Les héritier·es ou Marseille
Photo : Assemblée citoyenne du 1er arrondissement. Pacte Démocratique pour Marseille.
Je suis en colère. Depuis 4 mois, j’ai presque laissé de côté ce qui compte réellement pour moi depuis 10 ans, mon activisme pour le droit à la ville. J’ai tenté avec mes ami·es un de dessiner un projet radicalement nouveau : construire un mouvement citoyen, où chacun·e délibère avec ses voisin·es, où la démocratie au consensus prime, où le pouvoir est un bien commun. C’est peut-être naïf, pas assez pragmatique pour certain·es mais ça fonctionne, sur le terrain, en campagne. Avec nos petites forces, nous avons eu de très belles réussites comme tout récemment l’atelier démocratie à la Busserine (vendredi dernier). Une trentaine de personnes dans une cité populaire pour parler du pouvoir, de la place des associations, réfléchir aux règles de contrôle citoyen et d’obligation de transparence des comptes publics. Les idées fusent et on attrape ici et là les cadres légaux déjà existants, on en invente d’autres, on parle, on produit, on s’anime, on créé. Une semaine avant, je me rendais à l’événement « écologie » des Etats Généraux de Marseille. Hors du cadre électoral, une dynamique s’organise. On parle de la place des quartiers populaires, des revendications écologistes des parents d’élèves dans les écoles, du travail fait par Alternatiba et la CGT de l’usine de La Mède, du lien entre les questions de logement et d’énergie, en allant jusqu’à évoquer le problème des mitigeurs. La robinetterie devenue un objet politique, j’ai appris en luttant aux côtés des habitants de la Busserine il y a une dizaine d’années à quel point c’était important. Là encore, ce n’est peut-être pas « pragmatique » mais voilà que le réel s’invite en politique.
Nous savions le pari risqué que nous faisions en dialoguant avec les partis politiques, nous savions à quel point cela pouvait être périlleux de mettre un pied là-dedans et se retrouver emportés dans les logiques anciennes du champ politique. Nous avons eu de belles surprises. Nombreux·ses, sûrement majoritaires, sont les militant·es politiques, les écologistes, les insoumis·es, les communistes, les autres, qui cherchent comme nous à tracer une voie démocratique et alternative. Mais voilà, les héritier·es ne lâcheront pas si facilement leurs places, malgré la résistance et la vitalité d’une écrasante majorité d’individus et bien souvent de leurs organisations. Parler robinetterie et politique, huile de palme et démocratie directe, ça ne les intéresse pas.
Hendrik Davi, représentant des insoumis au Printemps Marseillais, vient de craquer avec d’autres et a annoncé quitter le « bal des hypocrites » mené par le PS, à la suite de leur putsch interne au sein du Printemps Marseillais. Les pratiques des héritier·es du clan Guérini restent bien vivaces. L’une pense être la madone de Marseille, l’autre pense avoir rendez-vous avec le peuple marseillais. A travers eux, le Parti Socialiste, même divisé, continue donc de se débattre tel un poisson hors de l’eau. Il y aura demain deux listes socialistes, deux descendances du système, qui ne diront pas leurs noms, bien conscients que celui-ci est devenu un repoussoir pour l’écrasante majorité des électeurs. De l’autre côté de l’échiquier politique, on parle de « naissance » ou on décide à Paris, on boude parce que Jupiter n’a pas donné l’extrême onction à l’un·e ou à l’autre. Et tout au bout, le parti des meurtriers d’Ibrahim Ali ricane façon hyène en regardant ce triste spectacle.
Les mouvements citoyens réunis dans le Pacte Démocratique pour Marseille se sont fait claquer la porte au nez avec pour la énième fois un refus d’organiser une véritable rencontre unitaire, après de longues séances à se faire insulter. Trop occupés à parler robinets ou des rats à Belsunce, nous n’étions pas non plus naïfs mais n’avions pas compris à quel point ces pratiques étaient profondément ancrés dans la culture politique de certain·es avec qui je n’ai définitivement rien à faire. J’ai vécu il y a une semaine une réunion lunaire où le Parti Socialiste et ses satellites sont venus faire la leçon à tout le monde, leurs allié·es au sein du Printemps Marseillais compris·es, et empêcher que toute unité ait lieu. J’avais mal pour mes ami·es qui se sont engagé·es avec toute leur énergie, comme nous, à tenter l’unité incroyable que notre ville attend. On peut reprocher beaucoup de choses au PS et ses alliés mais cette fois ils étaient clairs : ils allaient empêcher toute décision quant à une date de réunion et de débat en vue d’une convergence. C’est dire leur sens des priorités : ils ont réduit la politique à des histoires d’agenda et d’envois de mails qui agitent la gauche sans que l’on comprenne vraiment ce qui nous arrive. Nous avions une salle, un ordre du jour, des propositions, et « clac ! » nous avons trouvé une nouvelle fois porte close. Leur programme était clair : priorité à désigner leur candidat, de force, plutôt qu’à construire avec ceux et celles qui veulent réinventer un autre pratique du pouvoir. Il y a quelques mois, on nous arguait des problèmes de comptes de campagnes pour nous empêcher d’organiser des assemblées citoyennes communes, puis ça a été des histoires de tweets. On nous a même reproché de ne pas vouloir parler de postes, un comble quand on se dit vouloir parler de fond politique et de démocratie. Je vous passe les détails, vraiment, c’est beaucoup trop triste pour mériter plus de lignes.
J’ai l’impression d’avoir perdu 4 mois de mon temps. Ce n’est pas si étonnant après tout, certains d’entre eux attendent depuis 10, 20, 40 ans que ce soit « leur » tour, celui que je-ne-sais-qui leur a promis. La CGT, qui comme nous avait pris le risque incroyable d’appuyer la bataille électorale et faire la passerelle avec le mouvement social, commence également à gronder face à l’absence de responsabilités et la prime aux personnes plutôt qu’au projet. Le parti écologiste, avec toutes les critiques qu’on peut leur faire et qui méritent un débat ouvert et fraternel, s’était pris une telle porte il y a quelques mois et s’agace à raison que la puissance de la génération climat ne soit pas au cœur du débat.
Ni génération climat, ni Gilets Jaunes, ni grévistes, ni collectifs d’habitant·es ne sont en fait présent·es comme la pierre angulaire qu’ils devraient être dans ce débat. Tou·tes celles et ceux qui ont ces derniers mois construit les espaces d’une citoyenneté active ont finalement été renvoyé·es au second rang. Vraiment, c’est ça que Marseille mérite ? Des héritiers en tête de toutes les listes pour préempter Marseille et sa vitalité, à “gauche” comme à droite ?
Il y a de partout des marseillais·es, des militant·es, des forces politiques et citoyennes qui cherchent une autre voie, celle du consensus démocratique et du pluralisme, du renouveau face aux logiques claniques et messianiques. Sur le terrain, militant·es du Printemps Marseillais, du Pacte et écologistes réussissent d’ailleurs bien souvent à s’entendre grâce au dialogue et à la pratique commune. J’ai évoqué ces discussions avec les jeunes militant·es d’Extinction Rébellion, avides de pouvoir dialoguer avec les quartiers populaires au sein d’Assemblées Citoyennes, avec les membres d’Alternatiba qui comprennent avec nous que démocratie locale et écologie peuvent être les piliers d’un avenir social et populaire. Si je peux aider à quelque chose, c’est bien là plutôt que dans les salles de cafés où tout le monde va pour être vus ensemble à se crier dessus. A faciliter la jonction entre des mondes sociaux, des mondes idées, des expériences démocratiques, des envies de tout changer qui commencent à se parler. Repartons de cela et construisons une véritable alternative à ceux et celles qui pensent avoir rendez-vous avec le peuple, croient être nées pour la Mairie ou qui se prennent pour des madones. Le pouvoir ça se partage sinon ça vous détruit !
Nous avons mûri, nous avons des propositions venues des Assemblées Citoyennes et des mouvements sociaux, nous sommes des centaines à avoir pris confiance en nous et sommes prêt·es à incarner cette relève dont nous avons tant besoin. Nous sommes peut-être des amateurs pour ce qui est des magouilles politiques et tant mieux, nous avons peut-être perdu du temps, mais nous avons pour nous des années et des années d’expérience de terrain, de vivacité démocratique. Nous savons penser la politique depuis l’intime, depuis notre voisinage, nous savons faire de la politique différemment, imaginer la ville telle que nous la méritons. Nous savons tendre la main aux militant·es et aux partis politiques qui comprennent que Gilets Jaunes, marcheurs pour le climat, grévistes du 5 décembre et collectifs locaux sont nos chances pour l’avenir. Nous serons dix fois plus compétent·es que les héritier·es pour animer Marseille, au sens radical du terme comme au sens pragmatique : rendre son âme à la ville et produire ensemble la politique sociale et écologiste dont nous avons besoin. Il n’y a qu’à ouvrir la rubrique politique des journaux locaux ou lire le rapport de la Cour des comptes pour s’en convaincre. Nous ferons cela collectivement ou nous regarderons s’effondrer notre ville. C’est maintenant, en enjambant les débris que les héritier·es nous laissent, en traçant l’horizon d’une coalition de l’espoir, que cela se joue.
Note : ce billet de blog, comme tous les autres, n’engage que moi.
Commentaires
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L’erreur commise, s’il y en a une, a été d’accepter de composer avec les partis politiques, tant pour bénéficier de leur logistique et de leur savoir-faire présumé, que par crainte de leur pouvoir de nuisance, sans analyser ni tenir vraiment compte des raisons profondes de leur échec depuis 25 ans.
C’était oublier que les partis marseillais, fussent-ils de gauche, sont indissociables du « système » honni, qu’ils ont contribué à façonner et auquel ils ont largement participé, y compris sous le règne de Gaudin. Tombés dedans quand ils étaient petits, leurs réflexes sont archaïques. Ils sont incapables de remettre en cause le mode de fonctionnement qui assure le confort de leurs chefs à court terme, au prix du sacrifice d’une vraie ambition pour la ville.
La solution proposée d’une liste « hybride » regroupant « habitués » de la politique et « citoyens aspirants » était finalement une mauvaise idée, puisqu’elle a échoué. Pourquoi ? Parce que les partis n’en voulaient pas vraiment (Faisons court et caricatural : ils voulaient pouvoir faire le tri des « bons » et des « mauvais » citoyens). Et parce qu’elle ne faisait que souligner et aviver un clivage finalement assez incongru entre « politiques » et « citoyens » la défiance des uns à l’égard des autres. Ne sommes-nous pas, tous, des citoyens égaux ? L’appartenance à un parti politique confère-t-elle une compétence particulière ou un droit de préemption sur les listes de candidat.es ? Évidemment non, pourquoi accepter une telle base de discussion ?
Tu n’as pas complètement perdu ton temps, car cette expérience aura mis en évidence que la quasi-totalité des adhérents, militants, sympathisants de tous les mouvements n’ont aucun désaccord de fond : partout ils font les mêmes constats, élaborent les mêmes propositions, expriment leur colère de la même façon. Ils ont pris conscience de la difficulté de reconstruire un mouvement d’opposition unifié et cohérent et perdu leurs dernières illusions quant à la possibilité d’une rénovation avec l’existant. Ils savent désormais qu’il n’existe plus d’autre choix que celui d’une reconstruction complète sur la base de fondations nouvelles.
Et je me permets de te renvoyer à cette lettre publique que je t’ai adressée il y a deux mois, et qui n’a pas trop vieilli…
https://marsactu.fr/agora/lettre-a-kevin-vacher/
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Le PS local, encore plus discrédité, si c’est possible, que le PS national devrait, pour qu’on n’entende pas trop ses casseroles, se faire tout petit s’il souhaite vraiment la victoire des gauches à Marseille. Mais la souhaite-t-il ?
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Le P”S” local, et ses branches pourries des environs ( Istres, Allauch, Velaux…) n’a décidément pas changé, et en n’est visiblement pas capable. Quand on en parle, on devrait dire d’ailleurs, le P”S” local, ou ce qu’il en reste. Eh bien c’est justement les “héritiers”, qui ont hérité précisément des habitudes et travers de 70 ans et plus de defferrisme. Le changement ne pourra finalement se faire que sans eux et contre eux, dans le même temps, contre tous les héritiers de ce système, tous nichés dans le même sac. C’est en gros une des conclusions laquelle vous arrivez, et moi avec que vos tentatives et essais ont “emballé”, dans les deux sens du terme…
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Merci pour votre engagement, merci pour ce texte, nous avons tous besoin de nous investir ainsi, mais le découragement et la déprime nous guettent, tous, et est perceptible dans votre billet. Ces personnes imbues d elles même, ivres de leur petite réputation d elu.e.s ou de responsable.s syndicaux, avides d arriver “enfin” au pouvoir, qui pensent le meriter, qui pensent incarner le peuple, representer la majorité, se gargarisent et s autopersuadent de cela… alors qu ils détestent qu’on ne les suivent pas, refusent de redescendre du piedestal oùils se sont mis, refusent d être “parmi” et non “devant ” ou au dessus…
l ex ps, la fsu, sont de très mauvais partenaires, car justement ils sont pleins de gens de ce type, qui refusent d ecouter les autres, meprisent toute initiative, s’estiment indispensables, et leader au nom de …? … quoi ?
Les vrais responsables de la scision et de l echec, ce sont eux.
Laissons les seuls. On ne peut plus perdre encore du temps et de l energie. On ne peut pas accepter leur putch.
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