Le chantier de la Corderie et les fouilles (suite)

LA CORDERIE DU PRINCE

Billet de blog
le 8 Oct 2017
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Ce qui a fini par devenir une sorte de feuilleton, l’affaire des travaux de la Corderie, continue. Rappelons-nous : avant l’été, l’entreprise Vinci engage des travaux au coin de la rue d’Endoume et du boulevard de la Corderie, dans le 7ème, pour y construire un immeuble. Les fouilles archéologiques, devenues obligatoires avant le début d’un chantier, révèlent la présence, à cet emplacement, d’une carrière antique, et, après ces études archéologiques, il n’est décidé de ne classer qu’environ 600 m2, c’est-à-dire un peu moins de la moitié du site archéologique.

La dénégation de l’histoire

 

Cela a été dit, répété, ici même : la décision de construire un immeuble à cet emplacement est une dénégation de l’histoire, un refus de la reconnaître, et, au-delà, par conséquent, de reconnaître une partie de ce qui fonde l’identité de Marseille. En écrivant qu’il y a, sur le site, « trace d’extraction de blocs, de sarcophages, d’éléments de colonnes », comme le rappelle J.-N. Beverini, dans « Change », le 5 août, l’étude, en principe préventive, des archéologues a montré que le site renfermait peut-être des colonnes grecques, situées, elles, hors du périmètre classé, qui faisant peut-être partie d’un temple, d’un monument, lui-même porteur d’enseignements sur la culture grecque. C’est tout cela que les travaux immobiliers vont empêcher de connaître, de découvrir, de savoir. C’est en ce sens qu’en autorisant la poursuite du chantier, l’État refuse un peu plus de reconnaître l’importance de l’histoire de notre pays et de sa culture.

 

L’immobilier contre la culture

 

Car c’est ici que se situe la signification pleinement politique du chantier de la Corderie et du débat qui s’est engagé autour de lui : il s’agit de la confrontation entre la culture et le marché, qui, cette fois, prend la forme de la confrontation entre l’immobilier et la culture. Les constructions immobilières ont déjà ravagé les paysages, à Marseille, mais pas seulement : dans toutes les villes de notre pays et, sans doute, du monde entier, révélant, ainsi, l’emprise du marché sur notre espace, la soumission au marché de l’espace de notre habitation, de notre mémoire, de l’esthétique de notre environnement. Finalement, le débat su les vestiges de la Corderie n’est qu’une illustration de plus de l’emprise libérale du marché sur notre société, qui semble désormais toute entière à vendre.

 

Le fait du prince

 

Mais ce débat révèle autre chose, peut-être une question plus institutionnelle et plus pleinement politique. Au détour du débat, le président de la République avait annoncé (c’était dans Marsactu le 25 septembre) avait annoncé « qu’il allait s’occuper » de cette question. C’était une façon à la fois de faire savoir que le président de la République s’occupait de tout, avait un regard sur tout, et de manifester une relation de dépendance de la ministre de la Culture, F. Nyssen, à l’égard du chef de l’État. Et, de fait, ce n’est qu’après que la ministre  a annoncé, le 7 octobre dernier, à la Préfecture, lors d’un déplacement à Marseille, qu’il était décide de ne toujours classer que les 600 m2 du site protégés depuis le début, manière à la fois de dire à ses interlocuteurs que l’État persistait dans sa décision et de manifester sa soumission aux impératifs du marché de l’immobilier. Mais, au-delà, c’est après l’intervention du président que cette décision est annoncée par la ministre, qui joue le rôle du messager, dans cette affaire. Le chantier de la Corderie montre bien, dans ces conditions, la signification politique des logiques du pouvoir engagées par M. Macron : la soumission des acteurs politiques au libéralisme et au marché, et le pouvoir absolu : le fait du prince. On va finir par regretter Lois XIV : au moins, quand il exerçait son pouvoir absolu, c’était aussi en imposant l’autorité du pouvoir politique sur le marché. À moins que le chantier de la Corderie ne nous aide à mieux comprendre les significations de l’histoire : sans doute, après tout, les pouvoirs absolus étaient-ils, eux aussi, soumis au marché : le rôle que Louis XIV avait donné à Colbert était justement d’assurer l’emprise du marché sur le pouvoir, comme on a pu le voir avec sa position sur l’esclavage manifestée par le « Code noir » : celui-ci fut préparé par Colbert, et publié en 1685, l’année de la révocation de l’édit de Nantes. De la même façon, aujourd’hui aussi, le rôle du chef de l’État et de sa ministre de la Culture est, aujourd’hui aussi, de livrer l’espace public à l’emprise du marché.

Toujours est-il que, dans tout le débat sur les fouilles de la Corderie et sur le chantier, on a pu remarquer un silence assourdissant : celui de la Ville. Souvenons-nous de ce silence pour mieux comprendre les logiques de la politique à Marseille.

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