Mes châteaux d’If: Katrina est passée par Cuba.

Billet de blog
le 26 Fév 2023
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Mes châteaux d’If: Katrina est passée par Cuba.
Mes châteaux d’If: Katrina est passée par Cuba.

Mes châteaux d’If: Katrina est passée par Cuba.

Ernesto dit le Che tire avec son révolver, un œil fermé vers une cible invisible. Il pose. Bougre de barbudos qui a tant fait rêver qu’on pouvait changer le monde. D’un temps où on ne savait qu’une chose des Etats Unis: Eux et la vilaine CIA tuaient tous ceux qui contestaient l’ordre établi. Pas ceux de la CFDT donc…quoique en ce temps là…

Ici, place Cézanne, tout respire un parfum de Cuba révolutionnaire, d’espoir venu du sandinisme au Nicaragua, d’un Chili écrasé par Nixon. Du temps où la lutte armée était souhaitable et du bon coté. Au dessus du bar, il y a aussi l’image de Cienfuegos. Tout un poème ce nom. Lui qui avait des parents anarchistes espagnols.

Le bar est rempli ce soir d’un public sage et antique. Mais la jeunesse est à la porte. Elle attend son heure. Elle viendra plus tard. Le décor est posé depuis des années. Photo du Nicaragua, vieux exemplaires d’Historia, fringues bien rangés sur des cintres entourent le piano. Lampes design 70, jeux variés, un bric à brac très organisé. Quelques tables autour d’un bar comme une paillote scintillent dans une ambiance rouge et jaune. Partout l’œil attrape quelque chose, quelque objet d’antan. On est bien. Entre amis. Katrina empoigne sa guitare tranquillement et de sa voix calme lance quelques chansons en espagnol: chansons d’amour et rumbas du Chili, airs méconnus, et quelques ritournelles siciliennes tant que le public en redemande.

Le public est conquis. D’avance. C’est qu’ici, les vendredis des loustics jouent presque acoustiquement et tranquillement. On invite qui veut à une chanson. L’ami Florent arrive et joue du carone sans déconne avec sa complice. Mourad le guitariste arrive plus tard et prend sa place pour jouer quelques morceaux que tout le monde connait et redemande. Florent interprète une chanson sur l’alcool qui lui colle à la peau. Regulierement de Reno Bistan.

Il y a aussi mon voisin qui crie et applaudit à tout rompre pour nous faire rire. D’un coup, ce bandit se lève et rejoint avec son accordéon la fine équipe. Il change de style et lance de furieuses incantations siciliennes. Massimiliano, le tambouriniste palermitain de passage à Marseille va le rejoindre. Ils se connaissent depuis une heure. L’accordéoniste met en une seconde toute une éternité dans son morceau. Il se transfigure et devient christique. Et il chante, chante comme si c’était la dernière fois.

Des jeunes sont rentrés dans l’antre. Ils n’en reviennent pas. Ça se devine sur leurs visages. Les sourires sont là. On veut boire pour s’étourdir et rejoindre le corps qui tente de se créer. Comment faire un tout avec tant de morceaux? Comme s’ils avaient découvert une de ces anciennes cavernes pour Rebetiko à Athènes, comme s’ils étaient versés subitement dans une soirée Chabbi pour habitués. C’est un moment de grâce où le monde de la musique vous ouvre à la fraternité.

Puis Julien se met au piano. Renée court d’un client à l’autre. Qu’est ce qu’il ont a être assoiffés comme ça ce soir? Un chapeau passe pour les musiciens. Les gens ne se ressemblent pas ce soir. Pourtant ils sont ensemble. Un couple ne cesse de se faire des signes comme pour se dire: “Tu as vu ce qu’on est en train de vivre?” Un petit moment de bonheur arraché à leurs putains de guerre, à leurs fureurs météorologiques, à leurs angoisses médicales. Tiens, ce soir malgré l’âge canonique de la salle, personne ne parle de ses varices, de son dernier pontage. Tout baigne. Du moins on y croit pour un temps.

Et puis si la vie passe trop vite, il y a Choun, appelé par Katrina. Lui, je l’avais remarqué sur son tabouret. Je m’étais dit: Qui c’est ce gars en treillis et tout petit avec sa coupe de cheveux d’il y a trente ans. Il semblait perdu au milieu de nous.

Sauf que Choun prend la guitare et lance un cri flamenco si fort si juste que tout s’arrête pour nous. La voix est si juste qu’on est pétrifié. D’un coup Choun nous a balancé une caravane sur la tête, un feu de camp, un camp de gitan, je ne sais pas quoi mais j’ai pensé à ca. Au cinéma de Saura aussi. J’ai pensé mais pas trop. J’ai gouté sa voix qui montait si fort, qui criait si bien une douleur. Feinte peut être mais si bien jouée.

Et puis Choun s’en va. On proteste mais il revient si modeste. C’est tout. Il laisse alors sa place. Et on se demande comment on va trouver les mots pour écrire ça. On se dit qu’on va écrire du mieux possible pour remercier autrement qu’avec nos dollars du FMI ou nos pesos européens.

Après, on réclame les idoles locales alors Christian, cheveux blancs, sorte de Cabrel en bleu de chine va jouer la pitchounette ( A la ciotat; Moussu Te lei Jovents) et les smartphones crépitent: C’est un savant mélange entre un look étudié et une gloire qui s’est arrêté aux frontières de la Plaine. On lui demande si la chanson est de lui. Elle est de Moussu T mais il l’incarne si bien ce sud qui se moque de lui même.

C’était un vendredi soir à la Plaine.

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