Saint-Charles
Un dimanche devant Marseille
Marseille est meurtrie, et l'hommage que l'on redoutait de devoir écrire un jour ne va pas sans doutes, ni questions, ni espoirs.
Un dimanche devant Marseille
Parce que la vie continue, il était hors de question de manquer le match d’hier soir. Il en était encore moins question que d’habitude, d’ailleurs, tant le football a cette vertu de nous donner à faire corps, tous ensemble. A l’heure d’en écrire la chronique, cependant, il était impossible de faire comme si rien ne s’était passé quelques heures plus tôt ; comment en rendre compte, c’était une autre paire de manches, soulevant doutes et questions qui n’avaient pas lieu d’être dans un billet de football.
Rendre hommage aux victimes de Saint-Charles, c’est reconnaître qu’à travers elles, Marseille dans son entier était visée, et meurtrie. C’est aussi exprimer une émotion particulière liée à un lieu emblématique de la ville. Loin des cartes postales, le parvis montre déjà une ville grouillante, bruyante, une mêlée confuse dans laquelle le visiteur attend de plonger par les escaliers monumentaux. Cette émotion, je la ressentais à l’heure d’arriver à Marseille, et je la ressens encore quand, ayant quitté la ville, chaque passage à cet endroit m’offre l’occasion d’un salut nostalgique. En sortant de la gare, chacun voit Marseille étendre à ses pieds une feuille blanche où écrire sa propre histoire. Dans ce qui représentait jusqu’ici un lieu de promesses, un fanatique a décidé que deux de ces histoires s’achèveraient brutalement.
Rendre hommage, surtout, c’est faire partie d’un groupe d’amis déjà éprouvé un soir de novembre, et qui sait combien des messages, d’apparence dérisoires, peuvent contribuer à adoucir les cœurs meurtris d’avoir perdu un des leurs. Hier soir, penser à elles, c’était aussi penser à lui.
Mais penser à elles, c’est aussi songer à d’autres. Dans les mois, dans les années précédentes, combien de jeunes de 20 ans sont-ils tombés à l’aube de leur vie, sous d’autres balles, dans d’autres quartiers ? Eux n’ont pas droit aux visites, aux hommages ; nul ne songerait à publier un billet à chaque règlement de comptes. Marseille fait bloc lorsqu’on la vise, mais détourne le regard quand les siens s’entretuent ; cela n’est pas critiquable, c’est humain. Mais la douleur des familles reste la même, et que nos pleurs d’hier soir ne les trompent pas : non, la vie de vos enfants, quoi qu’on en dise, ne vaut pas moins que celles ôtées hier.
Pleurer Saint-Charles ne trahit pas une douleur sélective. Hier certains ne voyaient dans le drame qu’un prétexte jubilatoire pour diviser, haïr et exclure, et s’empressaient d’en inonder les réseaux sociaux sans même un semblant de compassion pour les victimes. Pleurer Saint-Charles, au contraire, c’est s’attacher à l’espoir de voir une Marseille digne et unie, affrontant enfin cette violence qui, sous les diverses formes qu’elle emploie, sous les divers motifs qu’elle invoque, n’en finit pas de tuer ses fils et ses filles.
Non, décidément, tout ceci n’avait pas sa place dans un article de football.
Commentaires
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Très beau texte. Mais ce qui était n’est plus et cela me désole. Marseille sombre.
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Au-delà de l’émotion, Marseille n’est pas unie, ce pourrait être un cliché ou une “carte postale”. Marseille est un agglomérat de communautés qui coexistent vaille que vaille et où, surtout, l’individualisme prédomine. Souvenons-nous de la relative faible participation du “peuple” marseillais au lendemain du Bataclan.
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Il y a longtemps que la peur a envahit nos rues, obscures dès la tombée du jour. Il est demandé aux femmes, jeunes et moins jeunes d’être prudentes, d’éviter les shorts, les cheveux libres, les bijoux en or, de marcher seules.
C’est donc aux victimes, toujours les mêmes, de veiller à ne pas se faire attaquer : pendant ce temps une brute, aux identités multiples (donc commettant déjà un délit), va et vient sans être inquiétée. D’autres encore, insultent, crachent sur les femmes dans la rue, dans un bus, et personne ne bouge ! Eventuellement une âme charitable consolera la victime de l’agression, si elle survit, et la brute si elle est assassin sera abattue, si c’est un crachat, rien : les femmes françaises auraient-elles intégrées que c’est “la norme” de leur cracher dessus ?
Est-ce notre indifférence à la violence quotidienne qui permet de tuer ou sommes-nous mis en position d’agneaux par nos gouvernants qui prétendent nous protéger en nous faisant taire ? J’ai de plus en plus de questions face à des politiques plus préoccupés de prendre la pose devant les photographes que de réfléchir à la lutte contre le crime.
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Marseille unie, Marseille transculturelle, l’exception marseillaise, Marseille le bien vivre ensemble. Foutaise !
Bataclan , faites un tour au boulevard National et vous comprendrez le pourquoi.
Femmes , certaines parties de certaines communautés (soyons politiquement correct) veulent imposer un mode de vie qui n’est pas le nôtre et surtout par la violence.
Politiques , les voix des électeurs comme l’argent n’ont pas d’odeurs, donc ils se voilent la face pudiquement parce que ces gens là , votent aussi. Faut bien que les subventions servent à quelque chose. Marseille sombre. Mais un très beau texte.
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Mais évidemment que la Marseille unie et diverse est un mythe, personne n’osera dire le contraire. N’empêche que c’est justement le seul mythe qui peut éviter que la ville finisse par péter à la tête de ses habitants. Des idiots et idiotes qui se cachent et s’excluent sous un monceau de voiles et de principes plus ou moins religieux, il y en a. Tout comme il y a des abrutis qui se retranchent dans leurs lotissements de paranoïaques avec grilles, vigiles et digicodes.
Mais pour ceux-ci comme pour ceux-là, croire qu’ils vont s’abstraire de la réalité en se repliant sur un chez-soi sécurisé à l’abri de tout ce qui n’est pas eux, c’est tout autant une illusion. Alors, mythe pour mythe, à tout prendre je préfère choisir celui qui permettra peut-être à nos enfants de ne pas finir par se taper sur la gueule.
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Toute à fait!
Le vivre ensemble est sans doute un mythe mais ce mythe est nécessaire pour faire société.
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Les mythes évoluent et se désagrègent aussi.
L’admettre permet ainsi d’évoluer vers autre chose qui doit aider à reconstruire un sens commun.
Autrement dit ce qui était n’existe plus , le mythe marseillais est mort tel que conçu comme une machine à assimiler dans une culture commune,le communautarisme en a eut raison.
Le constat est terrible mais bien là.
Alors que faire pour ce fameux vivre ensemble ?
A vos claviers chers amis !
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Oui et derrière le mythe, il y a une réalité qui bouge, et il n’est pas dit que ce dernier fasse éternellement en sorte d’éviter que les choses “pètent à la tête” des habitants de ce territoire. Communautarisme ou résidences fermées, le déséquilibre et la violence ne sont jamais loin. Aujourd’hui l’absence criante de la République et de l’état de droit contribue à faire progresser de futurs antagonismes violents.
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Les anglophones écrivent “Marseilles”, avec un “s”, et je me demande s’ils n’ont pas raison…
Je remercie l’auteur de ces belles lignes d’avoir eu une pensée aussi pour ces “jeunes de 20 ans (…) tombés à l’aube de leur vie, sous d’autres balles, dans d’autres quartiers.” Même les voyous ont un coeur et des rêves.
La constance de nos hommes et femmes politiques pour détourner le regard devant les crises actuelles – écologique, sociale -, qui peut-être n’en font qu’une, conduit à se demander à quoi ils servent. Et à se demander surtout s’ils servent la République : celle-ci est censée donner une chance à tous – c’est la première condition du “vivre ensemble”.
A Marseille(s), quand on voit l’état de l’école, l’abandon de certains quartiers, les gaspillages somptuaires, couronnés par le déni de réalité de ceux qui ont failli à leur mission (à droite comme à gauche), on peut comprendre, sinon excuser, la violence de ceux qui se sentent relégués.
Mais il serait trop facile de faire porter le sombrero à la seule classe politique : en votant ou en nous abstenant, c’est nous qui l’avons élue.
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Votre commentaire sur Marseille version anglophone est tout à fait intéressant.
Vous concluez sur une réflexe démocratique en vous référant aux résultats des urnes.
Ce système fonctionne pour certaines Marseilles.
Pour les autres Marseilles le référant idéologique auquel vous faites allusion ne fonctionne pas.
Nous sommes là en présence d un modèle totalement différent qui ne reconnait pas le rôle régalien de l état avec des référents totalement autres. Profs non respectés,police interdite de séjour, médecins agressés,pompiers chahutés.
D autant plus que vis à vis des jeunes les signaux sont mauvais de la part de la municipalité.Exemple l l’école privée vs le public qui est à la dérive.
Vous espérez que ces autres Marseilles nous rejoindront dans le système démocratique. J ‘en doute fort, leurs modèles sont ailleurs.
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