La rigueur statistique s’arrête-t-elle aux limites de la métropole d’Aix-Marseille ?
La rigueur statistique s’arrête-t-elle aux limites de la métropole d’Aix-Marseille ?
Fin octobre, l’Insee a publié son nouveau zonage des aires urbaines, désormais dénommé “zonage en aires d’attraction des villes”. Ce changement d’appellation traduit un changement de méthode de construction du zonage destiné à s’harmoniser avec celle d’Eurostat, la direction statistique de la commission européenne. Cette nouvelle méthode est également sensée mieux rendre compte de la réalité de l’organisation des territoires, indépendamment des délimitations administratives. Surprise : alors que l’on aurait pu s’attendre à revoir apparaître une distinction entre l’aire d’influence d’Aix-en-Provence et celle de Marseille, l’Insee affiche une zone d’attraction unique, ce qui ne peut qu’arranger l’État dans sa volonté de maintenir à tout prix une unité fictive à la métropole d’Aix-Marseille bien qu’elle ne repose ni sur une réalité historique, ni sur une volonté politique partagée, ni sur une réalité statistique.
Pour comprendre cette surprise, revenons un peu en arrière. Le zonage en aire urbaine est un zonage que l’Insee avait construit pour étudier l’aire d’influence des grands pôles urbains sur la base des navettes domicile-travail. Son principe de construction consistait à identifier d’abord des pôles urbains concentrant un nombre important d’emplois, appelés pôles d’emplois. On regardait ensuite d’où venaient les actifs qui travaillaient dans chaque pôle d’emplois, avec un processus d’agrégations successives : dans un premier temps, les communes dont plus de 40% des habitants actifs allaient travailler dans le pôle étaient considérées comme relevant de son aire d’influence. Puis, s’y ajoutaient les communes dont 40% des habitants actifs allaient travailler dans le pôle ou dans les communes précédemment considérées comme sous son influence. Et ainsi de suite…
Dans ce zonage, Aix et Marseille appartenaient à la même aire urbaine, non pas parce que ces deux pôles d’emploi étaient fortement imbriqués entre eux, mais parce que les définitions de l’Insee conduisaient à en faire d’emblée un pôle unique au motif que les deux villes appartiennent à une même “unité urbaine”. Pour l’Insee, l’unité urbaine est une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu, c’est-à-dire sans coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions, et comptant au moins 2 000 habitants. Autrement dit, il suffit qu’un filet de constructions s’échelonne tous les 150 mètres le long d’une route reliant deux villes pour que celles-ci appartiennent à la même unité urbaine, même si, dans le paysage, elles apparaissent clairement distinctes car séparées par des territoires peu denses.
S’appuyant désormais sur la méthodologie d’Eurostat, l’Insee ne part plus des unités urbaines pour définir les aires d’influence des villes. Profitant des progrès de la cartographie numérique et de la géolocalisation des données, les noyaux urbains sont désormais définis en partant d’un découpage du territoire en carrés de 1km de côté et en agrégeant ensemble les carrés contigus ayant une densité de population élevée. Avec cette méthode, le découpage statistique rend mieux compte de la morphologie des territoires. Il devient plus cohérent avec le paysage vécu et le pôle urbain d’Aix-en-Provence retrouve son indépendance par rapport au pôle de Marseille. Elles apparaissent ainsi comme deux “cities” distinctes dans le zonage d’Eurostat.
Un deuxième changement important dans la construction des aires d’attractions des pôles urbains concerne la façon de définir les communes qui sont sous leur influence. En conformité avec la méthodologie d’Eurostat, cette définition s’appuie toujours sur les navettes domicile-travail mais le seuil d’agrégation n’est plus de 40%. Il est de 15% : les communes dont au moins 15% des habitants actifs vont travailler dans un pôle urbains sont considérés comme relevant de son influence. Si plusieurs pôles sont concurrents, c’est celui qui attire le plus d’habitants actifs qui l’emporte. En contrepartie d’un seuil plus bas, le processus n’est plus itératif.
Avec cette méthode, Eurostat aboutit à la délimitations de deux aires d’influence clairement distinctes, d’un côté pour Aix-en-Provence et de l’autre, pour Marseille (ce qu’Eurostat désigne sous l’appellation de “zones urbaines fonctionnelles”). Pourtant, de son côté, avec une méthode présentée comme identique, l’Insee n’identifie qu’une zone d’attraction englobante qui continue de regrouper les deux métropoles (carte 1). Pourquoi d’une même méthode, des résultats aussi différents ? Voilà la surprise.
Carte 1 – l’aire d’attraction d’Aix-Marseille selon le nouveau zonage de l’Insee (ZAV) englobe deux zones urbaines fonctionnelles qu’Eurostat distingue
Sources : Fonds de carte GADM. Insee- composition communale des aires d’attraction des villes 2020, Code officiel Géographique. Eurostat- composition communale des zones urbaines fonctionnelles, 2012.
L’étonnement est d’autant plus fort que l’Insee élabore un autre zonage d’étude, toujours sur la base des navettes domicile-travail : les zones d’emploi, qu’il présente ainsi:
“une zone d’emploi est un espace géographique à l’intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent, et dans lequel les établissements peuvent trouver l’essentiel de la main d’œuvre nécessaire pour occuper les emplois offerts. [C’est] une partition du territoire adaptée aux études locales sur le marché du travail […]. Le zonage définit aussi des territoires pertinents pour les diagnostics locaux et peut guider la délimitation de territoires pour la mise en œuvre des politiques territoriales initiées par les pouvoirs publics ou les acteurs locaux.” (voir ici)
Or, dans la nouvelle délimitation réalisée en 2020, Aix-en-Provence et Marseille polarisent deux zones d’emploi distinctes, au sein de la zone d’attraction d’Aix-Marseille (carte 2).
Carte 2 – l’aire d’attraction d’Aix-Marseille selon le nouveau zonage de l’Insee (ZAV) englobe deux zones d’emploi clairement distinctes
Sources : Fonds de carte GADM. Insee- composition communale des aires d’attraction des villes 2020 et composition communale de zones d’emploi 2020, Code officiel Géographique.
Selon l’Insee, 89,3% des actifs occupés habitant la zone d’emploi de Marseille y travaillent et pour Aix-en-Provence, cette proportion est de 71,2%. Les deux territoires sont donc loin d’être fortement imbriqués sur la base des navette domicile-travail. L’Insee met même spécifiquement en avant la zone d’emploi Aix-en-Provence comme formant, avec celle d’Avignon, les “deux grands pôles d’emploi attractifs” de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Nous voilà donc avec deux zonages de l’Insee qui sont basés sur la même information, les navettes domicile-travail, qui sont sensés, tous les deux, permettre de définir des territoires cohérents pour l’analyse et l’action publique, mais qui aboutissent à des conclusions totalement divergentes : l’un nous disant, comme l’État, qu’il faut voir Aix-en-Provence et Marseille comme un territoire fonctionnant comme un tout, pendant que l’autre, convergent avec les zones urbaines fonctionnelles d’Eurostat, nous dit que, statistiquement, c’est le contraire : les deux métropoles fonctionnent côte à côte. Que faut-il en conclure ?
Alors que le zonage en aires urbaines fut largement mobilisé par l’État pour donner une base scientifique à la création politique des métropoles, il serait malvenu qu’en retour, l’existence de ces métropoles s’impose ensuite aux statisticiens pour délimiter leurs zonages d’études.
Cette interrogation est d’autant plus nécessaire que les autres grandes métropoles ne forment qu’une seule zone d’emploi, confortant ainsi l’impression que la construction de la métropole d’Aix-Marseille n’est qu’un assemblage de bric et de broc illégitime et imposé depuis Paris, sans aucune autre justification que le Bon Plaisir de l’État, également à l’oeuvre dans la fusion, tout aussi peu rationnelle, des régions.Mais ceci est une autre histoire.
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Merci pour la présentation de ces notions qui évoluent sans cesse mais qui restent des outils peu maniables pour les combiner avec ceux qui ont servi aux diverses planifications dans le cadre de la mise en œuvre du droit des sols à l’échelle communale.
Finalement, ces nouvelles bases statistiques intègrent la cartographie des déplacements aux données habituellement utilisées dans la planification urbaine. C’est probablement un besoin qui est né des regroupements afin de faciliter l’établissement et la compréhension des PLUi et des SCOT.
Les anciens rapports de présentation des POS identifiaient la Commune sur plusieurs plans : géographique, technique, culturel, historique, écologique et statistique. Ces données servaient essentiellement à programmer ou à protéger les zones d’activités qui permettaient (ou plus exactement auraient dû permettre) aux habitants de trouver de l’emploi à proximité de chez eux. Chaque commune a, pour cela, voulu créer sa zone industrielle et/ou artisanale en limitant les emprises sur les zones agricoles et les zones réservées à l’habitat (denses ou moins denses). Il fallait attirer les entreprises pour permettre à la commune de se développer.
Les transferts de populations entre Aix (et sa campagne) et Marseille (et sa banlieue) datent des années 50. L’autoroute Nord, du Val de Durance aujourd’hui, A51, a d’ailleurs été construite pour accélérer ces transferts (1966). En même temps, la viticulture, présente dans toute la campagne aixoise, a subi de profondes mutations liées à la PAC (1962). Les pertes d’exploitation ont engendré des besoins financiers importants et les communes agricoles ont commencé à créer des zones constructibles en périphérie (plus ou moins immédiate) des villages afin que les agriculteurs puissent vendre vignes ou pinèdes et réinvestissent sur des terres plus adaptées aux cultures subventionnées. Les aménagements anarchiques se sont donc développés, dénaturant les sites et créant des coûts démesurés en extension des réseaux techniques. L’Insee n’avait donc pas intégré les déplacements liés à la volonté d’une part des habitants de se séparer des zones à forte densité quitte à faire des kilomètres.
Globalement, c’est donc l’Economie qui reste le paramètre principal dans la planification urbaine et malheureusement, c’est le moins stable.
Les plans se succèdent donc avec leurs modifications ou leurs révisions en nous laissant croire qu’ils relèvent de volontés démocratiquement exprimées : pure illusion. A croire que la profusion de données sert surtout à fournir des arguments aux porteurs de projets pour permettre leur matérialisation dans un environnement à priori « hostile » que l’on s’empresse de modifier ou de réviser afin de coller à la « réalité » des besoins et le plus souvent dans une urgence qui écarte toute velléité de réflexion à long terme.
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Si je comprends bien l’article en quelques mots,Aix et Marseille sont deux zones distinctes au sens de la nouvelle méthode INSEE. Cependant il faut m’expliquer pourquoi l’autoroute Nord est saturée matin et soir dans les deux sens.Cela doit être un jeu de piste quotidien,sans doute?.
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D’une part, il n’y a pas que les déplacements locaux entre Aix-et-Marseille sur cette autoroute. D’autre part, considérer que la saturation d’une route entre deux agglo suffit pour dire qu’elles forment une entité unique fonctionnant comme un tout est une vision plutôt réductrice qui revient à limiter les projets urbains à des axes routiers et leurs habitants à des conducteurs ou des passagers de voiture.
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D’une part, il n’y a pas que les déplacements locaux entre Aix-et-Marseille sur cette autoroute. D’autre part, considérer que la saturation d’une route entre deux agglo suffit pour dire qu’elles forment une entité unique fonctionnant comme un tout est une vision plutôt réductrice qui revient à limiter les projets urbains à des axes routiers et leurs habitants à des conducteurs ou des passagers de voiture.
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