État des forces partisanes, dynamique du système politique local et réflexions sur les effets du non-cumul des mandats

Marseille à la veille de la séquence électorale de 2017

Billet de blog
le 25 Jan 2017
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Ce texte est issu d'une intervention qui avait pour cadre le séminaire « Sociologie électorale et participations citoyennes. Études des mutations démocratiques et sociales en PACA » organisé par le laboratoire LBNC d'Avignon et le CHERPA de Sciences Po. Aix, et qui s'est tenu le 19 janvier dernier à Aix-en-Provence.

Marseille à la veille de la séquence électorale de 2017
Marseille à la veille de la séquence électorale de 2017

Marseille à la veille de la séquence électorale de 2017

Cette intervention ne repose pas sur une enquête sur les mobilisations électorales ou la campagne actuelle mais sur des recherches passées et actuelles relatives à des politiques publiques urbaines, en particulier qui mêlent local et transnational, et qui interrogent les gouvernements urbains, sur des terrains marseillais. L'Objectif de l’intervention est de dresser un point sur l’état des pouvoirs locaux à partir de ses enjeux partisans. L'occasion de revenir 5 ans après sur des objets investis dans le cadre du programme Sociologie politique des élections (SPEL) et de sa déclinaison locale autour de l'Observatoire socio-politique en PACA (OSPO PACA). On avait travaillé alors avec des politistes et des sociologues de Sciences Po. Aix et d'Aix-Marseille Université (Camille Floderer, Julie Rannoux et Cesare Mattina) sur les "intermédiaires communautaires" et on avait effectué une observation ethnographique à la sortie d'un  bureau de vote dans un quartier populaire du centre-ville de Marseille. Les élections législatives auront lieu les 11 et 18 juin prochain et feront suite à l’élection présidentielle des 23 avril et 7 mai. Il m’a été demandé d’étudier cette séquence sur le terrain marseillais à partir d’une analyse des systèmes politiques locaux et de leurs spécificités, ainsi que d’une observation de l’économie des échanges symboliques entre élu-es et électeurs, et enfin de tirer quelques enseignements de ce terrain sur l’articulation des enjeux nationaux et locaux.

Un mot du contexte socio-économique et institutionnel

Le contexte socio-économique des prochaines élections n’est pas spécifique à Marseille et n’est pas nouveau. C’est celui d’un territoire en crise et en profonde recomposition. On connait le taux de chômage qui s’élève à 12,5%, 2 points de plus que la moyenne nationale. Mais au-delà, on a pu observer depuis quelques années, une multiplication des études statistiques et qualitatives menées par des consultants et des institutions, dans le contexte de l’organisation de la Capitale européenne de la culture en 2013, d’une part et de la création de la Métropole Aix-Marseille, d’autre part. Dans le premier cas, il fallait appuyer la démonstration de la transformation physique et de l’image de la ville. Dans le second cas, la mission Métropole avait besoin de nouveaux chiffres pour exprimer la nouvelle réalité institutionnelle. À ce propos, on pourra se demander si la création de la Métropole aura des incidences sur la compétition politique. On sait depuis les travaux de David Guéranger et Fabien Desage que la création de ces objets politiques avaient pour effet de professionnaliser / dépolitiser l’exercice des pouvoirs intercommunaux en intensifiant l’exigence technique et en faisant la part-belle aux « technotables ». En l’état actuel des rapports de force politiques (partisans et institutionnels), les changements devraient rester modestes puisque la Métropole reste un avatar de la ville de Marseille et les efforts sont surtout concentrés pour ne pas ouvrir de nouveaux fronts dans le conflit séculaire avec Aix-en-Provence. Ce qui n'a pas empêché les polémiques récentes sur le logo de l'institution et sur les menus proposés par la préfecture. Pour revenir à l’accumulation des données économiques et sociales relatives à la situation du territoire, il y a donc eu l’étude de l’OCDE, celle de Compas commandé par le Conseil régional en 2014 et puis les études menées directement par la Mission de préfiguration de la métropole. Que nous disent ces études ? Elles confirment ce que l’on savait déjà. Que la ville de Marseille et son agglomération sont des territoires moins pauvres qu’inégalitaires, que le morcellement institutionnel pèse sur son attractivité ; que l’idée selon laquelle la ville serait placée sous perfusion administrative ne tient pas si l’on regarde la répartition entre emplois privés et publics ; et que la mauvaise réputation n’empêche pas les classes visiteuses, touristes et investisseurs, d’y venir.

La question des points de rupture

Sur le plan politique, la question que je voudrais poser, c’est celle d’une stabilité apparente avec des personnalités et des modes de régulation placés sous le signe de la continuité, mais qui masquent des profonds déséquilibres. En clair, le contexte politique marseillais est soumis à une série de points de ruptures, parfois propices à des renouvellements, que je voudrais qualifier. Pour exposer cette idée, je vais essayer de passer en revue les rapports de force partisans et intra-partisans à l’orée des élections de juin.

La hiérarchie des carrières politiques et les effets du non-cumul

Avant d’y venir, je voudrais relever deux éléments transversaux qui me paraissent essentiels pour saisir les enjeux des échéances à venir :

  • le premier élément renvoie au statut des élections législatives dans la compétition politique locale. Je ferai l’hypothèse, sous réserve d’un examen plus approfondi et de comparaisons systématique, que les législatives constituent des élections de second rang subordonnées à la reine de la compétition, l’accès à la mairie centrale. Dans un contexte, où on peut supposer que le maire sortant ne se représentera pas, les candidats aux prochaines législative, à gauche, à droite et à l’extrême-droite, ont les yeux rivés, non pas sur le Palais Bourbon mais sur l’Hôtel de ville.

 

  • le deuxième élément, lié au précédent, porte sur les conséquences de la loi sur le non-cumul des mandats, puisque personne désormais, même à droite, ne songe à revenir dessus. Cette mesure place les personnels politiques devant un choix de carrière : celui de privilégier une carrière locale ou une carrière nationale. Alors que jusqu’à maintenant, ils pouvaient jouer relativement sur les deux tableaux en conservant un mandat comme police d’assurance : un adjoint du maire important se faisait quasi-systématiquement député (ou sénateur) pour asseoir sa légitimité à la fois vis à vis de ses adversaires-partenaires au sein de son parti, mais également afin de consolider son fief local. Cette garantie disparaît avec les nouvelles règles du jeu. On mesure mal les effets de cette transformation, par exemple sur la question du leadership partisan local : quel est le meilleur canal pour tenir les rennes du parti localement ? ou pour tenir, tout court, son territoire face à un autre élu qui peut venir de son propre camp. Autre exemple des effets incertains de la mesure du non-cumul : la démonétisation de la fonction de maire de secteur, dans la mesure où les députés, patrons de leur territoire électif, vont pouvoir nommer à cette position leur homme/femme lige. Enfin, on pourrait s’attendre à ce que la loi sur le cumul favorise l’emprise des maires sortants sur leurs successeurs. Les maires pourraient être conduits à choisir leurs successeurs en cours de mandat. Les municipales ayant lieu en 2020, deux ans avant les législatives, certains maires qui seraient reconduits en 2020, pourront être tentés de se présenter en 2022 aux législatives et dès lors nommer leurs successeur-es en cours de mandat. C'est ce qui a peut-ête déjà commencé avec les propos récents de Jean-Caude Gaudin sur l'un des prétendants à sa succession.

Ainsi ces deux éléments posent la question de la hiérarchie entre les marchés politiques nationaux et locaux qui ne sont plus forcément déterminés par la distinction centre-périphérie, mais par des stratégies de carrière dont l’objectif demeure la conquête de la mairie. Que cette stratégie passes par la conquête d’un mandat électif local, c’est le choix qu’a opéré Martine Vassal par exemple, la Présidente du Conseil départemental, ou d’un mandat électif national, c’est le choix d’un Yves Moraine, maire de secteur et qui brigue un siège de député dans une circonscription détenue par le PS, mais susceptible d'être reconquise par la droite. Cette question de la transformation des hiérarchies entre la politique nationale et les carrières locales, est au fond celle des recompositions pouvoir locaux au prisme de la compétition électorale. Elle montre qu’il existe une pluralité d’échelles d’observation et d’analyse, dès lors qu’on s’intéresse aux mutations et aux permanences des pouvoirs urbains. Et tout l’enjeu c’est bien d’articuler les données recueillies à ces différents niveaux. Si l’on s’en tient aux champs de l’analyse électorale, si le niveau du bureau de vote est heuristique pour conduire des observations ethnographiques, il doit pouvoir êter combiner à celui du quartier, de la commune, du département, voire d’espaces plus larges pour des comptages et des relevés statistiques. Ainsi le facteur de la nationalisation des campagnes électoraux doit pouvoir s’analyser au regard des configurations localisées. En l’espèce, l’un des éléments la configuration politique marseillaise est marquée par une série de phénomènes marquants :

  • un pouvoir municipal qui dure (en dépit des profonds changements dans les conditions d’exercice de ce pouvoir ; tout change autour de l’hôtel de ville, sauf son locataire) ;
  • un clientélisme, pas moins faible qu’avant, mais qui fait davantage l’objet de dénonciations ;
  • un FN en progression et qui semble en partie profiter de cette dénonciation ; et
  • un appareil socialiste qui subit à la fois la crise nationale de la Présidence Hollande et les luttes locales issues de la succession non réglées de Jean-Noël Guérini.

Avant de détailler les forces en présence à l’orée de l’élection du printemps, gardons en tête la carte et les chiffres des législatives de 2012 :

 

À droite, d’abord : la suite, pour quand ?

Jean-Claude Gaudin ne se présente pas aux élections législatives, puisque le sénateur-maire est aussi président de la nouvelle métropole. Il a organisé depuis les dernières élections municipales l’ascension d’une nouvelle génération d’élu-es, qui a renouvelé, rajeunie et féminisée l’entourage du maire. La plupart de ces prétendants à la succession seront candidats aux législatives. Et on peut penser qu’elles consisteront pour eux et pour elles, un test en prévision de la suite. La primaire de la droite et du centre a constitué un test pour mesurer les rapports de force quelques mois avant les législatives. De ce point de vue, la droite marseillaise, à l’image du paysage national, s’est présentée en ordre dispersé derrière chaque candidat, même si l’essentiel des cadres locaux ont soutenu Nicolas Sarkozy, dans une fédération largement acquise à la cause de l’ancien Président de la République. Le premier tour a donc sonné comme un échec pour les responsables de la droite marseillaise. Dans l’entre-deux-tours, tous se sont rangés derrière François Fillon qui a remporté 66% des voix à Marseille. L’une des conséquences la plus directe de cette élection surprise de François Fillon à la primaire est de rabattre un peu les cartes au sujet de la désignation des candidats. En effet, la circonscription n°5 devait revenir à l’UDI Maurice Di Nocera en vertu d’accords passés avec l’équipe d’Alain Juppé. Désormais, l’investiture devrait revenir au maire de secteur LR, Yves Moraine, élu des quartiers Sud, mais qui va briguer ici la circonscription arrachée par Marie-Arlette Carlotti en 2012. C’est ce combat, pour partie symbolique, qui mobilisera les énergies militantes ce printemps. En ce qui concerne, précisément, les investitures, les sortants ont été reconduit dans leur rente viagère respective où ils sont à l’abri de mauvaises surprises. Valérie Boyer, Dominique Tian et Guy Tessier ne seront pas battus dans leur fief de l’est et du sud de la ville. Pour les autres, la tâche sera compliquée mais pas impossible et leur adversaire principal sera moins le PS que le FN, on y reviendra. Il n’y a guère que dans la 7e circonscription, qui comprend une partie des quartiers nord (les 15 et 16e arrondissement dont le maire est la sénatrice Samia Ghali), que LR continue de faire l’impasse. Ce bastion de gauche devrait pouvoir être conservé par Henri Jibrayel. En 2012, l’UMP n’avait pas présenté de candidat, se contentant de soutenir un Nouveau Centre crédité de 8,3% au premier tour. Cette fois LR a investi la discrète Marie Camélio. Dans la circonscription de l’ex-socialiste condamnée pour des faits de corruption, Sylvie Andrieux, Richard Miron tentera de faire oublier les accusations de népotisme et battre le FN dans une revanche de la dernière municipale alors qu’il venait d’y être parachuté, confirmant l'adage: « la première fois que quelqu’un se présente quelque part, il est parachuté, la deuxième fois, il y est solidement implanté ».

À gauche, ensuite : le délitement, jusqu’où ?

À gauche, et le problème se pose sur l'ensemble du département et bien évidemment à l'échelle nationale, l’essentiel n'est pas dans les conquêtes (improbables) ou le maintien (difficile, sauf pour deux sortants marseillais Patrick Mennucci et Henri Jibrayel), mais réside ailleurs : savoir habilement enjamber 2017 pour viser 2020. Et pour ceux qui savent qu’ils vont perdre, l’enjeu est de tenir un secteur en vue des municipales. Or, les trois députés socialistes sortants (Mennucci et Carlotti dans le centre, Jibrayel dans les quartiers Nord) sont ancrés de longue date dans leur territoire respectif. Si victoire il y a, et elle reste possible, surtout pour Jibrayel et Mennucci donc, ce mandat, davantage que le précédent, restera purement instrumental et constituera un capital précieux pour le positionnement ultérieur lors de la primaire socialiste des municipales. On peut ici s’interroger sur un effet pervers du non-cumul qui pourrait réduire l’investissement de ces députés-en-campagne dans leur mandat de député. Dans tout le département, la déconfiture à venir a découragé les cadres du parti. Les maires de Vitrolles et de Miramas ont décidé de ne pas se présenter, au nom, selon eux, de la priorité donnée à leur mairie dans la perspective de l’application de la fameuse règle du non-cumul. L’explication n’a pas convaincu en interne. Elle a suscité la colère de leurs camarades qui ont dénoncé ceux qui se « défilent » et « battent en retraite ». Certains ont même demandé aux instances du parti de les contraindre à se présenter. Et si à Marseille non plus, on ne se bouscule pas au portillon, ça bouchonne dans certaines circonscriptions et les contestations ont ajouté à la confusion. Alors qu’en 2012, les candidats étaient désignés par la rue de Solférino, le PS 13 a fait l’expérience, cette fois, d’une sélection par les militants. Dans la 1ère circonscription, celle détenue et probablement conservée, par Valérie Boyer, Yannick Ohanessian a contesté les résultats qui ont désigné à sa place le président de la Ligue de Provence de triathlon. Mais c’est dans l’ancienne circonscription de Sylvie Andrieux que la lutte a été la plus rude. Anne Di Marino qui se présente comme une « amie » de l’ancienne députée condamnée a été désignée, mais seulement 200 militants ont bravé l’appel au boycott lancé par ceux qui reprochent à Andrieux de continuer de peser sur la section. L’une des conséquences, pas forcément attendues, de ce climat défaitiste est le renouvellement d’une partie du personnel politique socialiste. Ainsi, à l’échelle du département, sur les sept circonscriptions détenues par la droite, six postulants socialistes seront des candidates.  

L’extrême-droite, enfin : l’avénement ou le plafond de verre ?

Le Front national à Marseille, c’es essentiellement un homme, son chef, Stéphane Ravier, le maire du VIIe secteur qui rassemble une partie des quartiers Nord de la ville, les 13e et 14e arrondissement, la circonscription de Sylvie Andrieux. Depuis son élection à la mairie de secteur dans le sillage de très bons scores à l’échelle de la ville en 2014 (23% au premier tour), Ravier a subi une série de problèmes qui ne sont pas liés à ses adversaires, mais à une contestation interne à l’appareil partisan local. Les démissions en cascades, la révélation de pratiques de népotisme, les accusation d’autoritarisme fragilisent le FN marseillais qui ne peut même pas compter sur le succès relatif aux régionales de 2015 (40%, en tête, au premier tour). Les têtes de liste des dernières municipales ont renoncé à se présenter. Aujourd’hui, encore, c’est l’inconnu : aucun candidat n’est encore désigné. Et le comportement de Ravier exaspère, au plus haut niveau de la hiérarchie du parti. Si l’on regarde du côté des électorats du FN, et je m’appuie sur les travaux de Joel Gombin, il apparait que la progression du FN, d’un point de vue électoral, n’est pas si évidente que cela et dépend de quelle élection on parle. D’une manière générale, la question des facteurs explicatifs est redoutable et plus encore celle de la distribution des facteurs nationaux et locaux. On peut remarquer au préalable que la progression du FN est à relativiser puisque le FN connait des scores importants (surtout pour les scrutins présidentiels, par exemple) depuis le milieu des années 1980. De ce point de vue, la marge de progression est plus faible, même si elle n’empêche pas d’être parfois spectaculaire, comme lorsqu’un sénateur parvient à être élu ou une mairie de secteur obtenue. D’un côté, la progression du FN ne peut pas se comprendre sans les évolutions nationales, bien sûr, mais les « effets régionaux » restent tout de même forts. C’est ici la question des spécifiés locales qui est posée. Et du côté des variables locales, on peut faire l’hypothèse que le FN est l’un des grands bénéficiaires de l’essoufflement de la régulation clientélaire depuis les années 1990, qui s’est traduit par une réduction des ressources à redistribuer pour entretenir la relation clientélaire (emplois publics, logements sociaux de qualité…) ; et l’un des grands bénéficiaires de sa dénonciation depuis la fin des années 2000. Et c'est cette double décomposition qui a profité au FN dans la mesure, où elle concerne un électorat largement exclu de la redistribution clientélaire.

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