À propos des compteurs « Linky » (suite)
L’ÉTAT, DU SERVICE PUBLIC À L’ENTREPRISE
Nous avons engagé, la semaine dernière, une réflexion sur le devenir de l’énergie, passant d’une logique de service public à une logique de marché. Nous poursuivons cette réflexion cette semaine, en l’étendant à d’autres domaines que celui de l’énergie.
Comme souvent ce qui suscite la réflexion que nous proposons aujourd’hui est la rencontre de plusieurs faits et de plusieurs informations. Le premier de ces faits est ce qui est pratiquement devenu un siège, celui des immeubles où j’habite, dans le 7èmearrondissement de Marseille, par l’entreprise chargée de remplacer les compteurs classiques de la consommation d’électricité mis en place par E.D.F. par les compteurs « Linky », dont j’ai parlé la semaine dernière. Au moment où beaucoup d’appartements sont vides car nous étions en août, sans qu’aucun débat véritable n’ait été engagé sur l’opportunité de changer les concours et sur les risques que comportait ce changement, l’entreprise privée chargée de ce remplacement et a installé les nouveaux compteurs.
L’économie libérale et les services publics
Ce n’est pas un hasard si c’est une entreprise privée qui a été chargée de changer les compteurs et d’installer les nouveaux par ENEDIS, l’entreprise privée qui a pris la place d’E.D.F. (Électricité de France) dans la fourniture d’électricité. Ce qui, auparavant, était une entreprise publique, E.D.F., s’occupait de l’ensemble des prestations liées à l’usage de l’énergie, de la production au courant à son utilisation et à la mesure de sa consommation, en passant par son transport. Aujourd’hui, la transformation des services publics en entreprises dans la logique de l’économie libérale conduit à la fragmentation, au morcellement, des services, avec le risque d’une perte de continuité et avec la disparition de la vision d’ensemble que pouvait avoir l’opérateur public. Par ailleurs, en remplaçant les services publics par des entreprises, les usages comme celui de l’énergie s’inscrivent dans la perspective d’une recherche de profit par les entreprises, au lieu d’être, comme ils l’étaient auparavant, dominés par l’esprit de la recherche de la satisfaction du public. Enfin, dans une économie libérale, le public ne prend pas la forme d’un ensemble de citoyens, il ne s’agit plus des habitants d’un pays, d’une région ou d’une ville, mais il prend la forme d’un marché de consommateurs.
La disparition des services publics et la dérégulation de la circulation et des usages de l’espace
C’est sur ce plan que la question des compteurs « Linky » s’inscrit bien dans la perspective d’une politique d’ensemble. On peut lire, dans Le Mondede lundi dernier[1], une étude très intéressante, mais, dans le même temps, inquiétante, sur la disparition des petites lignes de chemin de fer et sur leur remplacement par des liaisons par autocar. En quoi cela s’inscrit-il dans la même logique que celle du remplacement d’E.D.F. par ENEDIS et du replacement des compteurs d’électricité par les compteurs « Linky » ? C’est simple : quand les chemins de fer étaient réellement un service public, quand, en particulier, la S.N.C.F. avait été instituée, en 1937, le rail n’était pas un instrument destiné à faire faire du profit à des entreprises, mais était un outil destiné à la liaison entre l’ensemble des régions françaises et, ainsi, à l’affermissement du territoire national, et un outil destiné à assurer l’égalité entre tous les lieux de notre pays, en leur permettant d’être reliés les uns aux autres, et l’égalité entre les habitants de ce pays, en leur donnant à tous les mêmes moyens de circuler dans l’espace public. La libéralisation du chemin de fer, elle, en revanche, ne cherche pas à assurer l’égalité dans l’espace, mais, de même que la privatisation et la libéralisation de l’énergie ne cherchent pas à assurer un service public réel de l’énergie mais à assurer du profit aux entreprises qui proposent l’énergie, à assurer du profit aux entreprises qui proposent le transport ferroviaire à ceux qui ne sont, ainsi, plus considérés comme des citoyens mais comme des usagers.
Et c’est ainsi que nous revenons à Marseille. Au lieu de permettre la circulation dans l’ensemble des quartiers de la ville, et, ainsi, de contribuer à garantir l’égalité entre tous les quartiers et entre tous les habitants, l’entreprise chargée du transport cherche à faire du profit. Elle cherche, par conséquent, à desservir les lieux et les quartiers dont la desserte lui assure un meilleur profit, sans considération pour les usagers, qui ne sont plus considérés comme des habitants de Marseille, mais comme des consommateurs de transport. C’est, d’ailleurs, aussi cela qui encourage la dégradation du réseau des services publics du transport et son remplacement progressif, de plus en plus par l’usage de la voiture particulière, au détriment de la qualité de l’air, de plus en plus pollué.
C’est pourquoi il est urgent de se protéger de la menace de la libéralisation des services publics, de leur dérégulation et du recul de l’État, et, au-delà, du politique, face au marché.
[1]« Les petites lignes en sursis », Le Monde Économie et Entreprises, 28 août 2018.
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