Mes châteaux d’If: Mousquetaires et Misérables.

Barricades littéraires et comptoirs du peuple.

Samedi, jour de marché, au bar de la Plaine, j’échangeais, entre deux Casa, avec un ami qui mettait Les Misérables au même plan que Les Trois mousquetaires, le roman d’ Alexandre Dumas., connu pour la devise, Un pour tous et tous pour un. Formule qui nous fit penser au Rien pour nous, tout pour tous des Zapatistes ce qui fit dire à Blaise : «  Tout est à nous,rien est à eux…tout ce qu’ils ont , ils l’ont volé, slogan de manifs bien connu. Hugo a connu au moins pour une de ces formules la postérité avec Police partout , justice nulle part.

Les tournées s’avançant, nous avons continué à parler des Misérables mais surtout à partir des souvenirs de chacun au cinéma car au fond-du verre- presque personne n’avait lu le chef d’œuvre prolétarien. Était ce si grave ? : Non, si l’on pense au message général qui passe dans la version avec Harry Baur, Ventura ou Depardieu dans le rôle de Jean Valjean. Toutes les générations ont scotché sur la version filmée. Une copine qui buvait son troisième blanc, a même vu Les Misérables mais après vérification, c’était la version de Ladj Ly. Comme personne n’a oublié Javert, la personnification du flic psychorigide par Michel Bouquet ou John Malkovich, ou comment l’État ne pardonne rien. Yvan Colonna en sait quelque chose. Mieux, le flic en question a sa théorie sur le crime : Si l’on a pêché une fois, on plongera de nouveau. La théorie continue d’avoir ses adeptes dans la société.

Ça m’a conduit à dire deux,trois âneries pour amuser l’assemblée qui avait déjà quelques verres dans le nez, et de rappeler de qui, Gavroche était le fils. Ce gamin de Paris, fleur des barricades, fort en gueule, est un des personnages les plus attachants du roman fleuve. C’est aussi le fils des Thénardier. Comme quoi les mauvaises herbes peuvent donner les plus belles fleurs. Et puis Gavroche chante car il n’a aucun espoir et qu’il est seul. En chantant, il raconte les événements. Bientôt la ville se policera, les chanteurs et bonimenteurs devront présenter certificat de bonnes mœurs et les vendeurs et marchands autorisations, le quidam effrayé de 2020 présentera des attestations qu’il rédige lui-même : le dressage est complet.

Adieu goguette militante

Tu fais place au café-concert

Ou l’amateur, après dessert,

Digère, l’âme contente.

(Auguste Allais, 1856)

Si comme le soutient Evelyne Pieiller dans son essai, les auteurs des Trois Mousquetaires et des Misérables se sont nourri du romantisme, ils ont puisé dans les révolutions de l’époque la trame de leurs histoires. Même pour Dumas dont l ‘histoire se passe en avril 1626, sous un Louis bien oublié.

« Les cris du dehors sont repris au dedans. » résume t-elle. Les mystères de Paris d’ Eugène Sue que plus personne ne lit, est passionnant à cet égard. Les faits divers nourrissent le roman comme la politique coule dans l’immense partie des romans qui nous est resté. Les hommes de cette époque parlent littérature comme ils parlent de politique. Tout est mêlé. Jusqu’ a Baudelaire qu’on nous vend comme un grand malade du cœur et qui est un écorché vif de la révolution lui aussi. Peut être le plus beau. Baudelaire écrit dans le Salut Public, se passionne pour Proudhon, pense à la révolution de 48 comme plus grande encore que 1789.«  Ils complotent. Leur objectif : faire une révolution anti-vieux. » Quel beau programme que celui-ci, celui de toutes les jeunesses. C’est qu’à l’époque la jeunesse étouffe et le fait savoir. Elle ne proteste pas sur Insta mais sur le tas. Des cabarets pour comploter, des barricades à monter, la rue comme terrain de jeu. La jeunesse et les Républicains en général profitent du moindre banquet ou enterrement pour faire pousser une barricade. Quel beau loisir loin du paddle. A moins que l’on reprenne la Sicile avec des troupes fraîches sur des paddles de combat. «  L’esprit des barricades c’est aussi Valjean » Un personnage qui est des deux cotés, un Victor Hugo en somme, « le bon Dieu des pauvres », ce Valjean.

L’ époque est aux sergents de la Rochelle qui ont refusé de dénoncer leurs complices. Les camarades naissent et agissent. Ils meurent aussi d’une balle souvent. Le jeunesse doit tuer le père, nos deux auteurs ont fort à faire avec les leurs, des monuments d’époque. En Europe, il y a Byron qui fait rêver les révolutionnaires en Grèce, il y a l’intrépide Garibaldi qui débarque en Sicile avec son armée en haillons ; l’air de la révolution a des visages fougueux, l’action est un moteur puissant. Et les journaux font la propagande de ces personnages vivants, agiles, qui marchent, naviguent ; bref des aventuriers. La vie est une aventure. Sa légende s’active autour de la publication dans la presse. Byron prend la défense des luddites, « Ces ouvriers qui cassent les machines pourvoyeuses de chômage » Un grand sabotage qui en verra d’autres. L’ouvrier se défend contre son asservissement comme il le fait aujourd’hui contre le tout numérique.

Dans son essai, E.P nous raconte les compagnons de Dumas, les Arago, les Cavaignac, tous ceux qui ont désormais une plaque de rue dans Paris. Tous enfants de la Révolution Français, hantés par ses personnages, soumis aussi au mythe napoléonien. Ce sont ceux qui ont fait la révolution de 1830. Elle raconte le long chemin de Victor Hugo vers les Misérables, lui qui fut conservateur en sa jeunesse. «  En attendant, dans les années philippardes, Hugo est affligeant. »S’attachant à ces grandes histoires politiques, elle montre comment, quelques auteurs de ce 19ᵉ siècle ont voulu raconter le peuple et sa vie de souffrance, dans un style et un format abordable.

Mais alors pourquoi les trois mousquetaires rentrent-ils sans haubert et sans cuissardes dans la bonne catégorie de littérature du peuple ? Evelyne Pieiller nous l’explique, sans vouloir être trop disserte. Les mousquetaires sont des fouteurs de bordel en vérité. Ils créent du désordre. Ils ne pensent jamais à l’avenir mais à la jouissance du moment. Et puis , c’est le plus important ce sont de bons camarades. Ils placent leur amitié, leur vie en avant de tout. Ils se moquent des trésors, espèces sonnantes et trébuchantes. En un mot ils se moquent de l’argent. Ils dépensent. J’ajouterais qu’ils sont rabelaisiens en cela. Tout le contraire de la figure de celui qui économise, qui capitalise. Evelyne dit qu’ils sont plébéiens. Du peuple quoi. Si l’on explique que les mousquetaires du Roi sont de mauvais sujets, que c’est la canaille, eh bien j’en suis ! Comme dit la chanson. La racaille d’aujourd’hui. Canaille vient de chien, racaille de…vous avez compris. Donc le roman du Dumas apporte joie et victoires au peuple. Giuseppe Garibaldi, qu’admirait Dumas, qui l’a rencontré, fut à sa façon un mousquetaire du Roi. Evelyne Pieiller évoque un autre livre de Dumas qu’elle n’aime pas mais que je chéris, Bibi: Le Comte de Monte Cristo. Alors pourquoi? «Ce n’est qu’un règlement de comptes, une hécatombe de notables. » Ma foi quelle hécatombe ! Et quelle patience. Pourquoi ne pas y voir la longue patience et le triomphe, certes triste, de la justice. Certes ce n’est pas un mouvement collectif. Monte Cristo se fait vengeance, seul contre tous mais après 14 années de prison ? Depuis, le camarade Rouillan l’a battu. Comment peut-il encore croire en l’humanité? L’argent venu par le trésor de l’abbé Faria et son obstination vont lui permettre de se venger des véreux et de ceux qui l’ont spolié de son bonheur. Sa délivrance viendra par l’évasion d’une île. Une île avec un château, de surcroît. Quel parcours, tout de même.

Les mousquetaires sont les insurgés d’une époque. Ils ont comme tous ceux qui n’en peuvent plus du monde qui a gagné. Sont-ils ces Gilets Jaunes qui sont venus par milliers en moto sur les péages avec leur drapeau Bleu Blanc Rouge et que la Gauche a accusé d’être trop peuple, trop bagnole, trop beauf, trop raciste? En lisant en même temps (le fameux en même temps) le livre de François Ruffin à propos d’ Emmanuel Macron, Ce pays que tu ne connais pas, je retrouve des passages sur les Gilets jaunes. Il cite Eric Drouet que j’ai toujours cru être l’ancêtre de Jean-Baptiste, le maître de poste à Sainte- Menehould, qui a stoppé la fuite du Roi. Comme il parle de Christophe Dettinger, le boxeur héroïque qui a vengé des millions de manifestants qui ont pris des coups dans tous les conflits sociaux. Dettinger est un Jean Valjean sur la barricade. C’est bien pour ça que ce mouvement a fait si peur et que les grands moyens ont été utilisés contre les protestataires. Dettinger rentre en action quand il voit les gens se faire massacrer par les gens d’armes du Président. Des sbires armés qui ont failli lâcher prise, s’il n’avait pas été décidé de les augmenter. Car, pour encore une fois, les CRS ont failli devenir républicains. Evelyne Pieiller cite les soldats du 17ᵉ ( encore une chanson) refusant de mater la grande insurrection des vignerons du Languedoc. Et dans cet incendie qui brûle toute l’Occitanie, c’est la fusion des patrons et des employés qui menacent l’ État.

Dumas ne nous fait pas mystère des origines du roman : D’Artagnan est un Don Quichotte béarnais, il est populaire car il monte son bidet (sa monture). Son père lui indique la voie à suivre : « Ne craignez pas les occasions et cherchez les aventures » Quel excellent conseil. Quand on sait que Don Quichotte est déjà un pastiche des romans de chevalerie, on comprend alors comment Cervantès ou Dumas raillent à leur manière la noblesse et les grands. Tout comme Hugo se moquera dans Ruy Blas, popularisé par le film, La Folie des grandeurs, de ces seigneurs, faquins et traîtres. La littérature fait des choix, les écrivains pour certains moquent le pouvoir. Mais tout part de la rue, et tout y revient. Comme Maurice Leblanc utilisant le cambrioleur anarchiste, Marius Jacob pour en faire un Arsène Lupin, déshabillé de la question sociale. Le pouvoir récupère tous les mythes, les vide du populaire et du politique pour les rendre bourgeois et distrayant. Une belle diversion.

L’amour de ces deux grands romans chez Evelyne Pieiller est un attachement à ses origines, à sa mère qu’elle met en scène dans un café à 5h du matin et qui l’a emmené voir les Misérables au cinéma. Un événement pour la famille. La lecture est venue après. L’écriture a suivi. La fidélité est restée.

Allez, c’est ma tournée! Excusez-moi, j’ai été un peu long.

Mousquetaires et Misérables, Evelyne Pieiller, Agone, 2022, 17 Euros.

Francois Ruffin, Ce pays que tu ne connais pas, Les Arènes, 2019.