Visages de Provence

Idées de sortie
le 29 Avr 2016
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Marie Provence@Patricia Franchino
Marie Provence@Patricia Franchino

Marie Provence@Patricia Franchino

Des artistes accompagnés par les Théâtres, Marie Provence est peut-être celle qui incarne le mieux le théâtre pour tous, passant avec la même aisance du théâtre jeune public à celui de genre, du public initié à celui « en rupture ». Zoom sur une artiste qui a fait de la transmission son crédo.

En seulement trois pièces et trois sujets forts (le deuil, la différence, les ravages des projections parentales sur les enfants), elle a donné, avec sa compagnie 7e Ciel, un aperçu de son talent dans des registres très divers mais ayant toujours pour point commun la filiation et la transmission. Une transmission qui impacte ses choix artistiques comme elle habite ses sujets, devenant démarche pédagogique lors d’ateliers de sensibilisation auprès de jeunes ou porteuse d’initiatives à l’instar de ce petit film tourné récemment avec des adolescents sur Germaine Tillion et le vivre ensemble.

Marie sait trouver la forme qui met en exergue son sujet : l’imaginaire de l’enfant et son monde d’objets animés pour Pacamambo de Wajdi Mouawad, une forme d’onirisme rompant avec la gravité du sujet pour L’Enfant sauvage, créé en 2010 au Théâtre du Jeu de Paume, et enfin le miroir aux alouettes du mythe hollywoodien pour Zoom, sa nouvelle création, la première dans le cadre de son accompagnement par les Théâtres (le Gymnase et les Bernardines à Marseille, le Jeu de Paume et le Grand Théâtre de Provence à Aix).

Intimement touchée par ses sujets, sans qu’ils soient pour autant autobiographiques, Marie est du côté du sensible et de la faille. Elle aime la folie car elle la trouve plus amusante et au plus près de l’intelligence, loin d’une brillance d’apparat.

Marie Provence est donc une personne authentique qui traque dans ses pièces la justesse de la scène, de l’interprétation, de l’action, du décor. Le jeu de l’acteur est au centre de son travail : tout se construit en fonction du corps, de ses déplacements — et en étroite collaboration avec des danseurs chorégraphes, qu’il s’agisse du sensible Jean-Jacques Sanchez (L’Enfant sauvage) ou de l’énergique Aurélien Desclozeaux (Zoom). Sa direction d’acteurs se situe donc plus dans l’accompagnement que dans la souffrance, laissant des souvenirs impérissables à ses comédiens. Flavio Franciulli, son magnifique Enfant sauvage, résume bien tout cela : « Marie aime profondément les comédiens et construit son spectacle et sa mise en scène autour d’eux. Elle est très à l’écoute de son équipe, que ce soit les comédiens ou l’équipe technique. Elle est constamment en recherche avec eux, même pendant les tournées, elle expérimente encore. »

Pour Zoom, Marie Provence revendique une prise de risque beaucoup plus importante : « C’est plus insolant et arrogant. C’est en tout cas ce que je suis allée chercher chez mes nouveaux collaborateurs (ndlr : la dramaturge Céline Champinot, Laurène Fardeau, assistante mise en scène, et Aurélien Desclozeaux) afin qu’ils me fassent sortir de mes retranchements et m’embarquent ailleurs. » Une mise à l’épreuve rude mais pleine d’enseignements qu’elle accentue par son désir de cumuler la responsabilité de metteure en scène avec son envie impérieuse de redevenir actrice, son dernier rôle étant celui de la mort dans Pacamambo. En tant qu’actrice, Marie Provence a joué chez Akel Akian (L’Albatros), Jean-Luc Tardieu (Le Marchand de Venise), François Cervantes (Voisin)… Elle a également fondé et dirigé avec Dilia Lhardit la Compagnie Méninas, devenant assistante à la mise en scène et comédienne pour les deux premières créations de la compagnie (Profession Mère et Les Sauveurs).

Metteure en scène, auteure, comédienne, associée au Théâtre Dijon Bourgogne, Céline Champinot, qui s’attaquera en 2017 à une réécriture de La Bible, était donc la personne rêvée pour relever tous les défis, en apportant fantaisie et insolence à ce projet. Les deux jeunes femmes ont beaucoup en commun : leur ville d’origine (Lyon), des études à Sciences Po…

Le synopsis de Zoom pourrait être le sujet d’une émission de Strip-tease ou de Confessions intimes. Appeler son fils Burt, le rêver vedette et l’avoir conçu avec Bernard, chauffeur-livreur, dans une salle de cinéma déserte durant une projection du mythique Tant qu’il y aura des hommes, peut effectivement déboucher sur toutes les folies et excès. Mais, contrairement aux émissions susmentionnées, Marie refuse l’exploitation du misérabilisme, laissant le pathos au profit du burlesque et rejetant l’uniformisation. Jusqu’à faire du monologue initial de Gilles Granouillet une pièce à trois voix. Loin d’un effet de mise en scène, ces trois voix — matérialisées par trois visages, trois corps différents — se veulent plus un reflet de la vie, car il y a tellement de femmes dans une seule et tellement de manières d’être une mère… Ce remembrement de la parole, subtilement répartie entre les actrices, est aussi une manière d’étoffer le discours de cette femme, plus habituée à se taire qu’à dire.

Marie parle avec chaleur son personnage : « Il s’agit d’une pauvre fille qui va trop loin dans sa volonté de donner un sens à la vie de son fils. A force de vouloir bien faire, elle fait des choses terribles, passant à côté de l’essentiel : se parler, écouter. Et en même temps, dans son processus, elle se sauve elle-même, elle existe. Dans l’écart entre sa dure réalité et son délire hollywoodien, elle crée sa propre humanité, elle qui n’était que tolérée auparavant. »

Les actrices, Marion Duquenne (déjà dans Pacamambo), Lucile Oza et bien sûr Marie Provence, portent en elle la fragilité, la fronderie, l’irrévérence et la souffrance de ce personnage de mère devenue héroïne tragique malgré elle.

Le Théâtre du Jeu de Paume propose un rendez-vous original avec le psychanalyste et professeur Hervé Castanet à l’issue de la représentation de Zoom, le vingt-sept avril. Une manière de débattre autour de toutes les problématiques contemporaines et psychologiques que ce spectacle met à jour dans une forme touchante, intimiste et rock and roll.

Marie Anezin

Zoom par la Cie 7e Ciel : jusqu’au 30/04 au Théâtre du Jeu de Paume (17-21 rue de l’Opéra, Aix-en-Provence). Rens. : 08 2013 2013 

Le 12/05 au Théâtre Comœdia (Cours Maréchal Foch, Aubagne), dans le cadre de Place aux compagnies. Rens. : 04 42 18 19 88 

Du 7 au 27/07 à L’Entrepôt (1 Boulevard Champfleury, Avignon), dans le cadre du Festival d’Avignon Off. Rens. : 04 90 88 47 71 ou sur le site 

Pour en (sa)voir plus ici 

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