LIEUX DE SAVOIR OU LIEUX DE POUVOIR, LES ÉCOLES MARSEILLAISES

Billet de blog
le 30 Juil 2022
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La municipalité dirigée par B. Payan entreprend, donc, de s’attaquer au « chantier des chantiers »[1], celui de la rénovation des écoles publiques marseillaises. Au-delà des questions techniques, c’est toute la question des pouvoirs dans le champ de l’éducation dirigé par la municipalité qui se trouve au cœur de ce dossier.

Les écoles et les municipalités

Commençons peut-être par le commencement. Pourquoi, peut-on se demander, les écoles élémentaires relèvent-elles de la responsabilité des municipalités ? Bien avant les lois de décentralisation des années 80, qui avaient confié les écoles aux municipalités, les collèges aux départements et les lycées aux régions, un pu à la façon d’une échelle de croissance, il faut remonter en arrière, pour mieux comprendre ce qu’il en est. C’est Jules Ferry qui, dans les années 1880, en instituant l’école élémentaire publique, avait chargé les municipalités de cette responsabilité. L’enjeu, alors, était clair : il s’agissait de libérer l’école de l’enfermement dans lequel des siècles de domination de l’Église l’avaient enfermée. La laïcité était un gage de liberté. Il est d’ailleurs, intéressant de comprendre que ce débat semble surgir de nouveau aujourd’hui, dans le cadre d’une confrontation opposant l’État, encore laïc, aux fondamentalismes religieux, peut-être encore plus actifs qu’à d’autres époques de notre histoire. Par ailleurs, confier les écoles aux municipalités était un gage d’égalité : si c’était l’État qui mettait en œuvre l’éducation des jeunes enfants, il le ferait dans le souci de diffuser la culture et les savoirs à tous. Aujourd’hui comme alors, l’État fait, en quelque sorte l’objet d’un partage : à l’État national la formation et le recrutement des enseignants, à l’État local la construction et l’entretien des écoles.

 

La rénovation des écoles : une urgence

À Marseille, notamment à la suite de décennies d’incurie de la municipalité de droite dirigée par J.-C. Gaudin, mais aussi, disons-le, des municipalités socialistes dirigées par G. Defferre et R. Vigouroux, les écoles élémentaires publiques sont dans un état alarmant : les pouvoirs municipaux ont laissé vieillir et se dégrader les écoles sans les entretenir convenablement, car ils avaient d’autres priorités, plus visibles, sans doute, et constituant des expressions plus glorieuses de leur autorité que les journées quotidiennes des petites marseillaises et des petits marseillais. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, la municipalité dirigée par B. Payan, élue en 2020, se retrouve devant une véritable urgence. Il faut construire des écoles où il n’y en a pas assez, il faut rénover les écoles qui ont mal vieilli car elles avaient été construites à la hâte : il faut ainsi faire des écoles publiques le signe d’une municipalité plus attentive aux lendemains de la ville, dont les écoles sont les garantes. Il s’agit d’une urgence, car il importe de mettre, enfin, un terme à la dégradation des écoles, ne serait-ce que pour rendre à nos enfants des lieux d’enseignement où ils retrouvent le plaisir d’apprendre. Cette urgence de la rénovation des écoles s’inscrit aussi dans le projet d’une véritable égalité entre les quartiers, entre les habitants, entre les lieux divers de la ville.

 

Le choc des pouvoirs

Mais, bien sûr, il faut parler politique et parler pouvoirs. L’enjeu de la rénovation des écoles publiques marseillaises est bien une série de confrontations entre pouvoirs. La première de ces confrontations est celle qui met face à face le pouvoir de la municipalité et celui des anciens pouvoirs, que l’on pourrait appeler pouvoirs d’inertie, issus d’années de municipalités dirigées par G. Defferre et par R. Vigouroux, puis par J.-C. Gaudin, au cours desquelles c’étaient les notables, en particulier les « responsables », irresponsables, des syndicats F.O. de la mairie, qui faisaient la loi au sein des directions municipales. C’est notamment la question de l’entretien des écoles qui est l’enjeu de cette première confrontation, et sans doute la municipalité dirigée par B. Payan entend-elle faire retrouver aux activités de la municipalité une logique de responsabilité qu’elles avaient perdue. La deuxième confrontation en question dans ce dossier des écoles oppose le secteur public et le secteur privé, sous la forme des P.P.P. (« Partenariats public-privé », où sous la forme, nouvelle, des « marchés publics de performance[2] »). Il s’agit de la question, devenue particulièrement aiguë pendant les quinquennats d’E. Macron, de la place laissée au secteur privé dans des activités en principe dévolues au secteur public – précisément pour échapper à l’emprise du libéralisme et des entrepreneurs privés dans les activités de l’État. Au-delà, une troisième confrontation oppose deux conceptions de l’économie et des activités professionnelles. Il s’agit de la confrontation entre une dévolution de plus en plus grande des activités relevant de l’État à des entrepreneurs privés et une conception d’un État encore dominé par le secteur public. Dans le domaine de l’éducation, il faut bien comprendre que l’on ne peut dissocier la construction des écoles d’approches de la pédagogie et de l’enseignement : on ne peut pas réduire les écoles à de simples constructions, mais leur conception, y compris dans le domine de l’architecture, exprime certains projets de l’éducation et du projet pédagogique. On ne peut pas laisser cela être dominé par les mastodontes de la construction qui ne connaissent rien à l’éducation ou qui, au contraire, entendent introduire leurs approches de l’enseignement dans la conception des écoles.

 

Comme on peut le voir, ainsi, la question des écoles publiques fait bien apparaître une confrontation entre pouvoirs : entre les pouvoirs locaux et les pouvoirs nationaux, entre les pouvoirs de l’État et ceux des entreprises et du marché, entre les pouvoirs de l’éducation nationale et ceux des entreprises du bâtiment et des travaux publics. Il s’agit bien d’un enjeu majeur de la municipalité dirigée par B. Payan, issue des élections municipales de 2020 et du souhait des électeurs de faire retrouver toute sa place au secteur public dans les activités de la municipalité qu’ils veulent, ainsi, voir libérées de l’emprise du marché.

 

[1] Voir J.-M. Leforestier et J. Vinzent, La société des écoles de Marseille en vue de sa première rentrée, in « Marsactu », 29 07 22.

[2] Encore l’obsession de la performance, devenue une caractéristique des activités publiques, issue de la logique libérale de la concurrence.

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