Dicovid 19-20

Samedi bien

Billet de blog
le 18 Avr 2020
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Une idée pour ces temps de confinement : élaborer un mini dictionnaire des mots du moment. Et jouer avec ces mots pour se jouer des maux. Ce sera mon rendez-vous quotidien.

Tu te réveilles guilleret, chargé de désirs simples. Tu te retournes vers elle (ou lui), la regardes somnoler, lui glisses un baiser et te lèves discrètement. Tu quittes la chambre, cheveux en bataille, sans lunettes, visage un peu froissé, chemise à moitié boutonnée. Tu ajustes ton pantalon sur le palier, croises une voisine, lui fait la bise, échanges quelques mots sur la douceur du matin. Tu sors, jettes un œil à la bonne Mère protectrice et te diriges vers la boulangerie, celle où la serveuse est avenante. Tu achètes des croissants tièdes, légers et feuilletés qui s’accordent si bien à la confiture de citre vanillée à l’orange. Tu prends aussi le journal pour savoir si l’OM a gagné et connaître les événements publics qui pourraient égayer votre week-end. En rentrant, le thé est déjà prêt, les fenêtres grandes ouvertes, le lit également. Tu hésites un instant à te recoucher, résistes légèrement aux assauts d’un nouvel élan de tendresse et… et le thé n’est plus très chaud, il a trop infusé, il va falloir recommencer…
Vous sortez tout de même, il y a tant à faire en ces derniers jours de printemps. Vous remontez le quai, croisez des attroupements devant le départ du petit train, observez les bateaux amarrés, captez le cliquetis des voiles et les raillements des gabians, moquez ces troupeaux de touristes suivant le drapeau de ralliement du guide, hélez en passant votre ami à son balcon, éructez devant les barrières de protection de la mairie et arrivez au marché aux fleurs. Bougainvillers, jasmins, hortensias, tulipes, laurier rose, pétunias, azalées, dipladenia : elle te précise tous les noms car elle s’y connaît et toi pas.
Vous remontez la Canebière, toutes devantures ouvertes et trottoirs grouillants. Vous vous arrêtez à la librairie pour acheter ce roman dont tu as entendu parler mais dont tu as oublié le nom, juste retenu quelques mots – Marseille, noir, titre en forme de phrase – qui suffisent à la libraire pour reconnaître le roman de Rebecca Lighieri Il est des hommes qui se perdront toujours. Un livre magnifique, dit-elle, envoutant, dérangeant, aérien et plombant, sensuel sans un mot de trop, plein de grâce et d’intelligence, une tragédie antique…je croirais entendre les critiques du Masque.
Vous passez devant la terrasse bondée des Danaïdes, allez au Bar à pains, la file est dense et longue, vous êtes un peu compressés mais pas vraiment pressés ni stressés. Vous reconnaissez des amis, prolongez les embrassades et allez vous asseoir sur la margelle de la fontaine pour déguster votre pissaladière. Puis vous rejoignez la traditionnelle manif des samedi après-midi, aujourd’hui en soutien à la Terre, aux délogés, aux retraités, aux soignants, aux précaires et aux toutàl’avenant, mains dans les mains, épaules contre épaules, tous réunis sous des banderoles multicolores affichant des oui, des non, des assez, des bientôt, des pour tous. Puis vous rejoignez le Vieux Port, prenez un bus bondé, vous arrêtez au Pharo, remontez la corniche en marchant, traversez la rue avec précaution car ça circule ici sans discontinuer, prenez les escaliers et rejoignez le petit port, le bassin, les rochers. Vous saluez chaleureusement les habitués et éternuez de bon cœur car il fait un peu plus frais à l’ombre.
Après le bain, vous quittez le vallon des Auffes, croisez des amis qui sirotent une bière autour d’un tonneau, trainez un peu en leur compagnie mais n’attendez pas le soleil couchant sous l’arche pour repartir. Vous avez prévu d’aller à La machine pneumatique qui organise une soirée balèti. Ca bouchonne un peu sur la route mais sans plus. Sur la placette, la terrasse du Régali, anciennement bar Vicenti lorsque Robert Guédiguian y Rouge Midi, déborde de clients joyeux. Les serveuses virevoltent entre les tables, portent plateaux d’apéros, copieux tapas et d’inattendus gants de dentelle noire, tandis que des couples sont déjà dans la musique, enlacés, collés-collés. Un petit jaune, quelques olives et vous les rejoignez. Allez valsez musette, taille serrée et regards mêlés. Vous retrouvez parfois vos chaises, les rapprochez, et tu te prends à rêver au creux de son épaule dans la senteur de son parfum fleuri. Puis vous rejoignez la piste et vous dansez, vous dansez… Et la cloche sonne minuit. Déjà ! Alors, vous vous embrassez comme à l’accoutumée lorsque vous partagez cet instant bascule. Vous tournez encore et c’est l’heure de rentrer. Vous échangez quelques mots dans la voiture, parlez de ces doux moments de proximité, de ces amis croisés, de la journée si vite passée. Faudra recommencer, dis-tu. Sans tarder. Quand ça, dit-elle ? Samedi ?… Ca me dit ….Dimanche ?…Manche !…Sam, dis ! Pas n’importe quoi… Dac Blanche… Jeudi ?… Je dis pas… Vendredi ?… J’achète !… Lundi ? …Et l’autre fait…Mardi ?… Sam ! Sam ! Suffit !….Ca va, Blanche ! Je galège !
Et vous retrouvez le lit. Toujours bien présents. Toujours au présent, au présent simple. Rien à se rappeler, rien à supposer, rien à projeter, juste le présent. A vivre comme un présent.

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