Oristeo, le roi jardinier

Idées de sortie
le 5 Mar 2016
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Oristeo, le roi jardinier
Oristeo, le roi jardinier

Oristeo, le roi jardinier

Recréer un opéra de Cavalli oublié depuis des siècles, c’est comme retrouver une toile de maître que l’on croyait perdue. L’Oristeo ressuscité couronne la quatorzième édition du festival Mars en Baroque. Concerts, conférences, spectacles, colloque et banquets nous entraîneront vers toujours plus de plaisir, d’émotion et de sapience ; avec, pour fil d’Ariane, l’ambition antique mais invariablement audacieuse de concilier les arts.

La recréation de L’Oristeo de Francesco Cavalli (1602-1676) par le Concerto Soave, dans une mise en scène d’Olivier Lexa, relève d’abord de la paléographie. « Le manuscrit de la partition, un des rares rédigés par Cavalli lui-même, d’une main hâtive, était pratiquement illisible, se souvient Jean-Marc Aymes, directeur artistique du festival, la première tâche fut de le rendre intelligible. » Depuis plusieurs décennies, l’exigence historique d’une interprétation baptisée « informée » (un euphémisme si l’on songe aux investigations minutieuses dans ce domaine) s’équilibre avec la nécessité d’accommoder le spectacle vivant aux artistes et au public dont la sensibilité repose sur un autre paradigme culturel. Ce processus opère aujourd’hui de manière consensuelle, autant que faire se peut et soit souhaitable.

Mais contrairement à la pratique musicale, la question de la mise en scène reste très débattue. La reconstitution des conditions d’exécution contemporaines à la création de l’œuvre (gestuelle frontale, déclamation d’époque, décors de toiles peintes, éclairage à la bougie…) ne forme pas l’horizon convergent de tous les scénographes, loin de là ; d’autant qu’elle peut provoquer un effet d’étrangeté plus radical que certaines relectures transgressives.

« Priorité à la dimension comique… »

L’Oristeo est créé à Venise, en 1651, à l’occasion de l’ouverture du Théâtre San Aponal, pour un public payant qui déborde largement la sphère patricienne. Le jeune directeur Giovanni Faustini en a rédigé le livret car c’est également un poète, un pur : « Pas question de quêter les applaudissements », prévient-il dans sa dédicace. Poursuivant une collaboration déjà fructueuse, il confie néanmoins la musique à Francesco Cavalli, dont le talent et la renommée, espère-t-il, réduiront les risques financiers. Sa mort prématurée à la fin de l’année mettra un terme à leur aventure commune. Comme la plupart des œuvres lyriques du binôme, L’Oristeo réconcilie « le côté cour » et « le côté jardin » de l’opéra en superposant des cycles narratifs contrastés. Les rois et les dieux y montrent des faiblesses et des désirs comparables à ceux de tout un chacun. On y découvre quelques arie, parmi les premières de l’histoire, dont la passion et la sensualité explosent après quatre siècles de silence. Les travestissements nous plongent dans des situations galantes et cocasses (dont Rossini se souviendra) pendant que les figures ancillaires donnent de la voix à l’esprit populaire annonçant l’opera buffa du XVIIIe. « Priorité à la dimension comique et ironique, annonce Olivier Lexa, les lamenti prétendument tragiques seront traités au second degré. »

L’intrigue agence son sujet et ses contre-sujets dans une fugue rocambolesque. Oristeo, roi d’Epire, doit épouser Diomeda. Par un malheureux concours de circonstance, il tue le père de sa promise. La belle le fuit en faisant vœu de chasteté. Il se déguise alors en jardinier ; Diomeda, qui ne l’a pas reconnu, l’engage… Ces amours contrariées croiseront celles d’un autre couple (Trasimede et Corinta) avant de se résoudre dans le dénouement espéré… que des divinités malicieuses se plairont à compliquer.

« L’approche scénique sera résolument moderne… »

Les faux-semblants des jeux de l’amour rebondissent avec ingénuité entre un libertinage de carnaval et l’utopie des plus hautes aspirations morales. Le recitar cantando conservant toute sa vivacité à la dramaturgie  et des arie encore peu nombreuses mais déjà si ardentes font de Cavalli le chaînon manquant entre Monteverdi et Vivaldi. La musicologie récente lui reconnaît la place centrale et novatrice qui fut la sienne ; un colloque lui sera consacré au MuCEM le 12 mars. Olivier Lexa, auteur d’une  biographie du compositeur (Acte Sud, 2014), est bien décidé à mettre à jour la valence attractive et  innovante du théâtre musical vénitien en ce milieu de Seicento ; tout en conservant certaines caractérisations temporelles. « L’approche scénique sera résolument moderneles costumes et les projections vidéos contrasteront  avec la gestuelle de la commedia dell’arte et la lumière des bougies. » Une conférence de Patrick Barbier éclairera le sujet le 11 à la BMVR de l’Alcazar.

L’ensemble Concerto Soave sera disposé de part et d’autre de la scène, cordes et vents face à face accompagnés chacun d’un continuo (1). Le dispositif, dicté par les impératifs acoustiques de la salle, reste toutefois en parfaite analogie avec les habitudes de polychoralité auxquelles nombre de partitions de la Sérénissime doivent l’organisation panachée de leurs masses vocales ou instrumentales.

Le baryton Romain Dayez prêtera sa voix et sa plastique apollonienne au roi jardinier Oristeo. Aurora Tirotta, dont ce n’est pas la première incursion dans le répertoire cavallien (2), incarnera Diomeda. Sa claire vocalité, à peine voilée d’un grain qui ajoute la profondeur à la transparence, en a fait une interprète privilégiée du Venetian Centre for Baroque Music, co-producteur, avec l’Opéra de Marseille et le Théâtre National de la Criée, de cette entreprise sans précédent dans la cité phocéenne.

Le festival Mars en Baroque sonne le réveil d’une œuvre dont l’éclat et la fantaisie évoquent les fresques des grands coloristes vénitiens du siècle précédent. Un médaillon allégorique de Véronèse intitulé La Musique, veille, depuis le plafond de la Bibliothèque Saint-Marc, sur le manuscrit de LOristeo endormi sous son égide voilà précisément 365 années. L’heure est venue, invitons-nous à sa joyeuse épiphanie.

Roland Yvanez

(1) Instruments qui improvisent une ligne de basse à partir de l’indication des accords

(2) Medea, Giasone, version Stradella, label Bongiovanni, 2014

Festival Mars en Baroque : du 3 au 27/03 à Marseille. Rens. : 0 892 68 36 22 / www.marsenbaroque.com

L’Oristeo de Francesco Cavalli : les 11 et 13/03 au TNM La Criée (30 quai de Rive Neuve, 7e).

Le programme complet du festival Mars en Baroque ici.

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