Tranches de vie à Noailles
Non loin des immeubles qui se sont effondrés ce 5 novembre 2018, d'autres morceaux de pierre et de vies qui crépitent. Résumé de 4 ans de vie à la rue de l'Arc.
Noailles, image d'illustration / Yves Vernin
Après plus de 4 ans passés dans un appartement à la rue de l’Arc, au coeur de Noailles, mon père était surpris : “Pourquoi tu as déménagé de Noailles Marion ? Tu étais sous la protection des Capverdiens et les bières étaient gratuites là-bas !”
Je ne peux pas faire le récit du quartier de Noailles car tout le monde le fait très bien en ce moment. La rue de l’Arc est une petite rue piétonne, très fleurie. Seuls passent les voitures qui livrent les marchandises pour l’épicerie capverdienne qui se trouvait en bas de mon appartement. Je ne peux pas non plus faire le récit de l’ensemble des conditions de vie de cette rue, mais je peux faire celui de mon ancien immeuble, que je connais bien.
Au premier étage, le vieux musicien brésilien qui vit la moitié de l’année ici et l’autre au Brésil, ainsi que, lorsque je suis arrivée, un couple de personnes très âgées. Je n’ai jamais vu le monsieur, mais la dame avait l’air triste, elle était mal en point, et au passage devant leur appartement, ça sentait fortement l’alcool. Leur appartement était une ruine, un vieux truc qu’on reproduirait pour un film sur les conditions de vie des quartiers Nord, par exemple. Côte à côte, un lit, un bac à douche très jauni et une gazinière. Un jour, je la croise, elle me dit : “au fait, il y a de l’eau qui coule au niveau de ma gazinière !”.
Au deuxième étage, mon appartement, acheté par un couple fortuné. Lors de la visite, le couple m’explique que l’appartement a été rénové. Je comprendrai plus tard que seule la peinture avait été refaite, ce qui donnait un air propre. Lorsque l’on se quitte, l’épouse me fait part de sa réassurance : elle est contente de me trouver moi, jeune femme blanche, étudiante et discrète, alors qu’ils recevaient des dizaines d’appels de familles étrangères qui n’ont pas d’argent.
Je suis arrivée pendant l’été 2013, il faisait beau, la vie était tranquille. L’automne approchant, les grosses pluies ont commencé. Je découvrais alors de grandes flaques d’eau qui démarraient en bas des fenêtres et qui coulaient jusqu’au centre de l’appartement, car le sol n’était pas régulier. Les fenêtres simples et en cadre de bois vieilli ne suffisaient donc pas. C’est ce que je compris aussi lors de la fête de la musique : à la maison ou dehors, le même bruit. Mon père m’avait rendu visite à ce moment-là, on ne s’entendait pas parler, alors on avait décidé de sortir danser avec les Capverdiens dans la rue plutôt que se plaindre en restant enfermés. J’ai signalé le problème à mes propriétaires. Au terme de six mois pour réagir, ils m’avaient dit “qu’ils avaient bien gentils” de m’avoir mis des doubles vitrages par la suite.
Des fuites d’eau, ensuite, dans ma salle de bain. La vasque du lavabo avait une fissure. Mes propriétaires ont refusé de réagir car ils ont soutenu que c’était un manque de soin de ma part et que j’avais sûrement dû lancer des choses dedans pour que ça se casse ainsi. Alors, on a mis du scotch. Plus tard, l’eau coulait au point que, au bout de trois ans seulement, mes propriétaires réagissent suite à des menaces de la part de ma mère et moi : le sol s’affaissait et on avait mis une planche en bois de peur que ça ne cède. D’autres fois, l’arrêt d’eau chaude pour une raison que j’ai jamais connue. Ma porte d’entrée, une porte de bois vieux avec de gros verrous arrangés.
Lors de mon emménagement, quelques individus lambda ont profité que la porte de l’immeuble ferme très mal pour accéder à l’immeuble du 4e étage. C’est là que j’ai fait la connaissance de la voisine du 3e, qui était une très vieille dame qui fatiguait à monter ses courses, alors elle faisait livrer ses courses par Monoprix, ce qui lui revenait cher. Du coup, comme elle était fatiguée, elle restait dans son appartement et ne sortait pas trop. Je l’entendais souvent crier sur les enfants qui courraient dans la rue et qui l’insultaient.
Quelques mois après mon arrivée, les pompiers sont venus dans la nuit, car la vieille dame du 1er étage est décédée.
Mes voisins, un couple de jeunes Algériens et bébé Yassine dont je me suis occupée plein de fois. Le mari travaillait jusqu’à tard ou sortait quand sa femme, âgée de 19 ans, se plaignait de douleurs et n’arrivait pas à tenir debout. Plusieurs fois, j’appelais les pompiers pour elle, quand elle restait allongée par terre dans l’impossibilité de se lever. Le vieux Brésilien lui, se plaignait surtout des pleurs de Yassine.
A leur arrivée, impossibilité de dormir : j’entendais tout à travers les murs, dont, notamment, les disputes quand elle voulait dormir et que son mari rentrait tard et qu’elle avait des douleurs lors de sa grossesse. Mes propriétaires ont fait des arrangements et ont “isolé” le mur, mais le bruit se reportait ailleurs : j’entendais désormais les voisins de l’immeuble mitoyen. L’appartement de mon couple de voisins donnait sur la cour intérieure, un vide de béton gris et sale. On a vu passé les cafards et les souris des centaines de fois et les propriétaires d’aucun des appartements ne réagissaient.
Pendant leurs vacances au bled de mon couple de jeunes voisins, j’ai un jour entendu le bruit d’une énorme fuite en pleine nuit : les tuyaux de gaz avaient explosé. Je suis sortie et trouvé une autre voisine. En pyjama et en chaussons, on a appelé les pompiers qui ont enfoncé la porte pour s’en occuper. A leur retour du bled, mon voisin était en colère et comprenait mal ce qui se passait. D’ailleurs, je l’ai aidé plusieurs fois à remplir ses papiers pour des demandes de CAF, de CMU et autres acronymes. Une fois, il m’a fait remplir un papier pour lui, je ne sais plus pour quelle chose, et j’ai explosé de rire : il fallait qu’il signe une case qui confirmait qu’il ne pratiquait pas la polygamie. Souvent, il disait qu’il voulait partir car le quartier et l’immeuble sont trop sales et dangereux.
Au troisième étage, une autre vieille dame, elle vivait dans une chambre usée à la taille de son lit, entouré de poupées en porcelaine. Sa fille habite sur un bateau aux îles du Frioul. Elle était gentille, puis elle a trouvé un autre appartement alors elle est partie. Sa voisine, celle qui criait sur les gamins, a fini par partir aussi, cela faisait 20 ans qu’elle était là mais elle en avait marre.
Ces appartements ont été réhabités par un groupe de jeunes qui ont volé mon pot à encens dans le couloir (parce que sinon, ça puait l’humidité). Et ils faisaient tellement la fête que je me suis lassée de venir chaque soir leur demander de baisser le son.
Je passe les millions de fois où j’ai eu à contacter mes propriétaires en vain, tout comme le faisaient mes voisins. Certains avaient abandonné, comme le père de Yassine, car il ne savait pas ce qu’il avait le droit d’exiger ou non, il ne comprenait pas le contrat de location car c’était rédigé en français. On a eu les tags sur la porte de l’immeuble, l’humidité générale causée par le spa de l’autre côté de la rue, les vitres de la porte d’entrée cassées, les verrous forcés, les débris de verres des gens saouls du quotidien, les nuisances sonores, les animaux en tout genre, l’escalier qui se fissurait, la peinture du couloir qui s’émiéttait chaque fois qu’ils les repeignaient, les boîtes aux lettres explosées, etc.
En face de mon appartement, d’autres immeubles. Face à ma chambre, un groupe de mecs qui fumaient et mettaient du raï dégueu à longueur de temps. Une fois, deux fois, trois fois, je demandais, par la fenêtre, de mettre moins fort, puis les fois d’après je mettais moi-même de la pop arabe relou à fond, et bizarrement ça les a calmés. Et quand on faisait tomber du linge, il était remis, plié, sur les petites marches de l’entrée. Au niveau de mon salon, l’immeuble d’en face était totalement vide et abandonné. Des gens sont venus le réparer une fois, ils ont cassé des murs, puis plus rien, hormis la condamnation de la porte par des blocs de parpaings et une grande banderole qui indiquait que la ville de Marseille allait prendre en charge la rénovation du quartier. Au niveau de ma cuisine, un autre petit immeuble, dont je voyais les fenêtres. Un vieil algérien très gentil qui vivait dans un taudis et qui passait sa journée assis aux marches de mon immeuble. Il n’y avait pas de volet et sa fenêtre était cassée alors je voyais voleter une sorte de rideau poussiéreux. Il avait une petite chambre avec un lit une place, une petite table et une gazinière vieillotte. C’était pareil pour les deux autres étages. Ils n’avaient pas de famille ici. Le vieux monsieur avait un pied cassé et il mettait une seule chaussure car il avait mal à l’autre. Il étendait toujours son unique pantalon gris à sa fenêtre. J’aime me balader nue chez moi. Un jour, en rentrant à la maison, j’entends le vieux monsieur qui était dans la rue : “il faut faire attention !”
Dehors, il y avait le monsieur qui arrosait les plantes tous les matins, les familles de l’association de la rue de l’Arc qui se regroupaient parfois pour entretenir les fleurs, les mamans et les enfants à l’école coranique et parfois des mariages, les gens ivres jusqu’à plus soif, et la fine équipe de jeunes qui faisaient le mur toujours à mon pallier, et jamais ailleurs. Une nuit, j’ai entendu crier : « C’est mon canapé ! ». Chaque matin, chaque soir, le groupe de jeunes me voyait arriver d’en bas de la rue et se levaient pour me laisser passer. Il y avait un autre Algérien de 50 ans qui était toujours saoul et qui me demandait comment j’allais en glissant parfois que j’étais jolie. Et puis il y a Manel, le vendeur de bières portugaises qui faisait moitié prix à moi et mon père, et qui mettait son zouk capverdien tous les soirs.
Cette carte est un diagnostic montrant les parties en rouges les plus insalubres. A droite, les immeubles qui sont tombés ce 5 novembre 2018. A gauche, la rue de l’arc, est ce que je décris. Comme vous le voyez, il s’agit d’une partie en jaune, donc considérée comme le moins insalubre.
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