Vers une affectation équitable, sociale et écologique de la taxe de séjour?
Vers une affectation équitable, sociale et écologique de la taxe de séjour?
« Quand les regards du monde entier se posent sur Marseille, nous voulons que tous les Marseillais puissent se sentir fiers d’être les habitants d’une ville portuaire, ouverte, fraternelle et solidaire. » Extrait de l’édito de Benoît Payan pour le Bilan de mi-mandat : Marseille est de retour.
Une coalition d’organisations de la société civile marseillaise et de professionnels du tourisme demande au maire de Marseille d’organiser des assises marseillaises de l’hospitalité pour concilier hospitalité, lutte contre le réchauffement climatique et justice sociale et fiscale.
Pourquoi la ville de Marseille applique-t-elle une taxe de séjour?
Depuis la loi du 13 avril 1910, la taxe de séjour peut être adoptée par les collectivités locales. Elle concerne les personnes qui séjournent dans des hébergements touristiques marchands de la commune. Les collectivités votent son montant dans des limites fixées par la loi de Finances. Aujourd’hui plus de 80% des communes sont concernées.
Historiquement, c’est en 1902, que Marseille s’est dotée d’un syndicat d’initiative afin de renseigner les visiteurs y séjournant pour leurs affaires ou en villégiature. Il a été fondé par Paul Ruat, libraire et cofondateur de la Société des excursionnistes marseillais. Le syndicat d’initiative est une initiative privée portée souvent par des habitants, contrairement à l’Office du tourisme qui est institué par la collectivité.
Il existe toujours à Marseille un Syndicat des Initiatives de l’Estaque et du bassin de Séon porté depuis 2018 par des habitants de l’Estaque et plusieurs organisations locales : CIQ de l’Estaque-Plage, Centre social, Association des Riaux, … . Il est situé dans les locaux de l’éphémère antenne de l’Office du tourisme en 2013 à l’Estaque.
En 1966, Marseille s’est dotée de son propre Office Municipal de Tourisme. Aujourd’hui, l’Office du tourisme est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Il est administré par un comité de direction composé majoritairement d’élus ainsi que de socioprofessionnels.
Depuis janvier 2023, la Ville de Marseille a en charge la compétence tourisme, jusque-là déléguée à la Métropole, et réfléchit depuis à un nouvel usage et une nouvelle gouvernance de l’Office du tourisme et donc de la taxe de séjour. Elle a annoncé annonce sa volonté de promouvoir un tourisme durable et populaire.
À quoi sert cette taxe de séjour?
De part la Loi, le produit de la taxe de séjour est affecté aux dépenses destinées à “favoriser la fréquentation touristique de la commune” (Article L2333-27) : travaux d’amélioration de l’espace public, campagnes promotionnelles, évènementiels, …
La taxe de séjour appliquée à Marseille est composée de la part communale à laquelle s’ajoute une taxe additionnelle de 10% au profit du Département et depuis 2023 une taxe additionnelle de 34% à destination de la Société de la Ligne Nouvelle Provence Côte d’Azur afin de reconfigurer le réseau ferroviaire régional. La part communale est reversée intégralement à l’office de tourisme de Marseille.
Le budget prévisionnel de l’Office du tourisme de Marseille pour 2024 est de 9,5 millions d’euros financés à 82% par la taxe de séjour (délibération Conseil municipal 24/0008/AGE). L’Office du tourisme mène des actions de promotion touristique, de commercialisation et d’accueil de la clientèle touristique nationale et internationale. Il s’adresse aux touristes, aux professionnels du tourisme et aux investisseurs.
En dix ans, la collecte de la taxe de séjour à Marseille n’a cessé d’augmenter, passant de 2,5 millions en 2015 à 7,8 millions d’euros en 2022. Une augmentation moyenne d’un million d’euros par an, hors pandémie, collectés auprès de toutes les personnes de passage dans des hébergements touristiques marchands, exceptés quelques cas comme les mineurs et les mises à l’abri.
Qui d’autre que les touristes paie la taxe de séjour?
Beaucoup de personnes de passage à Marseille pour des raisons autres que touristiques logent dans des hébergements touristiques marchands et s’acquittent de la taxe de séjour, sans pour autant être forcement destinataires des actions qu’elle finance : informations, cartographie, promotion, formations, ….
En dehors des touristes venus pour les loisirs ou en congrès à Marseille, principales cibles de l’office du tourisme, les autres personnes de passage en hébergement touristique, sont des étudiants qui viennent passer un entretien, réaliser un stage ou s’installer à Marseille, des aidants qui accompagnent un proche hospitalisé dans l’un des nombreux hôpitaux et cliniques de Marseille, des travailleurs détachés, en formation ou en contrat temporaire dans une entreprise marseillaise, des artistes en représentation dans un lieu culturel et les techniciens qui les accompagnent, des familles en parcours migratoire…
Lorsqu’elles ne peuvent pas loger chez des proches ou dans les établissements qui leur sont dédiés, souvent complets, comme les foyers de jeunes travailleurs, les maisons des aidants, les centres et aires d’accueil ou les résidences universitaires, ces personnes se tournent vers les hébergements touristiques : les hôtels, auberges de jeunesse, chambres d’hôtes, gîtes urbains, locations courte durée et autres hébergements marchands.
Des hébergeurs touristiques connaissent bien ces personnes, certains en ayant même fait leur principale clientèle. Nous avons commencé à détailler leur situation et leur importance dans un précédent article : Marseille l’hospitalière.
Comment évolue l’accueil des personnes de passage à Marseille ?
Marseille est l’une des villes de France qui connaît depuis quinze ans l’une des plus fortes montées en gamme de son offre d’hébergements touristiques. Une montée en gamme qui s’accompagne d’une augmentation tarifaire, peu favorable aux autres personnes de passage.
En France, sur les 20 dernières années, les tarifs hôteliers ont augmenté en moyenne deux fois plus vite que l’indice des prix. En 2022, une nuitée en hôtel à Marseille coûte en moyenne cent euros. Elle coûte le double en hôtel haut de gamme qui représentent aujourd’hui 40% du parc hôtelier marseillais, contre 10% avant 2013.
Cette hausse tarifaire concerne aussi la restauration et les activités culturelles, à l’échelle nationale comme à Marseille. Le nombre de restaurants « Gault&Millau » a été multiplié par cinq à Marseille, qui en compte une centaine aujourd’hui.
La montée tarifaire favorise l’essor de la location courte durée : quand l’offre hôtelière bas de gamme se réduit, les personnes se tournent vers la location courte durée, plus favorable sur les séjours moyenne durée au niveau tarifaire, avec des équipements proposés comme la cuisine. Les études disponibles montrent que les hôtels à bas prix sont les plus touchés par le développement de la location courte durée, contrairement aux hôtels moyenne et haut de gamme.
Un séjour touristique hôtelier à Marseille dure 1,6 jours en moyenne, le double en location courte durée. Si cette offre de location courte durée reste relativement contenue au regard du nombre d’hébergements que compte la ville, sa concentration sur certains quartiers est source de tensions foncières et sociales. Elle concurrence notamment l’offre d’hébergement d’autres personnes de passage comme les étudiants, voire parfois des résidents.
Pourquoi est-ce une question d’équité fiscale?
Si à Marseille le taux maximum de la taxe de séjour est appliqué aux hébergements de moyenne gamme (2 et 3 étoiles) où séjournent souvent les autres personnes de passage, ce n’est pas le cas des hôtels de luxe (4 et 5 étoiles) et des locations courte durée qui sont taxés sous le seuil maximum autorisé par la Loi.
La révision de cette fiscalité dépend de la Ville de Marseille : un alignement de la taxe de séjour sur le taux maximum pour les hôtels de luxe et la location courte durée représenterait potentiellement une marge d’un million d’euros de collecte. L’augmentation serait globalement inférieure à l’euro par nuitée et par personne.
À cela s’ajoute que les hébergements touristiques non classés comme les nombreux hôtels dits “de Préfecture” très présents à Belsunce et les auberges de jeunesse, sont taxés au pourcentage, ce qui amène parfois leurs clients à payer la taxe de séjour maximum autorisée, au même niveau que les hôtels haut de gamme.
Pourquoi est-ce une question de justice sociale et climatique ?
Toutes ces autres personnes de passage ont en commun de payer la taxe de séjour lorsqu’elles séjournent en hébergement touristique marchand, sans pour autant être bénéficiaires des politiques touristiques : informations centrées sur les seuls lieux touristiques, absence d’accompagnement des professionnels aux dispositifs d’accueil autres que touristiques (médiation locative, hôpital hospitalier, dispositif de garantie visale, etc), manque d’information sur les lieux d’accueil dédiés (Résidences étudiants, foyers de jeunes travailleurs, maison des familles, etc)…
Depuis juillet 2024, il existe (enfin) une carte touristique de Marseille qui inclut les quartiers nord de Marseille, 120 ans après la dernière éditée dans les guides Joanes. Elle était réclamée de longue date pour les milliers de personnes qui séjournent et sont accueilles dans les quartiers nord de Marseille pour se rendre à l’Hôpital Nord, dans l’une des 4.500 entreprises des zones d’activités, pour voir des proches ou en randonnée sur le GR®2013 ou sur le chemin de Marie-Madeleine.
Les nombreuses personnes de passage dans les hôpitaux et cliniques marseillais – aidants, contrats courts, apprentis infirmiers, internes, commerciaux, … – ne bénéficient pas de pages d’information dédiées sur le site de l’office du tourisme. L’hôpital Nord a créé sa propre page d’information sur son site internet tout comme les associations solidaires ont créé leurs propres cartes et applications d’accueil ainsi que les centres locaux d’accueil des jeunes.
Et les hébergeurs touristiques qui accueillent ou souhaiteraient accueillir au-delà des seuls touristes ne sont pas formés aux conditions de leur accueil : contrat de logement pour les étudiants, médiation locative pour les jeunes travailleurs, programme Hôpital hospitalier pour les femmes enceintes résidant à plus de 45 minutes de l’hôpital, etc.
La taxe de séjour, de pas sa nature juridique, n’exige pas que le contribuable qui la paie bénéficie d’une contrepartie, à la différence de la redevance.
Pour autant, cela soulève une question d’équité de traitement quand une grande part des contribuables qui la paient et contribuent à la “fréquentation touristique” de la ville ne voient pas leurs conditions d’accueil s’améliorer, voir le contraire. Et ce d’autant plus que leur bilan carbone est plus faible de par leur proximité et sobriété, que leur durée de séjour est plus longue et qu’ils contribuent à la vie et à l’économie locale et rarement à la montée tarifaire.
Combien payent la taxe de séjour sans pour autant en bénéficier pleinement ?
Il n’existe pas de données à l’échelle nationale comme locale sur le nombre de personnes hors touristes qui séjournent dans des hébergements touristiques marchands et paient la taxe de séjour. En 2024, le réseau national des gîtes de France, fort de ses 50 000 hébergeurs, estimait que 14% de sa clientèle était composée de non touristes.
La coalition qui appelle à des assises marseillaises de l’hospitalité demande à la Ville de Marseille de flécher un million d’euros par an de la taxe de séjour vers l’accueil des autres personnes de passage. C’est un enjeu de justice sociale et fiscale et de transition écologique.
Un million, c’est en moyenne l’accroissement annuel de la collecte de la taxe de séjour sur ces dernières années, hors période pandémique.
Un million, c’est 15% de la collecte en 2022, au niveau de l’estimation nationale des gîtes de France.
Un million, c’est la marge d’augmentation de la collecte de la taxe de séjour auprès des hôtels haut de gamme et de la location courte durée.
Un million, c’est la moitié de ce qu’aurait rapporté l’application de la taxe de séjour aux croisiéristes comme l’avait proposé Benoît Payan en 2018.
Avec un million d’euros, soit seulement 15% du total collecté, il est possible de financer de solides assises marseillaises de l’hospitalité
Vers une révision de l’affectation de la taxe de séjour ?
Le regroupement qui appelle à des assises marseillaises de l’hospitalité pour concilier hospitalité, lutte contre le réchauffement climatique et justice sociale et fiscale, a engagé un chantier sur les conditions d’affectation de la taxe de séjour.
La SCIC Les oiseaux de passage, partie prenante de ce regroupement, documente le cadre légal concernant l’affectation de la taxe de séjour et collecte des information sur son affectation actuelle et concernant les différentes typologies de personnes de passage qui sont amenées à la payer.
Quelles seraient les priorités d’assises marseillaises de l’hospitalité ?
Poser les assises de Marseille hospitalière
La coalition propose de mener des travaux de recherche et développement afin de poser des assises scientifiques, juridiques, politiques, philosophiques, patrimoniales, culturelles et écologiques de l’hospitalité :
- Quantifier et qualifier l’ensemble des personnes accueillies et accueillantes à Marseille,
- Documenter les dispositifs et pratiques d’accueil existants,
- Évaluer l’impact écologique, social et économique des différentes personnes de passage à Marseille au delà du seul panier moyen,
- Identifier et modéliser des transitions possibles des professionnels vers un accueil plus “populaire et durable”,
- Apprendre des cultures et patrimoines présents à Marseille en termes d’hospitalité.
Les données, pratiques et histoires existent souvent, de façon parcellaire et sectorielle. Elles gagneraient à être mieux collectées, agrégées, étudiées et partagées.
Tenir les Assises de Marseille hospitalière ouverte et inclusive :
La coalition propose de mettre en réseau l’ensemble des personnes concernées par l’accueil des personnes de passage à Marseille : universités, foyers de jeunes travailleurs, résidences universitaires, réseaux d’accueil d’urgence, Chambre de commerce, professionnels du tourisme, travailleurs et travailleuses du secteur, collectifs d’habitants, …
L’hospitalité ne se décrète pas. Elle s’accompagne. La mixité sociale des personnes accueillies nécessite d’inventer de nouvelles coopérations entre acteurs de l’hospitalité, de nouvelles interfaces entre personnes accueillies et accueillantes et de nouveaux modèles économiques plus “durables et populaires”.
Il s’agit par exemple d’anticiper collectivement l’accueil durant les grands évènements pour que la dignité d’accueil des uns ne se fassent pas au détriment de la dignité des autres.
Les assises permettraient à chacun de partager son expérience, de mettre en relation les nombreux tiers de confiance avec celles et ceux qui accueillent, quand ce n’est pas déjà le cas, et de former une véritable communauté d’hospitalité en capacité d’accueillir dignement toutes les personnes de passage.
Il s’agirait de revisiter d’anciennes formes d’organisation comme celle des syndicats d’initiative lorsque les habitants étaient pleinement associés aux politiques d’accueil et de promotion de leurs lieux de vie.
Renforcer les assises de Marseille hospitalière
De nombreuses personnes sont déjà hospitalières avec une grande mixité de personnes de passage. Pour autant, ce choix n’est pas facilité : que l’on soit accueillant ou accueilli, l’accès à l’information et l’accompagnement n’est pas aisé. Les projets de tiers lieux hospitaliers sont peu visibles et peu soutenus.
Des assises permettraient de renforcer les initiatives et les politiques publiques existantes et de soutenir celles émergentes afin de renforcer notre capacité à accueillir dignement toutes les personnes de passage : Maison de l’hospitalité, appel à nouveaux lieux (camping, Auberges de jeunesse, colonies de vacances, aires d’accueil, …), formation à la transition des professionnels, appel à innovation sur de nouvelles modalités d’intermédiation, approche intégrée du patrimoine, prise en compte des conventions collectives, …
À qui s’adresse l’appel à des assises marseillaises de l’hospitalité ?
Notre appel s’adresse à celles et ceux qui accueillent, ont besoin d’accueillir et qui aident à l’accueil tout comme aux personnes accueillies.
Il s’adresse aux élu.e.s en charge du social, de l’écologie, du logement, de l’économie, de la culture et du patrimoine.
Il s’inscrit dans la tradition d’hospitalité de Marseille, une hospitalité populaire et durable, annoncée par la Ville.
Il s’adresse à toutes les personnes qui résident, travaillent, séjournent et arrivent à Marseille.
C’est une offre de coopération à l’équipe municipale et en particulier au maire de Marseille, Benoît Payan, qui revendique un « tourisme durable et populaire » qui « s’inscrit dans la tradition d’accueil et de solidarité qui a fait la force de Marseille au fil des siècles », dans la continuité de l’adhésion de la ville de Marseille à l’Association nationale des villes et territoires accueillants (ANVITA).
Aucune ville, à notre connaissance, n’a pensé l’hospitalité de toutes les personnes de passage à travers ce nouveau prisme de l’hospitalité. À jamais les premiers?
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