Mes châteaux d’If: Histoires de la zad de Notre-dame -des-Landes.
Mes châteaux d’If: Histoires de la zad de Notre-dame -des-Landes.
”Fraise rencontre sur la lune intersection rouge avec trois pandas à 14 heures“. Un message au talkie-walkie raconté par un habitant de la zad. Puis les noms magiques des Fosses Noires, des Planchettes, de Lama Faché, la Vacherit, la forêt de Rohanne qui évoquent autant de batailles dans l’Ouest américain. Et cette fameuse route des Chicanes qui cause tant de chicaneries, tant elle est enjeu entre monde de la vitesse et nouveau monde libéré et décroissant.
Histoires zadistes au pluriel. Ce livre dont la couverture est une cabane dans la forêt, sans maison d’édition, ni prix est une compilation de témoignages validés par leurs auteurs presque tous anonymes, à part Paul Blineau, paysan travailleur et figure d’ancien de la lutte puisqu’il s’était déjà rendu à NDDL entre 1975 et 1980. Il fut l’un de ceux qui lança l’invitation à venir occuper la zone, à des jeunes.
Témoignages des perdants, ” des enfants du désastre, des déracinés de naissance” il ouvre à un autre récit. Celui de la défaite de Notre dame des Landes. Si presque tous et toutes s’accordent sur cette lutte contre l’aéroport et son monde, eux étaient plutôt contre le monde et son aéroport. Arrivés dès les années 2010, ces habitants, pour certains venus des squats anglais et nantais ou de la lutte belge de la forêt de Lappersfort, tous s’entendent pour dénoncer la confiscation de la soi-disant victoire de 2018.
Le Camp Action climat de 2009 comme le Camp G, va lui aussi ramener son lot de mécontents sur place. Résumons: A partir de 2012 et de l’opération César, Notre Dame des Landes devient la lutte emblématique européenne. Elle dépasse le Val de Susa, plus riche et fraternelle car construite sur un appui local fort. A Notre Dame, l’abandon par presque tous les paysans qui ont déjà vendus au Conseil Général a ramené une population exogène qui va faire rhyzome.
“Nous étions juste des personnes ordinaires dans une situation folle” raconte l’un d’eux. Si beaucoup d’entre eux soulignent cette fête folle, cet esprit d’enfance qui courait dans les bocages, ils reviennent sur ces apparatchiks qui vont prendre le contrôle de la lutte, à travers le CMDO. Professionnels de la lutte révolutionnaire, habiles à la parole et souvent diplômés, ils vont s’affronter aux déclassés,” schlass”, ceux de l’Est. Quand le combat n’est pas commun contre la police, les réunions, où la rhétorique la plus élevée ne crève pas les plafonds des classes sociales, sont le théâtre d’affrontements passionnels où les questions de patriarcat, véganisme, féminisme prennent le dessus. Beaucoup y font école, ” c’était une grande école en lutte” rapporte Kiki, apprennent la radio, à écrire des tracts et à inonder le monde militant de messages. Entre ce qui se vit sur les terres de la zad et ce qui s’entend dans les collectifs de toute l’Europe, il y a un monde et son aéroport. Enfants de la ville, nombreux découvrent le cabanes défiant toutes les règles d’architecture et s’affrontent au plus dur des maitres: la nature. Jardinage entre labour et méthodes proches de la permaculture sont des chemins qui ont pu rapprocher paysans et squatteurs.
La barrière entre instruits fraichement aguerris de l’ EHESS ou personnes ayant de l’aisance en réunion et les autres, plus manuels, moins armés pour les discussions a provoqué des conflits indépassables malgré les efforts de certaines commissions et volontés. L’affaire de la “Femme de la Zad” creusera des dissensions profondes mais mettra à jour des comportements. Celle de l’enlèvement d’un individu dit ingérable montrera les limites de l’anti pyschiatrie mais montrera comment il fut difficile pour un groupe de se parler et de régler des différents. L’insécurité put aussi se développer dans un lieu de centaines d’hectares ouverts aux quatre vents.
La vie en communauté reste néanmoins un très bon souvenir. Construire ou détruire ensemble, courir la nuit avec des lampes, se geler dans des cabanes, jouer à la guerre et fêter ses victoires dans la boue. Et puis chanter avec Karaoké Chorale Allez les Verts? ” C’est là que j’ai compris que tout est possible quand on est ensemble.” raconte Alis, très remonté contre les autoritaires qui ont confisqué la lutte.
Les témoignages racontent à quel point ils se sont affrontés non seulement à l’intelligentsia révolutionnaire mais aussi aux militants citoyenistes, ceux de l’ ACIPA notamment.
“Si on se force à écrire, si l’infinie conversation autour de cette fin de la zad se poursuit, c’est peut être finalement qu’il reste toujours de l’envie.” C’est peut être ça ce rendez vous manqué ou permanent entre les humains même quand ils construisent une utopie.
Chacun y va aussi de sa petite histoire comme celle du routier qui s’était trompé de route et qui s’est fait dépouillé son chargement pendant la nuit. En effet sur la zad, la République et l’ordre n’étaient plus chez eux.D’autres formes de justice et d’injustices naissaient. Kiki raconte que la ZAD, c’était pour lui: ” Un lieu en lutte pour un monde meilleur. Contre les abérations de ce monde et pour la recherche d’autres manières de vivre. C’était devenu un endroit où l’on pouvait vivre ensemble, sans normes, sans lois d’une institution…”
Cet ouvrage, peut être pas le dernier sur NDDL, rassemble en outre des photographies des cabanes ou des chemins. Toutes les interviews tournent autour de l’expulsion de 2018 et du désaccord avec ceux qui ont négocié avec l’ Etat. Les questions reviennent fréquemment sur comment le pouvoir a réussi à prendre le dessus sur cette zone réputée libre. En exergue, une citation de Patrick Chamoiseau, décidément très à la mode et qui prolonge les dires de Glissant sur le rhizome. Faire archipel en Loire Atlantique fut possible sur la Zad. Mais ne dites plus Faire Commun ou on vous traitera de récupérateur.
Histoires de la zad de Notre dame des landes. Écrit entre 2020 et 2024. Contact: landes@riseup.net. 368 pages. 21 récits.
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