LA SANTÉ PUBLIQUE ET LA SURVEILLANCE

Billet de blog
le 30 Août 2020
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Le nouveau préfet des Bouches-du-Rhône a décidé d’imposer des mesures de surveillance accrue de l’espace public justifiées, selon lui, par la persistance du risque d’expansion du coronavirus à Marseille et dans la métropole. Peut-être faudrait-il s’interroger sur la signification politique de telles mesures.

 

La maladie comme argument lié à l’insécurité

Finalement, à bien réfléchir, on se rend compte que la maladie fait partie des arguments censés fonder le discours, devenu classique, sur l’insécurité. On a le sentiment qu’il devenait nécessaire à l’État, sous toutes ses formes, dans toutes ses dimensions, de construire un nouveau modèle de l’insécurité, et, en France, comme partout ailleurs dans le monde, la maladie est devenue une figure centrale de l’insécurité. Les mesures de contrôle sanitaire imposées par le préfet des Bouches-du-Rhône font partie des expressions politiques de ce discours sur l’insécurité .C’est, d’ailleurs, ce qui explique que l’une de ces mesures, la fermeture des bars qui était censée être imposée à vingt heures, ait été repoussée à 23 heures à l’issue d’une forme de négociation – ou faut-il dire : d’une partie de bras de fer ? – entre la municipalité et la préfecture. Il faut dire, ne nous trompons pas, que ce thème de l’insécurité fait partie depuis longtemps des objets du discours politique propre à Marseille. Jusqu’à présent, l’insécurité était liée à la violence et à la criminalité, mais, aujourd’hui, une forme de violence nouvelle semble apparue, celle que l’on peut appeler la violence sanitaire. Mais, en réalité, ce que l’on peut appeler la mort sociale, existe depuis longtemps ; les morts de la grippe sont toujours nombreux chaque année, les morts dues aux accidents de la route également, ainsi que les morts dues à la pollution industrielle, à la pollution agricole, à la pollution environnementale, notamment due à la circulation automobile, aux bateaux et aux avions. Cependant, la spécificité de la violence sanitaire liée au coronavirus est son caractère pandémique et, en quelque sorte, soudain, de son apparition. C’est ce qui fait de la violence sanitaire une forme nouvelle de l’insécurité.

 

Le risque particulier lié au caractère pandémique du coronavirus

Deux raisons peuvent expliquer la violence institutionnelle – car c’en est une – du discours du préfet sur le coronavirus. La première est le caractère transnational, en quelque sorte universel, de la maladie, semblable à ce qu’a pu représenter la peste, notamment à Marseille en 1720. C’est parce que le coronavirus semble apparu dans tous les pays du monde qu’il représente cette forme particulière de violence. C’est ce caractère transnational qui sert aussi à justifier le discours de l’État sur la pandémie. Mais une autre raison permet de comprendre la violence de ce discours : il s’agit de l’affaiblissement politique de l’État dans la période que nous vivons, dominée par le libéralisme sur le plan économique. Le libéralisme finit par restreindre le rôle de l’État en le limitant à des fonctions de contrôle de la population. Et, comme l’État semble ne plus être en mesure d’engager une véritable politique efficace de protection des citoyens contre la violence du marché, il faut bien qu’il se rattrape sur un autre domaine, et, donc, il engage une politique de soi-disant protection sanitaire, en faisant, une fois de plus, de la peur la figure censée légitimer sa politique de surveillance des citoyens.

 

Une société de surveillance

C’est que, comme on le sait depuis toujours dans l’histoire, il existe une ambiguïté dans le discours sur la protection contre l’insécurité : il s’agit à la fois de protéger les citoyens et de les surveiller. Foucault fut, peut-être le premier, dans les années soixante, à proposer une réflexion sur les significations politiques des lois, des normes, des réglementations, liées à la protection des citoyens contre la maladie. En protégeant les citoyens, l’État les enferme. En surveillant les horaires d’ouverture des bars, en réglementant les rassemblements, en imposant le port du masque dans l’espace public, le préfet – c’est-à-dire l’État – accentue la surveillance des citoyens. À cet égard, le discours de la maire de Marseille, Michèle Rubirola, lors de la conférence de presse qu’elle a tenue jeudi dernier, le 27 septembre, avec Martine Vassal, présidente du département et Didier Raoult, n’était certainement pas un discours de gauche. En effet, au lieu d’engager à une réflexion critique, ce discours était fondé sur l’argumentaire de la menace. Comme tous les discours de droite, il était dominé par la figure de la peur. Quand M. Rubirola dit, au cours de cette conférence de presse, qu’il fallait « arrêter de laisser libre cours à notre imagination et à notre peur », elle entretient, consciemment ou non, la persistance d’un régime de la peur. C’est bien pour cela qu’à une forme d’urgence en répond une autre : à l’urgence sanitaire doit répondre l’urgence de la réflexion sur la restriction des libertés par les mesures de l’État. À Marseille, mais, sans doute, dans d’autres villes et d’autres pays, la violence de la pandémie entraine l’aggravation de la violence de l’État. C’est bien pourquoi il est si urgent de réfléchir aux moyens de lutter contre cette violence, de se protéger contre la violence des appareils d’État et de se prémunir contre elle.

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