne de meubles dont le siège se situe à Aubagne ne dispose que d’un repreneur, à savoir ses actionnaires actuels : Alexis Mulliez, également PDG, et l’association familiale Mulliez (AFM). Cette structure détient de nombreuses enseignes comme Boulanger, Décathlon ou Saint-Maclou.

Peu de suspense sur le dénouement donc, mais une file d’attente qui en dit long sur l’impact de cette cessation de paiement, déclarée le 6 mai, de l’un des grands acteurs de ce secteur. Près de 80 cocontractants figurent dans le dossier. Parmi lesquels des grands groupes dont Onet ou Veolia, des petites structures à l’image du transporteur marseillais HBH, et des structures inattendues comme la Sacem, pour les droits dus au titre des musiques d’ambiance des magasins. Pour en entendre une bonne partie, l’audience a duré quatre heures quarante-cinq. À son issue, Alexis Mulliez n’a pas souhaité répondre à nos questions tant que le jugement, prévu le 14 septembre, ne serait pas prononcé.

Son offre prévoit la reprise de 9 magasins sur 26, la plupart situés sur l’axe méditerranéen : Aubagne, Mérignac, Avignon, Grenoble, Blagnac, Montpellier, Nancy, Limoges et Herblay. La volonté est de proposer des espaces plus restreints contrairement aux grandes surfaces actuelles, qui s’étalent sur 6000 à 10000 m2, et de booster les ventes en ligne de 20 à 40 % du chiffre d’affaires en trois ans.

Une stratégie qui s’accompagne d’une réduction drastique des effectifs, puisque sur les 1967, dont un peu plus de 250 à Aubagne, seulement 900 seront conservés par l’offre de reprise. “Ce n’est même pas 50 % des emplois, mais il n’y a véritablement qu’une offre, donc c’est soit celle-là soit la liquidation. Nous n’avons pas d’autres choix”, expose Nathalie Campagnolo, avocate des salariés. Seules La Foir’fouille et Gifi sont venues présenter une autre offre qui ne concerne qu’un seul magasin à Poitiers.

Un décret lié au Covid

Un régime drastique qui doit permettre à Alinéa de se remettre sur les rails. Selon la direction, la crise des gilets jaunes puis la crise sanitaire due au Covid-19 ont mis l’enseigne dans le mur. Une version que n’approuvent pas les salariés. “Nous ne nous attendions pas à la cessation de paiement. Cela fait 10 ans que nous sentions que la stratégie n’était pas la bonne mais il s’agit d’un effet d’aubaine“, avance Malika Bennadji, déléguée du personnel venue de Toulouse pour l’audience.

L’aubaine dont elle parle est un décret paru le 20 mai 2020, dans le contexte de la crise économique due à l’épidémie, qui permet à des propriétaires d’une société de pouvoir la reprendre après un dépôt de bilan, laissant au passage des dettes non remboursées. Une opération qui jusqu’alors n’était possible qu’en saisissant le procureur qui ensuite ne proposait cette solution que s’il l’estimait correcte.

Impossible donc de dire si, sans la crise sanitaire, l’opération aurait pu avoir lieu. Certes, il n’y a qu’une seule offre sur la table mais Alinéa fait partie depuis sa création de la galaxie Mulliez qui l’a emmené dans cette situation. Cette famille, classée sixième fortune de France par le magazine Challenges, détient via différentes holdings de nombreuses sociétés comme Leroy Merlin, Jules ou Auchan… auprès de qui Alexis Mulliez a racheté Alinéa en 2017.

“Le risque est que les actionnaires d’une entreprise soient tentés, en cas de difficultés déjà anciennes, de déposer le bilan. Puis, de profiter de cette dérogation pour racheter leur entreprise. Entre-temps, ils auront effacé leurs dettes auprès des fournisseurs ou de l’État et des organismes sociaux”, écrit dans un communiqué Gaël Perdriau, maire LR de Saint-Étienne où un magasin va fermer.

Silence local

L’émotion aurait dû être plus forte localement.

Avocate des salariés

Aucun élu local n’a pris position sur la question alors qu’Alinéa est l’un des principaux employeurs d’Aubagne. Le maire de la ville Gérard Gazay (LR), n’a pas répondu à nos sollicitations. Le député LR de la 9e circonscription des Bouches-du-Rhône Bernard Deflesselles n’a pas pu nous répondre dans le délai imparti pour la rédaction de cet article. Mais depuis la cessation de paiement aucun de deux élus n’a pris la parole publiquement sur ce sujet. La CGT était le seul syndicat présent à l’audience, via Eddy Chhlang venu du Pas-de-Calais. La section départementale du syndicat n’a pas répondu à nos demandes. “L’émotion aurait dû être plus forte localement”, s’étonne Me Nathalie Campagnolo.

Si le magasin d’Aubagne est conservé dans l’offre de reprise, l’activité en sera tout de même impactée. Le siège va être vendu pour déplacer les postes administratifs dans la future boutique du centre-ville. Les salariés y craignent une réduction des effectifs, sans que rien ne soit officiel pour le moment. La direction précise que “750 postes sont proposés en interne chez Auchan et Ceetrus, près de 900 en externe au sein d’enseignes qui appartiennent à l’Association familiale Mulliez et plus de 700 à des entreprises tiers”.

Pas suffisant pour Me Nathalie Campagnolo qui voudrait “que le reclassement interne concerne tout le périmètre Mulliez ce qui permettrait d’éviter le licenciement au lieu de l’accompagner comme c’est le cas, par des propositions en externe”. L’avocate souligne qu’elle n’est “pas satisfaite de l’étendue de l’offre”, mais se satisfait de “la suggestion du juge commissaire de reconvoquer l’employeur dans un an pour faire un point car on peut s’interroger sur le modèle économique.”

Pour les experts, il s’agit d’une crise structurelle

Depuis 2018, les actionnaires ont apporté 128 millions d’euros de cash pour combler les pertes

D’autant plus que les trois rapports d’experts demandés par le juge commissaire, que Marsactu a pu consulter, ne sont pas tendres avec la gestion Mulliez d’Alinéa. Ils pointent une crise de longue date qui s’accélère. “Les pertes structurelles affichées par la société Alinéa sur une période de 10 ans accentuées depuis l’exercice 2017 posent légitimement la question de la viabilité du business model, tout autant que l’explication du non déclenchement d’une procédure de sauvegarde qui aurait pu permettre une transformation et poser dès 2018 les conditions d’un redressement pérenne”, lit-on dans l’un d’eux.

Depuis 2018, les actionnaires ont apporté 128 millions d’euros de cash pour combler les pertes selon les rapports. Sans ce soutien, Alinéa serait “dans un état de cessation de paiement permanent et ce depuis fin 2017 a minima”, écrivent les experts. Il est toutefois précisé que les pertes se sont accélérées “en raison de facteurs exogènes (crise des gilets jaunes, COVID-19) et internes (problèmes logistiques notamment, sortie du Groupe Auchan…)”.

Les rapports s’étonnent notamment d’une opération immobilière réalisée fin 2017. Alinéa cède les murs de certains de ses magasins à Aline Immo, qui appartient à la famille Mulliez, et lui verse un loyer en échange. Cette entité en détient aujourd’hui 13 sur 27, ce qui fait grimper les coûts fixes de l’enseigne. Un choix stratégique surprenant, puisque dès 2016 les loyers plombent la trésorerie d’Alinea et qu’ils passent après cette cession de 12,4 à 19,5 millions d’euros. “Si Alinéa avait conservé l’immobilier, l’entreprise aurait pu bénéficier de garanties liées à ce patrimoine pour avoir recours à des financements externes, ou bien céder une partie des biens”, écrit un rapport. Ce qui aurait permis de récupérer des fonds. Ces montants représentent aussi un frein pour des potentiels investisseurs.

En cas de reprise, Alinéa ne possèdera que son siège social à Aubagne estimé à 4 millions d’euros. Sa vente prévue, ainsi que celles des stocks “doivent payer les AGS” assurent la direction. Ce qui n’a pas convaincu le représentant de cet organisme, le régime des garanties des salaires qui couvre notamment les licenciements des salariés non repris. “Les excédents seront pour les créanciers“, assure-t-on chez Alinéa. S’il y en a.

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Commentaires

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  1. Alceste. Alceste.

    Le système libéral fidèle à lui même.
    La CGT fidèle à elle même, qui considère que certains travailleurs sont plus travailleurs que d’autres surtout si ils sont employés à la SNCF.
    C’est l’effet COVID sans doute

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  2. vékiya vékiya

    on ne change pas une équipe qui perd pourrait être le slogan d’alinea

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  3. vékiya vékiya

    c’est une photo d’archives ? ou la cci a peut être trouvé un vaccin ?

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    • Julien Vinzent Julien Vinzent

      Bonjour,
      en effet, il s’agit d’une photo d’illustration, nous n’avons pas pensé à l’absence d’un équipement de protection obligatoire !

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  4. Brigitte13 Brigitte13

    Les politiques locaux ont donné tous les pouvoirs au groupe du nord. Chaque ouverture de commerce en zone commerciale a été autorisée par un vote d’élus, sous l’autorité du Préfet

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  5. Jacques89 Jacques89

    Sur l’ordonnance (sauf erreur il ne s’agit pas d’un décret) : https://www.dalloz-actualite.fr/flash/nouvelle-ordonnance-d-adaptation-du-droit-des-entreprises-en-difficulte-aux-consequences-de-l-#.X04wuVbgqcw

    Voir aussi l’article de Libé du 7 août. https://www.liberation.fr/france/2020/08/07/faillite-d-alinea-la-famille-mulliez-en-profite-pour-sauver-ses-meubles_1796331 . Les objectifs des grands groupes y sont suggérés.

    Si la solidarité nationale s’exprime, les grands groupes en profitent pour saborder leurs fournisseurs sans faire appel à leurs filiales. Belle mentalité !

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  6. LOU GABIAN LOU GABIAN

    Pourquoi s’enquiquiner quand on peux faire simple : les mulliez vous emmerde, les élus locaux aussi et l’argent que nous leur avons donné (pas que les élus leur ont donnés), on verra bien combien de clients le jour de leur réouverture

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  7. Alceste. Alceste.

    Souvent on trouve dans le passé, les raisons de certaines non réactions de la part des élites locales et des syndicats vis-à-vis de la grande distribution
    Quelles sont les contreparties à l’implantation d’Auchan, Décathlon, Boulanger et autres enseignes du groupe Mulliez à l’époque sur Aubagne
    Une question naïve sans doute, mais quand même.

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    • barbapapa barbapapa

      Idem à Martigues
      Il y a de la consanguinité entre certains partis politiques, la CGT et l’opaque richissime famille Mulliez dont les comptes ne sont jamais publiés

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