Comme à chaque élection municipale, les promesses d’une plus grande implication des citoyens dans la vie municipale se multiplient. Au-delà des discours « tarte-à-la-crème » de rigueur en pareils cas, l’enjeu est plus pressant que jamais. Sur le plan national, la défiance des citoyens envers leurs représentants ne se dément pas. Collectivement, les maires de France comptent parmi les plus mal élus de l’histoire, au terme d’élections perturbées par une crise sanitaire majeure et marquées par une abstention sans précédent. De plus, le poids croissant des intercommunalités, et leurs compétences parfois mal comprises, contribuent à éloigner encore davantage le citoyen de la décision publique. On peut prendre pour exemple la métropole Aix-Marseille, dont le premier conseil se réunit ce 9 juillet : incertaine et contestée, mais prépondérante dans les politiques publiques locales, elle fait l’objet d’un jeu complexe d’intérêts aussi bien partisans que territoriaux. In fine, le seul constat que l’on peut tirer des différentes prises des positions publiques sur le devenir de la Métropole est glaçant : les habitants n’ont pas été mentionnés une seule fois.
Pour autant, ces élections ont également été porteuses d’espoir. Marseille peut témoigner pour d’autres communes du succès de ces mouvements de citoyen·nes, qui ont réussi à porter au pouvoir un assemblage d’élu·es encarté·es et de « représentant·es de la société civile », pour reprendre le cliché. Émerge alors un double mouvement vertueux, d’élu·es promettant une inclusion accrue et d’associations et collectifs exprimant toutes leurs attentes et leur vigilance sur cette question. Même dans les communes où des listes plus « classiques » ont été portées au pouvoir, les mouvements de solidarité lancés spontanément pendant le confinement montrent que les habitant·es n’ont pas perdu l’envie d’agir collectivement, et plusieurs maires entendent capitaliser sur cette richesse.
Questionnements, attitude et engagements : la participation publique, ça se prépare
Comme à chaque fois qu’une poussée de démocratie participative saisit nos élu·es, le risque demeure le même : faire trop vite, trop mal. On se permettra, quitte à prêcher contre notre paroisse, d’y ajouter un troisième risque issu de la professionnalisation croissante de ce domaine, qui a fait naître un véritable marché de la participation : faire trop cher et trop complexe. En la matière, après des décennies de montée en puissance de l’ingénierie participative, le moment n’est-il pas venu de réhabiliter la sobriété et l’humilité dans nos réflexions ?
Nombre de municipalités se sont fracassées sur ces écueils classiques, mais l’expérience montre que la leçon n’est pas acquise : la participation du public, ça se prépare. Lancer des conseils de quartier, assemblées de citoyens ou n’importe quel autre dispositif, sans s’être demandé auparavant pour quoi faire, est une politique vouée à l’échec voire au suicide électoral. Les dispositifs participatifs sont des outils : avant de les adopter, vérifions s’ils correspondent réellement à nos objectifs. S’agit-il d’améliorer le service public rendu à la population ? De résoudre les conflits dans l’adoption de décisions difficiles ? D’encourager l’engagement bénévole et associatif ? De redonner une légitimité aux élus locaux ? De mobiliser les habitant·es pour peser auprès de l’intercommunalité ou des services de l’État ?
Sur ces questions, une réflexion ordonnée consisterait à laisser de côté les outils dans un premier temps, pour se concentrer sur un certain nombre de valeurs partagées. On peut citer par exemple l’engagement de transparence (si le public participe, la mairie doit le tenir pleinement informé des tenants et aboutissants de sa participation) ; l’engagement d’inclusion semble aussi essentiel (on ne parle pas d’une problématique sans y associer l’ensemble des publics concernés). On peut aussi constater que certains groupes sociaux participent moins que d’autres, et le cas échéant s’engager à un effort particulier en leur direction.
Ces critères sont là pour nous rappeler, élus comme agents comme professionnels de la participation, que l’attitude participative précède les dispositifs. Avant de monter des dispositifs de concertation complexes, un premier pas réside dans des actions aussi basiques que l’adaptation des discours ou une inflexion de ton des bulletins municipaux. La parole municipale gagnerait à ne plus raconter « ce que la mairie fait pour vous », mais « ce que nous faisons ensemble ». Le confinement, pendant lequel les municipalités ont souvent soutenu et relayé les initiatives des citoyen·nes, a justement posé les bases d’une telle attitude.
Passer du « Que faire pour vous » au « Que faisons-nous ensemble ? »
On soulignera ici que le « que faisons-nous ensemble » ne va pas de soi même pour les élu·es les mieux intentionné·es. Reprenons l’exemple du Printemps Marseillais : son élection a ainsi provoqué quelques tribunes de la part des collectifs de citoyen·es marseillais, rappelant la nécessité de ne pas confier l’action publique à la seule compétence des élu·es. Cette distinction élus/citoyens a d’ailleurs occasionné quelques frictions durant la campagne, face à un rassemblement accusé de faire la part trop belle aux représentant·es des partis. La constitution d’une assemblée municipale citoyenne a par exemple été réclamée. D’un côté comme de l’autre, on appellera chacun et chacune à ne pas se mettre des œillères : le véritable clivage ne concerne pas des mouvements de citoyen·nes et les représentant·es élu·es, qui dans une large mesure partagent les mêmes valeurs. Si fossé il y a, il sépare surtout ces militant·es de l’immense masse des abstentionnistes, dont au passage une partie ne partage sans doute pas les mêmes convictions progressistes. Des dispositifs participatifs qui n’incluraient que ces citoyen·nes engagé·es, en omettant les « Monsieur-et-Madame-tout-le-monde » ainsi que les associations de « l’ancien monde », seraient sans doute moralement confortables mais passeraient à côté de l’objectif.
Pour l’avoir vécu, par ailleurs, le passage de l’opposition au pouvoir peut également être source de fractures. Pour répéter les mots d’une représentante associative de l’époque à un élu municipal : « on n’a plus besoin que vous passiez du temps avec nous pour nous aider à prendre la parole, on demande que vous dépensiez cette énergie pour résoudre nos problèmes ». L’occasion de rappeler que la participation s’inscrit dans une économie, où non seulement les ressources publiques sont rares et très sollicitées, mais aussi le temps que le citoyen est prêt à consacrer à la vie publique. Trop souvent le découragement vient de ce que la participation est vécue comme des palabres difficilement suivis d’action. La question « que faisons-nous ensemble ? » permet de rappeler que l’essentiel reste d’agir : la participation n’est qu’une attitude, permettant à cette action d’être la plus juste et la plus efficace possible.
À noter enfin que même des dispositifs équilibrés et performants, basés par exemple sur le tirage au sort, risquent tout autant de créer des « bulles » de participation dans une société civile toujours aussi indifférente voire hostile. Ces dispositifs conservent certes toute leur pertinence, mais à la condition qu’ils soient adaptés aux enjeux et inclus dans « l’attitude participative » générale des élus : rien ne serait pire que de mobiliser une forte somme d’argent public dans un « coup », pendant que d’autres habitant·es sont ignorées sur des sujets qui leur tiennent à cœur. En l’espèce, le politique ne saurait pas davantage se décharger de ses responsabilités sur des intervenants extérieurs, aussi experts soient-ils : la concertation catastrophique du quartier marseillais de La Plaine en offre un exemple extrême.
Ouvrir la décision renforce la position du maire
Ces enjeux étant posés, par où débuter ? Par l’attitude, justement, et en premier lieu celle de la personne du maire. La période de crise sanitaire et économique peut l’instituer comme celui ou celle qui, à l’échelle de la commune, représente la personne qui rassemble, qui écoute et qui prend ses responsabilités. Le maire est celui ou celle qui pose cette fameuse question « que faisons-nous ensemble », qui écoute et fait vivre le débat, et qui arbitre. Toute sa communication découle de ce positionnement. Il ou elle veille à ce que cette attitude imprègne le service public local, tout en étant attentif·ve à ce que cela implique pour les agents : l’engagement « aucune discussion sans associer toutes les personnes concernées » exigent que ceux-ci soient également écouté·es. S’il lui est demandé de s’engager sur les valeurs de la participation, c’est finalement moins une contrainte qu’un garde-fou : ces valeurs évitent qu’une politique participative mal construite n’aboutisse à fédérer les citoyen·es mécontent·es contre les décideurs, comme cela se produit trop souvent.
De cette attitude découlent les divers canaux qui favorisent la communication entre les citoyen·es et leurs représentant·es, sans que ceux-ci n’aboutissent dans un premier temps à des machineries forcément très complexes : stands sur les marchés, espaces sur le site web de la ville, sessions menées auprès de publics spécifiques (par le secteur jeunesse, le CCAS, etc.), plates-formes de mise en relation entre associations et bénévoles, voire les bons vieux cahiers de doléances… tout reste possible sans grands frais pour établir un dialogue, l’essentiel résidant plutôt dans la réponse qui est apportée. Écouter le citoyen, c’est en effet lui permettre d’entendre en retour que son voisin n’est pas forcément d’accord avec lui, et que prendre une décision publique s’avère souvent bien plus complexe qu’il n’y paraît. Finalement, mettre en commun les différentes informations et les différentes remontées du terrain avant de décider, cela n’a rien de révolutionnaire pour un·e maire : la nouveauté qu’apporte la participation, c’est d’en rendre compte de manière exhaustive et transparente, et de le partager avec les citoyen·nes avant que la décision ne soit actée.
Nombre d’élu·es craignent que la participation ne réduise leur marge décisionnelle voire ne mettent en péril leur réélection, mais c’est tout l’inverse : lorsque la participation conduit des citoyens à s’opposer unanimement au maire, c’est qu’elle n’a pas été correctement conduite. Si l’information est pleinement partagée avec toutes les personnes concernées, il n’y a aucune raison pour que les citoyen·nes constituent un front uni contre leur maire. Sa responsabilité de décider au nom de la collectivité ne peut que s’en trouver renforcée. On pourrait résumer ainsi ce conseil aux élus locaux : personne ne vous oblige à mettre en place la participation du public mais si vous le voulez, alors dans votre intérêt faites-le bien.
Établir une politique participative souple, c’est aussi tout simplement se baser sur ce qui existe. L’association de quartier composée de retraités a beau ennuyer tous les maires depuis 50 ans avec des crottes de chiens et des pots de fleurs, elle n’en demeure pas moins légitime : le tout est de rappeler qu’elle n’a pas, comme toute autre organisation d’ailleurs, le monopole de la parole des citoyens. Chaque acteur s’inclut ainsi dans une attitude participative plus vaste. Nul besoin de chercher l’homogénéité : repérons les lieux où les citoyens se rencontrent et dialoguent, peu importe s’ils sont disparates géographiquement ou socialement, quitte à davantage porter l’effort public sur les lieux où la participation est moins intense. De manière générale, l’attitude participative pourrait consister à dire que tout ce qui permet la discussion et l’ouverture est bon à prendre : or on voit trop souvent des collectifs ignorés ou délégitimés parce qu’ils n’ont pas investi le « bon » espace ou le “bon” moment de participation. Mais l’on ne force pas le citoyen à entrer dans les boîtes que l’on a conçues pour lui, au contraire : on se base sur ses attentes et ses pratiques pour concevoir les outils, pour peu que les règles et valeurs communes soient respectées.
Enfin, bien sûr, des dispositifs participatifs peuvent être mobilisés en fonction de la problématique à traiter, de son ampleur, de son caractère technique ou de son niveau de conflictualité… ainsi que du budget qu’il est opportun d’y consacrer. Cela peut passer par de grandes concertations publiques, des ateliers de citoyens, etc. Pour le coup, les professionnels de la participation disposent d’une boîte à outils assez diversifiée. Il existe également ces fameuses instances permanentes (conseils de quartiers, conseils des jeunes ou des sages, etc.) : l’auteur de ces lignes reste assez réservé à leur propos, compte tenu de l’énergie qu’ils demandent pour un résultat modeste et des effets parfois pervers (frustrations réciproques, reproduction des notabilités existantes, exclusion des autres modes de parole publique, etc.). À tout prendre, si une seule commission permanente devait être mise en place, nous suggèrerions une sorte d’hybride entre une commission locale de débat public et un médiateur/défenseur des droits : associant élus de la majorité et de l’opposition, représentants du personnel et citoyens, sa tâche serait alors de faciliter la participation publique et veiller au respect de ses valeurs.
En résumé, si l’on ne peut qu’encourager les maires à s’engager pleinement dans la vague participative qui émerge, ceux-ci auront intérêt à ne pas se précipiter. Plus que par des dispositifs proclamés haut et fort, c’est d’abord par une attitude puis par des actions adaptées que les élu·es réussiront, pas à pas, à faire vivre la citoyenneté dans leur commune. Une mairie qui demande, qui écoute et qui répond, qui n’oublie personne, qui rend compte de ses décisions en toute transparence, c’est peut-être là ce qu’attendent surtout les citoyen·nes avant d’envisager des assemblées participatives plus ou moins complexes et coûteuses.
Certes, en premier il faut savoir ce que l’on veut faire et on veut aller !
Quasiment tout l’échiquier politique à déplorer le niveau record d’abstention … sans proposer de solution concrète, pragmatique et rapide !
Les outils permettant de tenter d’associer les habitants d’un territoire au-delà des militants qu’ils soient associatifs, politiques, syndicaux, ou religieux sont effectivement sur « le marché ».
J’ai une préférence pour le tirage au sort associé à un objectif thématique bien pensé.
Le « temps » est un élément fondamental : prendre le temps de pouvoir s’approprier des données factuelles, prendre le temps d’écouter des échanges contradictoires, prendre le temps ensuite de débattre entre personnes tirées au sort et réellement représentatives de la population d’un territoire, c’est ce que ne peuvent plus faire nos élus qui ont épuisé leurs temps de cerveau disponibles dans la lutte pour le pouvoir, puis dans la lutte pour s’y maintenir, avec à Marseille tout les accotés puants des comportements quasi mafieux. C’est aussi le contraire des campagnes électorales « modernes » où le débat contradictoire est devenu rarissime …
Les techniques et procédures permettant de « redresser » les biais d’acceptations plus faciles des classes éduquées ou seniors qui acceptent le tirage au sort existent et sont performantes.
Ce qui important c’est de choisir un thème qui concerne la population dans son quotidien et que les postures (ou intérêts) des élus ont rendu impossible à faire avancer concrètement. À Marseille, les sujets ne manquent pas ! Propreté, incivilité, déplacement, pollution, notamment des navires …
J’ai proposé le thème des incivilités du quotidien, car à Marseille, tout le monde est touché, car c’est un sujet complexe, où les postures idéologiques renforcent les obstacles permettant de cheminer vers des solutions, car en fait, il permet de faire réfléchir en même temps sur les questions de transport, de sécurité, de propreté, etc …
La convention citoyenne sur le climat des 150 tirés au sort aura coûté 5 millions d’euros ! À L’échelle de la France, c’est totalement négligeable. Une convention citoyenne thématique à Marseille coûterait sûrement moins cher, mais même à 5 millions d’euros, s’il émerge des solutions durables et mises en œuvre, cela serait pas cher payé !
Rappelons que la masse salariale des agents de la Ville est de plus de 500 millions par an, et que Monsieur G a payé 600 000 euros pour quelques coups de peinture en jaune sur la route pour quelques kilomètres de pistes cyclables provisoires !
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Déjà, il faudrait que notre administration contraigne la mafia qui nous entoure à respecter les règles qui existent en terme de participation citoyenne… https://marsactu.fr/agora/un-ascenseur-pour-nos-impots-un-echafaud-pour-les-services-epilogue/
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