Aix-Marseille : Enjeux multiples pour université unique

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le 5 Jan 2012
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Yvon Berland savourait hier sa victoire au palais du Pharo. Le premier président de l’université unique pouvait lever son verre face aux membres du conseil d’administration (qui regroupent élus étudiants, personnels techniques et enseignants-chercheurs) qui venaient de l’élire et quelques happy few conviés à la célébration.

Hors champ, l’impétrant pouvait aller saluer son concurrent malheureux, Michel Provansal, lui-même pas mécontent d’en avoir fini avec cette campagne. Le candidat de la FSU n’a finalement recueilli que six voix contre seize au vainqueur comme nous le détaillions au soir du vote. Après avoir trinqué, le désormais premier opposant nous a fait part du rôle qu’il entend jouer au sein de la nouvelle institution.

Michel Provansal ne sera pas le seul à surveiller cette gestion de près. De nombreux enjeux se mêlent pour ce mastodonte de l’enseignement supérieur (70 000 étudiants). Nous en avons listé cinq (liste non exhaustive) que nous avons ensuite soumis à Yvon Berland.

1 Convaincre en interne

Yvon Berland ne pourra pas se payer le luxe de négliger son opposition. Malgré une confortable avance chez les professeurs (collège A) et une victoire dans toutes les filières, le médecin a été battu dans le collège B (qui rassemble le reste du corps enseignant) en sciences et en lettres. Ces deux unités de formation et de recherche (UFR) sont encore aujourd’hui loin de lui être acquises. Un candidat réputé proche du nouveau président a été battu en novembre dernier pour l’accession au poste de directeur de l’UFR Lettres laissant le siège aux mains de Pierre-Yves Gilles, le candidat soutenu par la FSU.

Plus généralement, des craintes se font jour, chez les étudiants comme au sein du personnel, d’un déséquilibre entre filières (voir ci-dessous la vidéo de Julie El Mokrani Tomassone, présidente de l’Unef et élue au conseil d’administration )

Très largement soutenu au sein de « sa » faculté de médecine, fleuron de la recherche provençale, le président Berland doit encore convaincre qu’il n’est pas l’homme d’un clan mais bien celui qui fera vivre le projet d’université pluridisciplinaire sans rompre le dialogue et mépriser le ciment de l’édifice qu’est la démocratie universitaire.

Classé plutôt à droite, il a déjà entamé ce travail en faisant élire sur sa liste un ancien membre de Sauvons la recherche. Autre réussite à mettre à son crédit, la présence des anciens présidents d’Aix-Marseille I et III à ses côtés (lui-même dirigeant jusqu’à présent Aix-Marseille II). Le plus jeune, Marc Pena, sait que son heure viendra. Quant à Jean-Paul Caverni, il a fait cause commune malgré des dissensions passées.

Oubliées les remontrances de ses deux homologues quand il s’était présenté aux dernières élections régionales sur les listes de Michel Vauzelle (passant d’une position éligible à la fin de la liste entre les deux tours). Mises de côté aussi les divergences nées de l’élection à la conférence des présidents d’université. Cet organe a l’oreille du ministère et Jean-Paul Caverni se voyait bien y jouer un rôle majeur fin 2010. C’était avant qu’Yvon Berland ne se positionne dans la dernière ligne droite, emporte la mise et devienne vice-président de l’institution. Visiblement, le travail en commun a été plus fort que ces divergences. « L’université, c’est l’université. On est en accord sur le projet global que nous avons monté ensemble. Il aurait été illogique que nous ne le portions pas ensemble », résume Jean-Paul Caverni.

2 Rassurer les personnels

La loi d’autonomie a transféré la gestion de l’ensemble du personnel à l’université. Alors que l’on cherche encore un directeur des ressources humaines, l’inquiétude reste grande chez les 7500 personnes qui travaillent à l’université dont seul un représentant sur trois (l’élu Unsa) a voté hier en faveur de Berland. Les fusions de services, les changements de directions, les éventuelles mobilités sont au coeur des préoccupations.

L’exemple de Strasbourg, première université fusionnée il y a trois ans, n’est pas fait pour rassurer les troupes. Les syndicats y dénoncent des rythmes de travail accrus dans une réunification réalisée à moyen constant, comme c’est le cas à Aix-Marseille. A la CGT de l’université de Provence, en juin dernier, on déclarait ainsi craindre « une sorte de syndrome de France Telecom » dans une institution où l’on oublierait « la notion même de service public ».

Sur le sujet (voir la vidéo ci-dessous), Yvon Berland multiplie pourtant les signes d’apaisement se donnant 18 mois pour faire un état des lieux de la situation. Dans deux mois, les élections au comité technique, l’organe de dialogue entre la direction et les représentants du personnel, verront s’opposer des syndicats qui ont fait des choix politiques différents. Le résultat dira si les arguments avancés par la direction commencent ou non à porter.

3 Garantir les finances

La gestion des hommes dépendra aussi grandement de la santé du nouvel organisme, alors que les finances des universités françaises en général suscitent aujourd’hui de nombreuses inquiétudes. Une dizaine d’entre elles a été placée sous la tutelle du rectorat pour avoir présenté deux exercices budgétaires déficitaires. L’université de Strasbourg se trouve ainsi dans une situation peu confortable. En quelques années, son fond de roulement a fondu de 75 %.

Les dirigeants alsaciens pointent volontiers du doigt l’État qui n’aurait pas tenu ses engagements financiers. En Provence, feu les trois universités n’affichaient pas toutes bonne mine. La situation moribonde de l’université de Provence (U1) doit ainsi être compensée par celle plus reluisante de celle de la Méditerranée (U2). Le budget de départ est de 650 millions d’euros, sans réelle visibilité sur les années suivantes. Or, rappelle Michel Provansal, « 1% de deficit, c’est six millions d’euros soit le budget d’une UFR ! Les enjeux sont colossaux. »

Une seule certitude dans ce domaine : l’argent pour rénover les locaux est déjà là. Ces 500 millions d’euros issus du plan Campus ne seront pas du luxe, notamment à la fac de lettres. Ailleurs, c’est le flou total. Les élections présidentielle et législatives à venir au
ront forcément un impact. Aujourd’hui, l’UMP développe déjà ses pistes pour le financement des universités : hausse des frais d’inscriptions (ce qui fait bondir les étudiants) et accélération de la mise en place des fondations qui doivent drainer l’argent privé.

4 Réussir Idex

Ça sera la première grande échéance de la présidence Berland : accrocher le train des Idex, les initiatives d’excellence. Cela ferait, justement, du bien aux finances comme à l’image de marque d’une université renommée Amu (comme Aix-Marseille University) plutôt qu’UAM et qui veut désormais jouer dans la cour internationale. Issus du grand emprunt, ces labels Idex doivent permettre de « doter la France de 5 à 10 universités d’excellence » et organiser la carte de l’enseignement supérieur. Marginalisant de fait les pôles écartés…

Une initiative parisienne, Bordeaux et Strasbourg ont déjà été choisies quand Aix-Marseille ne pointait même pas dans la présélection de sept réalisée pour sélectionner ce trio. Autant dire que la marge est fine et que les orateurs, critiqués lors de leur premier passage, devront faire bonne impression devant le jury international le 30 janvier. La gouvernance clarifiée devrait être un plus pour cette séance de rattrapage. Reste que si c’est la fourchette basse qui triomphe (entre 5 et 7 gagnants), quelques tours à la Bonne- Mère pour le superstitieux Berland ne seront pas de trop.

5 L’enjeu métropolitain

Enfin, comment ne pas ancrer cette réunification dans le débat sur la métropole ? L’université fait figure d’exemple d’une collaboration fructueuse entre Aix et Marseille. Les conseils de développement vantent « un exemple de ce que peut être un certain regard métropolitain » (Pour une approche métropolitaine des territoires, juillet 2010).

Non pas que le projet se soit mis en place sans heurts : Maryse Joissains remâche toujours le fait de ne pas avoir obtenu le siège de l’université. Comble du camouflet, celui-ci vient même d’être installé au Pharo, à deux pas du bureau d’Eugène Caselli, président de la communauté urbaine de Marseille.

Néanmoins, les étudiants, qui cumulent souvent les cours à Aix et Marseille, sont l’incarnation même du fait métropolitain et sont aussi les premiers à souffrir des manques de relations (transports notamment) entre les deux villes. Ce que le plan d’aménagement et de développement durable du schéma de cohérence territoriale résumait ainsi en langage techno : « La fragmentation géographique de l’enseignement supérieur et de la recherche reste prégnante malgré la décision de créer une université unique Marseille-Aix ».

Cet article aurait dû, comme annoncé, être publié hier. Pour des raisons techniques indépendantes de notre volonté, ça n’a pas pu être le cas. Toutes nos excuses à nos lecteurs.

Un lien Yvon Berland élu président d’Aix-Marseille université sur Marsactu

Un lien Les chercheurs doivent désormais « vendre » leur projet pour obtenir des crédits de recherche comme les inventeurs de la (fausse) cape d’invisibilité de Saint-Jérôme

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Commentaires

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  1. hellef13 hellef13

    Très bon article, Jean-Marie. Les grands enjeux sont bien inventoriés et analysés. Mais je fais confiance à Yvon Berland pour les maîtriser.
    Amitiés

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  2. Benjamin Benjamin

    Ça fait du bien de lire quelque chose sur le sujet qui change du copier-coller des communiqués de Berland qu’on lit dans La Provence!

    Par contre, je ne comprends pas “situation moribonde de l’université de Provence” : que je sache il n’y a jamais eu à U1 de problème budgétaire majeur, contrairement à l’Université Paul-Cézanne (U3) il y a quelques années…

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  3. gabriel fouquet gabriel fouquet

    Bonjour,

    Merci pour cet article.

    Sait-on si la répartition des rôles entre les trois présidents des ex U1, 2 et 3 ((Berland : Président AMU / Pena : président du PRES / Caverni : investissements d’avenir) est toujours d’actualité ?

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