L’aura de l’art

Billet de blog
le 3 Juin 2024
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L’aura de l’art
L’aura de l’art

L’aura de l’art

Dessin de Rahma

Dans les grottes préhistoriques il y a des mains d’humains et des animaux beaux partout sur les parois, c’est tout un mode de vie qui se lit, mais aussi, en plus de l’histoire sans histoire de l’humanité avant la vraie histoire de l’homme civilisé, un admirable art qu’on appelle pariétal. Dans les tombeaux de l’Égypte ancienne, des pièces remplies d’objets de la vie quotidienne et de jolis bijoux ne servent à personne, les sarcophages sont indifférents aux momies qui s’y trouvent et durant des siècles, personne ne put plus lire les tags anonymes que laissèrent les jeunes du quartier Pyramides. Maintenant, évidemment, les égyptologues traduisent les hiboux, les ibis, les serpents, les pieds et les yeux et d’autres signes encore plus compliqués dont l’usage est perdu depuis des millénaires. Ils sont si passionnés par la lecture des murs qu’ils parlent, entre eux, cet égyptien ancien chamito-sémitique et pas encore copte et rigolent de leurs crypto-blagues. Il faut parler le langage de presque personne pour approcher le sens amusant et subtile de ces dessins pour rien.

Lorsqu’un lieu de résidence plus ou moins éternelle a été fermé, tout ce qui a été inscrit ou dessiné sur ses murs cesse d’être visible pour longtemps, voire pour toujours. Les mots et les dessins perdent ainsi leur valeur d’exposition : l’utilité et le divertissement caractéristiques du rapport de consommation propres aux industries culturelles disparait soudain pour laisser place à la conservation d’un art traditionnel. Désormais sans fonction commerciale ni récréative, ces inscriptions acquièrent soudain l’aura des œuvres sacrées dont la valeur se fonde sur l’authenticité et le rituel culturel.

La valeur rituelle de l’art, écrivait Walter Benjamin tout en fuyant les nazis, l’un n’empêche pas l’autre, exige presque que l’œuvre d’art demeure cachée.

Rue Jean Cristofol, le Gyptis est muré. Les parpaings ont été montés pour condamner l’entrée, puis les ouvertures des balcons du premier, et quelques jours plus tard celles du deuxième étage que les plus agiles des sans domicile pouvaient encore atteindre afin d’aller survivre dans ce nouveau tombeau. Le Gyptis est interdit au public. Ainsi personne ne lit, chaque jour, dans le couloir de l’entrée et dans l’escalier :

 

Y a tou

le sang

3e étage

 

Bienvenu

le sang

Ya tou

 

Bone soirée

Bone fumette

le sang

la zone

 

Et personne ne peut voir sur le mur d’une chambre le joker entouré des quatre couleurs du jeu, pique noir et cœur jaune à droite trèfle noir carreau jaune à gauche d’un large sabre devant une moitié de visage de pirate, ni la feuille de ganja ni l’œil qui pleure au-dessus d’un parapluie ouvert, ni le petit couteau suspendu dans le blanc.

C’est tout un mode de vie qui ne se lit plus, mais aussi, en plus d’une histoire de l’humanité la plus maltraitée, un art qu’on appelle pariétal, dont la valeur est fondée sur l’authenticité qui te défonce le cœur.

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