Pour comprendre Marseille : Un livre à lire absolument.

Billet de blog
le 26 Fév 2017
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Pour comprendre Marseille : Un livre à lire absolument.
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Pour comprendre Marseille : Un livre à lire absolument.

Pour comprendre Marseille : Un livre à lire absolument.

Des livres paraissent en abondance (romans ou essais) avec pour sujet “Marseille“, son histoire et son avenir, sa classe politique, ses truands de tous âges, ses immigrés, sa police etc… Certains auteurs, connus ou reconnus, ont rassemblé des témoignages et des enquêtes solides qui méritent d’être lu. D’autres surfent la vague politico médiatique pour tenter de se faire un nom ou pire pour accumuler trop souvent les contres-vérités, les faux témoignages dans de très médiocres pamphlets qui méritent d’aller directement à la déchetterie.

Au milieu de ce déferlement, le livre de César MATTINA intitulé : “CLIENTELISMES URBAINS, Gouvernement et hégémonie politique à Marseille“ (les presses de sciences PO sort de l’ordinaire et mériterait d’être lu par tous ceux, élus, responsables politiques, fonctionnaires et simples citoyens qui se sentent concernés par l’histoire récente mais surtout l’avenir de leur cité.

Au premier abord, par sa taille (plus de 400 pages), sa présentation et sa typographie, Cette lecture peut paraître aride et réservée à ceux qui prennent encore le temps de lire et cherchent à comprendre les raisons des multiples dérives de la gestion municipale, au-delà de l’actualité trop souvent faite de clichés de la vie marseillaise. Car c’est bien de cela dont il s’agit dans cet ouvrage qui allie une rigueur universitaire de haute tenue et une description de la société marseillaise qui se déroule sur plus d’un demi-siècle et montre le dessous des cartes du gouvernement de la ville

Le principal mérite de ce chercheur est d’avoir traité d’un sujet largement controversé, inscrit dans une longue tradition des villes méditerranéennes et pourtant jusqu’alors peu étudié de manière quasi scientifique. Le clientélisme semble en effet inscrit dans la vie quotidienne des marseillais au point que personne ne s’en étonne et n’en conteste les conséquences sur le processus démocratique.

Cette description historique du clientélisme municipal se déroule de la fin de la deuxième guerre mondiale à nos jours et du “règne“ de Defferre à celui de Gaudin Elle montre, malgré les bouleversements sociaux économiques, la remarquable continuité d’un système hégémonique du pouvoir qui perdure à travers les changements politiques.

Le très grand mérite de César MATTINA est, en abordant un sujet éminemment polémique, de se refuser à porter un jugement de valeur ou à caractère moral sur le bien fondé du clientélisme. A l’appui de nombreux documents d’archive parfois croustillants, des témoignages d’acteurs et de tableaux statistiques détaillés, il décrit un système bien huilé de redistribution de biens et de services répondant à une demande sociale. “La machine politique territorialisée“ est ainsi animée par des leaders politiques dont la transmission du pouvoir est héréditaire.

L’analyse qui suit n’engage en rien l’auteur de cet ouvrage que j’ai lu avec un intérêt soutenu. Ayant été, durant plus de quarante ans, en partie acteur sinon observateur et souvent critique de ce “gouvernement hégémonique de Marseille“ je peux juger de la qualité et de l’intérêt du travail de César MATTINA mais je m’en distingue de manière sans doute plus partisane, en dénonçant les effets pervers et parfois dramatiques d’une politique qui conduit aujourd’hui à une grave remise en cause du processus démocratique. La confiscation du pouvoir municipal par ‘la famille municipale‘ se fait par la redistribution des ressources matérielles et symboliques au profit d’une catégorie sociale décrite comme « classes moyennes ou au mieux aux classes populaires déjà en voie d’ascension sociale et disposant de réseaux et de relais vers la recommandation politique » Contrairement aux affirmations des élus au pouvoir, cette redistribution se fait presque exclusivement sur des critères souvent occultes mais bien réels. En est exclue la partie de la population marseillaise qui, en fonction de son origine et de son statut social ne peut se prévaloir d’un réseau de connaissance ou d’assistance proche du pouvoir.

 

  1. C'est ainsi que se constitue une forme d’apartheid soft qui se caractérise par les territoires communaux délaissés par la classe politique de droite comme de gauche. La “politique de la ville“ sensée réduire ces écarts entre les uns et les autres n’a jamais été sérieusement mise en œuvre à Marseille. Mieux encore, depuis trente ans, les crédits affectés à ces quartiers populaires ont en partie été détournés de leur objectif au profit de la clientèle plus traditionnelle. J’ai, dans d’autres circonstances, dénoncé l’échec reconnu de la “politique de la ville“ à Marseille et ses conséquences directes sur les multiples dérives aujourd’hui constatées dans les quartiers dits populaires. Le “cri d’alarme“ que j’ai lancé il y a 18 mois n’a pas été entendu. Le décompte macabre des règlements se poursuit et nourrit les faits-divers et les amateurs de frissons.

Si l’ouvrage de César MATTINA met clairement en évidence qu’une partie de la population marseillaise n’a que très peu accès à la redistribution des services sous forme d’emplois et de logements, cette discrimination se manifeste de façon tout aussi sélective lorsqu’il aborde la question des communautés‘.En effet, dans une deuxième partie de l’ouvrage, l’auteur aborde les relations établies par ceux qui sont au pouvoir avec les dites communautés rassemblées en trois groupes selon un classement socio-ethnique et religieux. Cette “invention politique“ des communautés est à l’origine d’une stratégie électorale largement établie à Marseille. Ces trois groupes ou communautés : « les Juifs », les « Arméniens » et les « rapatriés » relèvent d’une logique de construction communautaire qui reconnaît des représentants le plus souvent auto désignés. S’organise alors au bénéfice de ces représentants et de leurs membres associés une redistribution des ressources autant matérielles que symboliques. Ces communautés dites “gagnantes“ bénéficient alors de toutes les attentions des élus qui en attendent des contreparties électorales directes ou indirectes. Lors de l’établissement des listes électorales puis de postes d’adjoints, ces représentants des communautés auront des places assurées. Ils pourront ainsi s’en prévaloir auprès de leurs “relations“ et se faire porteurs de leurs diverses revendications individuelles ou collectives. La liste des biens (bienfaits ?) ainsi distribués est large. La reconnaissance politique et mémorielle de ces communautés s’alliant au pouvoir municipal se conjugue à des avantages matériels et à une présence visible à toutes manifestations festives, culturelles ou religieuses.

Rien de très nouveaux dans cette démarche clientéliste décrite par César MATTINA. Sauf qu’au-delà de « ces communautés dites gagnantes » une partie croissante de la société marseillaise se trouve en grande partie exclue de cette distribution de biens et services. Aux marges de la ville, hors de la redistribution des ressources publiques : les « Maghrébins » et les « Comoriens », auxquels on peut ajouter les “Gitans“ et les “Roms“ et quelques autres, doivent se contenter du “droit commun“. Certains d’entre eux ont compris la méthode et bénéficient cependant de quelques moyens redistribués en contrepartie d’une allégeance qui peuvent leur coûter cher lorsque l’élue qui les alimente est condamnée par la justice.

Cette population de perdant, le plus souvent logée aux marges de la cité accumule les discriminations et se voit refuser tout espoir de faire partie des « communautés gagnantes ». Les dernières statistiques de l’INSEE font apparaître cruellement cette ségrégation inscrite dans la géographie de la ville. Les quartiers nord ne sont pas les seuls lieux de cette mise à l’écart qui se développe également dans les arrondissements centraux.

Le clientélisme décrit par César MATTINA peut apparaître comme un moyen toléré et largement répandu permettant à un groupe d’accéder au pouvoir et de s’y maintenir moyennant des mécanismes de redistribution le plus souvent occultes et peu en phase avec une nécessaire transparence démocratique. Contrairement à d’autres villes, à Marseille ce système fonctionne depuis plus d’un demi-siècle au profit de la même clientèle indépendamment des étiquettes politiques et des transformations économiques et sociales. Comment alors s’étonner que, si plus d’un tiers de la population est ainsi tenue à l’écart de la “redistribution“ en raison de son origine de ses ressources ou de sa religion, ces “marseillais“ se sentent marginalisés et, pour les plus jeunes attirés par la révolte ou la violence ?

Marseille le 26/02/2017

Alain FOUREST

Commentaires

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  1. JacquiMONDON JacquiMONDON

    Merci, Mr FOUREST, d’avoir résumé le pavé (140p.) de ce Mr Cesare MATTINA.
    (qu’il serait peut-être de bon ton de référencer un peu mieux que “Les presses de Science Po”, sans vous obliger?…).

    Son thème, le clientélisme, est effectivement majeur pour comprendre un peu quelque chose de la vie politique marseillaise.
    Ce système, (car s’en est un, et puissant!), a été inventé par Gaston DEFFERRE, a perduré jusqu’à aujourd’hui et n’est pas près de s’éteindre (Mr VIGOUROUX, en tant que maire de transition a tenté de le pondérer. Echec total!… et Mr GAUDIN s’est empressé de le restaurer).
    On appelle ce mode de gestion très spécifique à la cité phocéenne “le système G”, pour “Gaston” et “Gaudin”, étant entendu que le second a appris du premier, du temps ou il était son adjoint, le mécanisme très subtil dudit clientélisme.

    Il me semble en effet pertinent de débattre publiquement de ce système aujourd’hui:
    D’abord pour des raisons évidentes d’immoralité publique (son principe consistant à accorder divers privilèges à de grandes quantités d’administrés, individuels ou appartenant à n’importe quel groupe social identifiable -associatif, ethnique, religieux, corporatiste, etc- pourvu que ceux-ci contribuent de façon significative, en retour, aux résultats électoraux attendus par le Maire et sa famille politique.
    Ensuite parce que, si ce système pouvait à la rigueur avoir sa pertinence après-guerre, lorsqu’un maire de gauche modérée, Defferre, entreprenait de sortir au plus vite Marseille d’une situation catastrophique en tout (reconstruire, certes, mais aussi et surtout casser une corruption instituée jusqu’à la moelle -les bandits Carbone et Spirito ayant été aux manettes…), celui-ci se révèle aujourd’hui totalement inapproprié à la situation:
    – Par ce système, cette ville portuaire a laissé son port de commerce décliner jusqu’au quasi-anéantissement.
    Le clientélisme s’est particulièrement exercé sur le personnel, nombreux, du Port bien nommé “autonome”, au motif que les dockers, constitués en un syndicat corporatiste puissant avaient une immense capacité de contrôle de l’électorat -et de la paix sociale- communément recherchés et bien négociés avec les élus.
    En échange de quoi, la Ville ferme les yeux sur l’immense trafic parallèle sur les marchandises en transit et accorde des multiplications de postes inutiles jusqu’au délire… et à la désertion de l’essentiel des armateurs de la planète (à cause notamment de ses grèves interminables).
    – Par voie de conséquence la ville, inscrite dans un système industrialo-portuaire historique s’effondre, (l’effet domino sur les nombreuses activités annexes), faute d’une relève industrielle, artisanale et commerciale adaptée aux nouvelles potentialités extra-territoriales (la mondialisation de l’économie de marché).

    Alors, contrairement aux prophètes de malheur qui chantent le “c’est Marseille” sur tous les tons sans considérer quelques prospectives intéressantes que ce soit, que ça plaise ou non aux marseillais de base, ce site portuaire majeur en Europe demeure dans son attractivité naturelle, et suscite donc de multiples convoitises nationales et internationales.

    A preuve, rien de ce qui se réalise d’important pour le développement économique et les affaires à Marseille ne provient de l’initiative des notables locaux, mais d’institutions au moins nationales, (le port, devenu GPMM créant FOS-Marseille est un établissement public dirigé par Paris, Euroméditerranée ayant créé le manquant centre d’affaires à la Joliette et s’apprêtant à livrer le complexe habitat-bureaux-espaces à vocation artisanale, commerciale ou industrielle itou, CMA-CGM, etc), sinon multinationales (la main-mise très efficace actuelle des chinois sur le commerce à grande échelle des fringues en lieu et place de l’ex-bricolage local des grossistes rue Tapis vert n’est qu’un exemple).

    Cette transition ultra-rapide vers la modernité (sur une bonne décennie seulement) échappe évidemment à la population marseillaise, ses notables compris.
    Par réaction à courte vue, les entrepreneurs “estrangers” qui ont tenté ou tentent de fonder leur activité à Marseille ont essuyé (ou essuient…) les subtiles petites vacheries inspirées par cette culture profondément ancrée du clientélisme local.

    Sauf erreur, MARSACTU a rapporté le solde des venues-départs d’entreprises extra-PACA et celui-ci se retrouve, par cet effet toxique, tout juste positif.

    Conclusion suggérée:
    On peut situer l’avenir de la cité phocéenne aujourd’hui entre:
    . les forces réactionnaires naturelles, historiques et culturelles du peuple marseillais (que l’on peut observer couramment)
    . et l’énergie naturelle, (elle aussi), des entrepreneurs du monde entier qui convoitent Marseille pour son site naturel (lui aussi) afin de tenter de faire des affaires profitables -principe du capitalisme- à partir de ce spot.

    Le système du clientélisme local est incompréhensible à ces entrepreneurs extra-territoriaux. Et quand bien même, par précaution, (tel ou tel l’ayant capté ou subi), beaucoup s’abstiennent de ce risque. Et pfuuit! Ils partent ailleurs.

    D’ici deux ans, les Municipales!
    J’ai essayé de dire ce que le système clientéliste marseillais avait à la fois de toxique et d’archaïque, à l’heure où Marseille doit choisir entre demeurer sous perfusion (confortable!) de la Capitale ou alors tenter de se relever doucement de sa léthargie en contribuant à la relance d’une activité économique digne de ses atouts naturels et de l’importance en nombre de sa population.

    Le nouveau maire sera celui du conservatisme borné usuel local habituel (les bornes se situant à l’intérieur bien gardé du triangle Arles, Aubagne, Cassis), ou bien sera un jeune énarque (ou assimilé), dynamique et entreprenant, jouant la carte, (à l’arrache, forcément), d’un new deal pour faire à nouveau de Marseille un pole d’activités qui compterait dans le nouvel échiquier mondial.

    Les paris sont ouverts (défense de rire!).
    Il n’empêche, je suggère que chacun s’interroge sur ce qu’il fera , même modestement, en faveur de l’une ou de l’autre de ces deux options décisives, d’ici lesdites municipales.
    …et puis chacun fera son affaire du résultat pour six ans: content ou consterné de la perpétuation du clientélisme local ou pas, c’est toute la question marseillaise!

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