Le “Brexit” et Marseille
Même si cela semble loin, sans doute est-il intéressant de tenter de comprendre les incidences du retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne sur l’économie de la métropole marseillaise et sur l’identité urbaine de la ville. L’un des buts de notre chronique dans Marsactu est aussi de mieux articuler les événements qui se produisent dans le monde aux logiques de la vie urbaine et de la culture marseillaises.
Le “Brexit” et Marseille
D’abord, il y a un trait commun à la relation entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne et à Marseille : il existe une relation à la mer, et cette relation à la mer est problématique, elle est source de conflits, de dissensions, d’incompréhensions, voire de crises. C’est pourquoi la Grande-Bretagne a toujours considéré son appartenance à l’Union européenne comme problématique : c’est de Gaulle qui disait qu’entre l’Europe et le grand large, la Grande-Bretagne choisirait toujours le grand large. D’une certaine manière, l’appartenance à l’Union européenne était antinomique avec l’histoire économique de la Grande-Bretagne et avec l’histoire du Commonwealth, cette communauté économique qui constituait une forme nouvelle de colonisation. En s’ouvrant à l’Europe et en se soumettant aux normes de l’Union et du « marché unique », le Royaume-Uni prenait nécessairement une forme de distance avec son passé économique et avec les relations qu’il entretenait, classiquement, avec toutes sortes de région du monde, plus qu’avec le continent européen, en raison, justement, de son histoire maritime, de l’histoire d’une puissance économique acquise grâce à la mer et à l’expérience économique et politique de la navigation.
Marseille, comme la Grande-Bretagne, est proche de la mer, mais, alors que le Royaume-Uni en a toujours fait la source de sa puissance économique et de son développement, en particulier de son développement urbain (Londres est un port et le Commonwealth est à l’origine d’une très grande nombre multiplicité ethnique et culturelle du Royaume-Uni), Marseille a toujours eu des relations complexes et tendues avec la mer. C’est ainsi qu’alors que le port est intégré dans Londres, on a le sentiment que le port a toujours été tenu à distance de la ville. Quand le développement urbain intègre ce qui sera appelé le Vieux Port au sein de la ville, le port est repoussé à la Joliette, qui est au début à l’extérieur des limites de la ville, et, au fur et à mesure du développement de l’activité économique, le port sera sans cesse plus éloigné de la ville et de la vie urbaine.
C’est ensuite l’orientation de l’activité économique de la ville qui distingue l’histoire de Marseille et celle de la Grande-Bretagne. En effet, le colonialisme britannique est un colonialisme économique, laissant aux puissances faisant partie du Commonwealth leur identité politique mais les intégrant à un espace d’échange et de marché, ce qui est sans doute à l’origine du malentendu entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne, car le Royaume-Uni souhaitait conserver une entière autonomie politique et ne pas se soumettre aux contraintes politiques de l’Union européenne, faisant de cette dernière un espace d’échanges et de marché comparable au Commonwealth, alors que l’Union européenne allait, au fur et à mesure de son histoire vers une intégration de plus en poussée des nations membres. En revanche, le multiculturalisme caractérise la culture marseillaise, mais, dans le même temps, rend, sans doute, parfois problématiques la vie urbaine et le développement de la ville. C’est ainsi que c’est, sans doute, la venue à Marseille de toute une population issue de la décolonisation, ceux que l’on appelait les « pieds-noirs », puis le développement de l’immigration et de l’installation dans la ville d’habitants de cultures différentes, qui ont fait évoluer la vie urbaine marseillaise vers des situations critiques, qui se sont manifestées, par exemple, par la montée d’une forme de xénophobie, par la naissance de quartiers devenant des sortes de ghettos urbains et, sur le plan politique, par la radicalisation des antagonismes culturels.
Enfin, la relation de la Grande-Bretagne et celle de Marseille à l’Europe se distinguent par la géographie et l’histoire des migrations et du multiculturalisme. La Grande-Bretagne a toujours été tournée vers les pays de l’Orient lointain, comme l’Inde ou le Pakistan, ou vers des pays encore plus lointains comme l’Australie. La Méditerranée n’est pas la mer de Londres et de la Grande-Bretagne, alors qu’elle est la mer de Marseille, ce qui va avoir des incidences sur le plan politique et sur le plan économique pour trois raisons. D’abord, les pays de la Méditerranée, avec lesquels Marseille a une histoire et une culture d’échanges, sont devenus des pays plus fragiles sur le plan économique et moins riches que les pays avec lesquels la Grande-Bretagne avait des relations. Cela a suscité des tensions. Par ailleurs, ces pays, avec lesquels Marseille avait des relations, se sont éloignés de la France, parfois dans des conditions critiques, au moment de la décolonisation.
Enfin, les migrations vers la Grande-Bretagne n’ont pas été imposées par des situations économiques, mais, au contraire, ont contribué à l’enrichissement du Royaume-Uni et à son développement. C’est ainsi que le nouveau maire de Londres, Sadiq Khan, est d’origine pakistanaise et de culture musulmane. En revanche, les migrations qui se sont inscrites dans la métropole marseillaise n’ont pas été liées à des relations d’échanges économiques, mais plutôt à des difficultés de développement économique des pays d’où elles sont issues, ce qui a lié le multiculturalisme marseillais à des logiques de crise et à de tensions économiques et sociales et à des tensions sur l’emploi.
Toutes ces raisons nous invitent à lire le « Brexit » d’une façon particulière dans l’espace de la métropole marseillaise et à profiter de cette occasion pour engager une réflexion approfondie sur les logiques du développement économique et du développement de l’emploi et de la culture qui s’offrent à la ville.
Commentaires
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Tout cela est bien vrai et ces comparaisons entre la Grande Bretagne et Marseille sont fort pertinentes. Et plutôt explicatives par rapport aux analyses des sociologues que nous avons l’habitude de lire sur Marseille.
La « relation de mer » rapproche la Grande Bretagne de Marseille. Mais les relations de la Grande Bretagne avec le Commonwealth, sont essentiellement économiques (les pays du Commonwealth gardent leur identité politique, tandis que la réussite dans nos colonies n’est pas du même ordre. D’où un malentendu avec l’Europe, à l’égard de laquelle la Grande Bretagne voulait seulement voir un nouveau Commonwealth. D’où des immigrations différentes, que l’on pourrait caricaturer entre immigration d’hommes d’affaires et immigration de pauvres ou de français issus d’une décolonisation ratée, comme les « pieds-noirs ».
Multiculturalisme aussi, mais qui a pu faire évoluer la vie urbaine marseillaise vers des situations critiques.
La Méditerranée n’est pas la mer de Londres et de la Grande Bretagne, qui a colonisé des peuples plus lointains qui ont évolué vers une certaine réussite économique, alors que nos colonies sont économiquement plus fragiles, moins riches et source d’antagonismes.
« Enfin, les migrations vers la Grande-Bretagne n’ont pas été imposées par des situations économiques, mais, au contraire, ont contribué à l’enrichissement du Royaume-Uni et à son développement. C’est ainsi que le nouveau maire de Londres, Sadiq Khan, est d’origine pakistanaise et de culture musulmane. En revanche, les migrations qui se sont inscrites dans la métropole marseillaise n’ont pas été liées à des relations d’échanges économiques, mais plutôt à des difficultés de développement économique des pays d’où elles sont issues, ce qui a lié le multiculturalisme marseillais à des logiques de crise, à de tensions économiques et sociales et à des tensions sur l’emploi. »
Voilà qui pose quelques questions sur ce que la Grande Bretagne et la France ont apporté à leurs anciennes colonies et les fruits qu’elles peuvent en retirer. Voilà qui nous interroge aussi sur nos discours en matière économique.
Bernard Lamizet est professeur de Sciences de l’information et de la communication à l’Institut d’études politiques de Lyon : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Lamizet
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