Dimanche 1er août 2021

La conquête, la moisson et la cueillette

Billet de blog
le 2 Août 2021
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Il y a diverses façons de gagner un titre olympique, tout en s’aidant des circonstances ou en les provoquant soi-même. Elles se sont manifestées au beau milieu de la quinzaine olympique.  

Le temps était parfois pluvieux sur Tokyo, en ce dimanche gris et quelques éclairs se sont même manifestés. Il faut dire que la journée était placée sous le signe de la vitesse, avec le 50 m dans la piscine et le 100 m dans le stade.

Le successeur d’Usain Bolt, empereur jamaïcain de la vitesse pendant une décennie, est surgi de nulle part. Lamont Marcell Jakobs était-il déjà connu des autres membres de la délégation italienne ? Né aux Etats-Unis d’un soldat américain, vite disparu de la vie familiale, et d’une jeune mère italienne vite revenue dans son pays, ce gaillard de 26 ans a hésité entre plusieurs sports. Il a tâté un moment du saut en longueur avant de se consacrer au sprint pur.

A Tokyo, Jakobs a profité des circonstances, avec l’élimination en demi-finale du favori américain de l’épreuve Trayvon Bromell, puis du faux-départ du Britannique Zharnel Hugues, enfin du raté à l’allumage de l’explosif Chinois Bingtian Su.

Mais l’Italien n’a pas volé sa victoire, améliorant deux reprises son record personnel (9 s 80), pour en faire le nouveau record d’Europe. Ce dernier était détenu jusqu’aux JO par le Français Jimmy Vicaut, qui a traversé l’épreuve à Tokyo comme un fantôme. L’apparition surprenante d’un champion olympique européen provoque un scepticisme assez général quant à la longueur de sa carrière et l’étendue de son pouvoir. Le passé a rendu tout le monde prudent.

Mais l’exubérance  italienne dans les manifestations de joie laissera un souvenir durable. Le premier à féliciter Jakobs, apparemment pas surpris par sa réussite, était Gianmarco Tamberi, lui aussi devenu un inattendu champion olympique. Tamberi, ressorti de l’ombre après une longue blessure, a partagé la première marche du podium du saut en hauteur avec le chevronné qatari Mutaz Essa Barshim, pour sa part deux fois médaillé olympique et double champion du monde.

Ils étaient trois à avoir franchi 2,37 m et échoué à 2,39 m avec le Biélorusse Maksim Nedasekau, d’ores et déjà battu au nombre des essais. Tamberi et Barshim ont alors refusé de participer à un barrage. Ils ont choisi de partager le titre olympique qui leur tendait les bras, et qu’ils n’étaient pas du tout certains de pouvoir convoiter une autre fois. Cette rapide conférence au sommet leur garantit une place dans l’histoire de l’athlétisme.

Le Biélorusse médaillé de bronze n’aura pas l’occasion de jouir tranquillement de sa réussite. Les dirigeants de sa délégation ont voulu contraindre une de leurs sprinteuses à participer de manière improvisée au relais 4 X 400 m, pour masquer l’absence douteuse d’une autre compatriote.

Krystsina Tsimanouskaya s’est insurgée contre cette décision sur les réseaux sociaux. Cela n’a pas plu à ses dirigeants qui ont voulu la faire rapatrier dare-dare dans leur pays. Cela se passe comme cela dans la Biélorussie de Loukachenko. La sprinteuse a provoqué un beau scandale en refusant ce rapatriement express et inquiétant. Elle a réclamé la protection de la police japonaise et va sans doute demander un asile politique.

En chérissant les basses manœuvres en coulisse, les dictateurs ne comprennent rien au monde qui les entoure, encore moins à l’influence des réseaux sociaux qui sont les seuls espaces de liberté pour leurs populations opprimées. L’hyper-médiatisation des JO n’a pas que des avantages pour la construction d’une façade trompeuse.

Il y a donc des médailles gagnées en conquistador. D’autres le sont en moissonnant les terrains labourés depuis des siècles, comme l’ont fait les Français, champions olympiques du fleuret par équipes, qui ont obtenu la 5e médaille de leur discipline à Tokyo, et le 5e titre de la délégation à Tokyo.

Le fleuret est l’arme de prédilection des Tricolores, la plus noble car la plus ancienne à révéler des champions olympiques. A Tokyo, les Français ont eu plus de mal à dominer les Japonais qu’ils connaissent à peine, qu’à punir en finale les Russes qu’ils connaissent depuis toujours.

L’escrime est le sport qui a apporté le plus grand nombre de médailles à la France, devant le cyclisme, suivi par le judo, l’équitation et la voile. D’ailleurs, les deux dernières disciplines n’ont pas encore bouclé leur bilan japonais. L’athlétisme n’est plus dans l’allure, et le cyclisme ne semble pas au mieux, ce que les pistards sauront peut-être contredire cette semaine.

Ces terrains privilégiés entretiennent une organisation, une formation et un savoir-faire qu’il faut conserver précieusement tout en évitant de les laisser se scléroser. Les aventures individuelles permettent de vivre sa préparation librement, et de mieux profiter de l’exposition médiatique. Mais cela ne dure qu’un instant et les échecs sont généralement au terme des itinéraires isolés.

Il est pourtant un contre-exemple : celui de Florent Manaudou. A 30 ans, ce nageur reste doté d’un talent exceptionnel, qui lui permet de limiter les contraintes du travail, et de profiter de la vie à l’extérieur des piscines. Il cueille les médailles sans avoir jamais risqué le surentraînement. Il aurait pu sans doute devenir une star immense du sprint mondial, accumuler les médailles sur 50 m, 100 m, en relais. Il a choisi d’entretenir sur la durée le culte exclusif du sprint court, où son talent brut s’exprime le mieux, et où le travail acharné des concurrents moins doués ne paye pas toujours.

A Tokyo, il est resté à une bonne demi-seconde de l’ogre Caleb Dressel, un écart énorme sur cette distance, et n’a devancé que deux centièmes le Brésilien Bruno Fratus (31 ans), et de cinq le jeune Américain Michael Andrew (22 ans). Cet argent bien géré, et, somme toute bien mérité, a visiblement fait son bonheur.

Après l’or obtenu à Londres en garnement surprenant, il avait été privé pour un centième de seconde d’un nouveau titre à Rio par l’Américain Anthony Ervin (35 ans alors), antique champion olympique de la distance revenu d’une première retraite passablement chaotique. L’exemple d’Ervin semble avoir inspiré Manaudou, après qu’il s’est rapproché de son vainqueur de 2016. A sa façon, il peut aussi envisager un retour au somment de la discipline à Paris en 2024, quand il sera âgé de 33 ans.

En choisissant pendant deux ans de se changer les idées par la pratique du handball et en refusant de disperser son énergie dans les bassins, Manaudou a joué avec le feu, ce qui est inhabituel en natation. Avec sa nouvelle médaille d’argent, il remodèle son image et il est désormais en passe de monter sur les podiums du 50 m lors de quatre JO consécutifs, exploit rarissime et inédit chez les nageurs français.

VIGNETTES

¤ La Colombienne Yulimar Rojas s’est imposée dans une splendide finale du triple saut, battant à son dernier essai le record du monde avec 15m67.

¤ Les volleyeurs français ont mis en sourdine les sarcasmes qui les accompagnent : ils ont perdu (2-3) face au Brésil, mais se sont qualifiés par la peau des dents pour les quarts de finale où ils affronteront un autre favori, la Pologne.

¤ Pour la troisième fois à Tokyo, et la énième dans l’histoire de la discipline, un boxeur français a été victime d’une décision d’arbitrage contestable : Mourad Aliev (plus de 91 kg) a été disqualifié pour coups de tête, dont il ne semblait pas le seul auteur. Le Comité olympique français va faire appel auprès du Tribunal arbitral du sport. Ce qui ne rendra pas au boxeur sa chance d’obtenir une médaille, la dernière de la délégation française qui en avait ramené six de Rio. Ce sport est injuste, c’est une raison supplémentaire de soutenir ses magnifiques pratiquants quand ils sont dans la peine.

¤ La finale du tournoi féminin de badminton opposait une Chinoise, Yu Fei Chen, à une représentante de Taïwan, Tzu Ying Taï, qui s’est finalement inclinée. Une autre Chinoise, Bing Jiao He, a été battue par une Indienne, Shindu Venkata Pursala, pour la médaille de bronze. Aucun incident diplomatique n’a été pour l’instant signalé à ce propos.

¤ L’Allemand Alexander Zverev (24 ans) s’adjuge le tournoi de tennis après sa victoire contre le Russe Karen Khachanov. Alors qu’il avait déjà remporté le Masters et disputé une finale de l’US Open, il a manifesté une joie irradiante d’avoir accompli son rêve, et affirmé une vénération pour la compétition olympique, loin d’être partagée par tous les meilleurs joueurs. On se souvient que sa première médaille d’or a lancé la belle carrière du Britannique Andy Murray.

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