Quand est-ce qu’on se prend une bière au Derby ?

Billet de blog
par Lagachon
le 18 Oct 2012
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Le Derby est devenu tristement célèbre jeudi dernier en devenant le théâtre du 21ème assassinat de la saison 2012 à Marseille. “Un crime de trop” selon le ministre de l’intérieur de Marseille et un peu du reste de la France, des circonstances particulièrement sordides : heure du déjeuner, terrasse bondée, fille de la victime à deux pas, un blessé, tout ça à cinquante mètre d’un lycée… Bref, Marseille était déjà vu comme le Far West, et comme on dit là-bas, on l’a encore “take to the next level”. Mais surtout pour la première fois depuis longtemps, tout ça ne s’est pas passé là où n’arrive pas le métro, on parle du centre-ville, les Cinq-Avenue, la Place Sébastopol, le Palais Longchamp, son tram, son métro, son ciné et son ambiance bourgeoisette.

Une fois passé le choc et le fameux délai de décence, on fait quoi ? On se dit que ça se rapproche et on déménage encore plus loin des périphéries ? On ne tiendra jamais tous à Endoume ! On intériorise le discours anxiogène des médias nationaux et on se terre chez soi une fois la nuit tombée ? Ou on relit France Gall et on résiiiiste ?

A en croire la presse nationale, on habite une ville perdue par la République (Marianne), «l’endroit d’Europe le plus dangereux pour être jeune» (Slate), une ville en guerre sans merci contre la drogue (Zone Interdite) etc… La Provence est un peu déboussolée, entre l’obligation de nourrir les conversations de comptoirs (“Faut faire le ménage”, “tous pourris”, “je vais plus en centre-ville” etc…) et la reconnaissance envers ses (gros) annonceurs publics et le devoir d’information (non, Marseille n’est pas une ville en guerre !). Dans cette brandade d’informations, je ne sais plus comment expliquer à mes amis français et ma famille de Saint-Loup ou d’Aix que “Oui, ça va, je sors de chez moi, oui, la nuit aussi, et non, j’ai pas peur”.

Et le pire, c’est qu’on a pas touché le fond, il me semble qu’on s’en rappelle mal mais les années 80, c’était pas vraiment la joie ! Le Derby n’est pas le premier assassinat en centre-ville qui en avait vu d’autres avec les Zampa, le Mat et le Belge… Mais qu’importe, si on en croit les plus alarmistes, Marseille 2012, c’est Beyrouth 2006 !

Justement, je suis allé au Liban en 2009, trois ans après la dernière guerre avec Israël, j’y ai rencontré la mère d’une amie qui a tout connu à Beyrouth : le Paris du Moyen-Orient, la guerre civile, la reprise, les attaques d’Israël, le Hezbollah, la re-reprise etc… Autant dire que Marseille à côté, c’est Disneyland. Bref, cette dame m’a expliqué (entre autre) comment elle observait petit à petit les libanais refuser la peur, une anecdote m’a marqué, en été 2006 alors que Beyrouth se faisait bombarder quotidiennement, elle me racontait qu’elle continuait à aller au restau avec des amis, au ciné, à sortir…

C’est un exemple extrême, mais qui nous enseigne quelque chose. Dans des circonstances difficiles, à Marseille comme à Beyrouth, lorsque la peur gagne du terrain, chaque mètre carré abandonné compte. Chaque heure de transport public en moins, chaque bar qui ferme, chaque restaurant qui ne sert plus le soir a un sens, celui d’une défaite contre la peur et une victoire de ceux qui en vivent (à ce sujet, mon ami Nicolas conseille un ouvrage à ceux qui aimeraient creuser cette thématique*).

Nous devrions encore plus sortir que dans le reste de la France pour exprimer collectivement ce refus d’abandonner. On a vu lors du week-end de Marsatac, les trams étaient pleins, impossible d’avoir peur. Si j’étais la Mairie ou la Préfecture, j’encouragerais les bars et restos à rester ouverts jusqu’à très tard, à occuper l’espace, à organiser des événements dans la rue…

Et si j’étais le Derby, pour marquer le coup, je conjurerais le sort façon quartier bobo, avec mes menus “bang bang” et “règlement de comptes”, cocktails “kalash”, “mafioso”, “le belge” etc… ouvert tous les jours jusqu’à fermeture du tram, soirées “Al Capone” années 30, prohibition, et je parie qu’en deux mois ils ont piqué la moitié de la clientèle du Longchamp Palace.

En tous cas, j’irai y boire une bière dès la réouverture.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
* Bigo, Didier, Laurent Bonelli, Thomas Deltombe (dirs.) (2008). Au nom du 11 septembre… Les démocraties à l’épreuve de l’antiterrorisme. Paris, La Découverte.

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