Très cher accent

Billet de blog
par Lagachon
le 4 Oct 2013
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Parfois on lit des choses…et ça éneeeeerve ! Comme dirait Maryse Joissains dans son interview délire post-électoral “je suis colère !”. J’étais colère… J’ai commencé ce billet en mai 2012… la colère venant de passer, je peux revenir dessus plus calmement. L’article qui m’avait mis les abeilles a été publié sur la provence.com “Marseille a-t-elle perdu son accent ?“, on y lit ce que l’on sait déjà si on a un peu de bon sens, mais je n’y peut rien, dès qu’on me le rappelle, ça m’éneeeeerve !

L’accent méridional ne serait plus la norme à Marseille, c’était l’argument utilisé par la RTM pour justifier leur choix d’une voix fadasse pour faire les annonces dans le métro. Françoise Weck enfonce le clou en rappelant que perdre son accent reste un passage obligé pour ceux qui prétende à l’ascension sociale, citant son expérience personnelle dont elle a fait un livre “Putain d’accent !”.

L’existence de cours de rééducation pour apprendre à parler français standard, le fait qu’aucun homme politique avec un accent marqué n’ait été Premier Ministre ou Président, les personnages attribués à l’accent méridional dans les films ou séries… tout ça entretien l’idée que notre accent est une anomalie qu’il convient de corriger, sauf à vouloir passer pour un brave couillon.

Un marqueur social

Michel Feltin-Palas dans une chronique intitulée “la France n’aime pas ses accents” sur France Info, analyse (sans accent) la domination du français des classes aisés, devenu la norme dans les médias, la culture, les affaires… comme image du mépris des élites vis-à-vis du “petit peuple”, et les efforts de prononciation qu’on fait de nombreuses personnes pour prendre l’ascenseur social, avec les traumatismes identitaires que cela peut comporter. Il conclut en soulignant que si le racisme et le machisme sont mal vus, la stigmatisation des français avec accent se vit bien, mais alors très très bien ! @camilflo me racontait que Bourdieu lui-même, expert s’il en est des mécanismes de domination, n’arrivait pas à se défaire de réactions violentes face à ceux qui avaient gardé l’accent du Béarn qu’il avait réussi à perdre, tout en étant conscient de ce qui le poussait à ressentir cette violence.

Lorsqu’on apprend l’anglais on entend des américains, des britanniques, des australiens… dans mes cours d’espagnol, j’ai eu droit à des madrilènes, des andalous, des mexicains et même des argentins. En Catalan (qui concerne moins de monde), on exige des élèves dès leur deuxième année d’étude qu’ils soient capables de comprendre un type des Baléares, de Perpignan ou de Valence aussi bien qu’un autre de Barcelone. Et dans les cours de français ? Rien, pas une trace de québecois, de belge, de sénégalais, et encore moins de marseillais ou d’alsacien ! Même nous, qui l’avons appris pendant 16 ans, on nous a mis dans la tête qu’il y avait une seule manière de parler : malheur aux déviants !

Du coup, passons sur les difficultés de la culture francophone à percer en France, cette obsession malsaine pour la pureté absolue de la langue est une barrière de plus pour s’assurer que l’organisation en castes ne sera pas perturbée.

Nous la retrouvons d’ailleurs à Marseille, entre ceux qui “maîtrisent” leur accent, ceux qui ne peuvent s’en défaire, mais aussi dans les tensions entre accent pagnolesque et quartiersnordesque. Les deux sont marseillais de fait, et perçus comme tel de l’extérieur, mais ceux qui ne reconnaissaient déjà pas la qualité de marseillais aux derniers arrivés contestent également leur apport au parler et à l’accent.

Une lente entreprise de destruction culturelle 

Mais en disant tout ça, on passe à côté d’une question à mon avis plus importante : de quoi cet accent est-il la marque ? Dans le cas marseillais, avant d’être le résultat de différences sociales, il vient du fait que le français n’est pas la première langue de ce territoire, et qu’en se diffusant à partir du XVIIIe siècle (et s’imposant avec violence aux XIXe et XXe), il s’est mélangé avec ce qui existait déjà (malgré le consciencieux travail de purification linguistique mené par la 3e République).

Peut-être qu’en conservant le provençal nous aurions mieux appris à ne pas mélanger les deux langues et les intonations ? Je serais d’accord, mais alors tout à fait d’accord, pour que l’on soit intransigeant avec le français à condition que l’on introduise le provençal à l’école de manière obligatoire, pour que tout le monde puisse parler correctement les deux. C’est une question de respect, sauf à accepter d’être traité comme une colonie !

Alors, comment juger la RTM qui collabore sans trop s’en rendre compte à cette entreprise de destruction culturelle ? Homicide involontaire ? Le pire, c’est qu’il est difficile de nommer des coupables, on est plus dans une sorte d’amnésie collective à la 1984.

Attention à la revanche du dominé

Ma seule consolation est de participer activement (à ma petite échelle) à la disparition du français dans une sorte de vengeance auto-destructive. Pris à son propre jeu et trop occupé à détruire ses langues régionales, voilà aujourd’hui le français dominé par l’anglais.

Les mêmes stigmates opposés à celui qui ne parlait que provençal il y a 100 ans frappent aujourd’hui le benêt qui ne parle que français (et pas anglais) : condamné à évoluer dans un marché de l’emploi national (et la francophonie ;-)), hermétique à la production scientifique, à la culture dominante… un looser qui voit de la VF quoi ! (je parle de perception par l’extérieur).

L’anglais est donc l’opportunité du marseillais qui en a marre de se faire reprendre sur son accent : intégrez bien que le français ne sert qu’en France, et réservez vos efforts à l’apprentissage de l’anglais plutôt qu’à normaliser votre français, vous ne ferez peut-être pas carrière à Paris, mais entre nous… “who gives a flying fuck ?”. Paris n’est-elle pas une sous-préfecture de province à l’échelle du monde qui nous tend les bras ?

J’écris donc ma thèse en anglais, sans pitié aucune pour une langue qui a exterminé celle de mon grand-père ! Je n’en tire absolument rien pour le respect de l’accent marseillais, mais quand j’y pense je ris de manière machiavélique, en marseillais bien sûr !

Commentaires

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  1. <a href=Benjamin" src="https://secure.gravatar.com/avatar/?s=96&d=mm&r=g" class="avatar avatar-50 photo" width="50" height="50"> Benjamin

    Moi je stigmatise l’accent parisien (qui n’est pas le français dit « standard ») : ras le bol de ces « -èè » à la fin des mots en « -é ». Maintenant on l’entend même à la télé.

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  2. <a href=catherinecuisine" src="https://secure.gravatar.com/avatar/?s=96&d=mm&r=g" class="avatar avatar-50 photo" width="50" height="50"> catherinecuisine

    Ça semble effectivement très français de vouloir uniformiser la façon de parler la langue… on ne retrouve pas ça dans le monde Anglo-Saxon, où George Bush a été élu sans problème malgré son fort accent Texan… Quand on regarde la télé en anglais, par exemple, on peut y voir des invités qui ont chacun leur accent, et personne ne s’en étonne ou en parle… on écoute ce que les invités ont à dire. Quand je tombe sur des émissions de France avec un invité Québécois ou Belge, on a toujours droit au show d’imitation (ratée) et l’entrevue est axée sur le côté rigolo de l’ accent. Pour moi c’est un signe de manque d’ouverture, de repli sur soi, et ça n’a plus lieu d’être en 2013.
    En tant que Québécoise, je ne peux qu’aimer cet article! Je trouve tellement prétentieux le fait d’affirmer ne pas avoir d’accent… Pas d’accent par rapport à quoi, à qui? Tout le monde a un accent, même les Parisiens, même les Français des classes aisées… C’est impossible de parler une langue sans accent!

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