Journal de confinement. Semaine#4
Il est encore trop tôt pour savoir s’il est trop tard
Il est encore trop tôt pour savoir s’il est trop tard
Samedi 4 avril. 16 heures. Première sortie avec masque cousu main, le canard, d’après tuto labellisé Afnor s’il vous plaît. Je ne sais pas si cette barrière protège bien les autres de mes gouttelettes mais en ce qui concerne la distanciation, “ça fait la job”, comme disent les amis de la Belle Province. il me semble que l’on m’évite. Parfait. Comment qu’elle est !
Dimanche 5 avril. 14 heures. Rabbi Jacob est diffusé sur la chaîne nationale. Rien ne nous aura été épargné. Je devrais rire, je farfouille sur le net et découvre ce fait divers : “Pour protester contre la sortie des “Aventures de Rabbi Jacob” au cinéma, Danielle Cravenne, la femme de George Cravenne qui assure la promotion du film, détourne, le 18 octobre 1973, le vol Paris-Nice d’un Boeing 727-228. Elle mourra des suites de ses blessures, après l’intervention du GIGN sur le tarmac de l’aéroport de Marseille.” J’ai encore plombé l’ambiance. Garces de femmes !
Je découvre la “cover” de chansons, enfin je ne découvre pas vraiment la “reprise” mais j’apprends que cela s’appelle maintenant un(e) “cover”, on en apprend tous les jours vous me direz, Vous pigez ? Un homme, certainement de grande qualité, vient de détourner Tata Yoyo d’Annie Cordy façon psychédélique. La chanson ne me quitte pas. Jusqu’à la gauche. Ni le procédé. Me voici en train de rivaliser. Je passe l’après-midi à chanter, façon protest song, Rosalie de Carlos –avec auto-tune téléchargé sur le téléphone. L’ado me donne quelques boucles d’un son qu’il a conçu avec fierté et dédain, c’est un ado tout de même. Non. Bien. On progresse…
Lundi 6 avril. 18 heures. Journée couture, ménage, lavage, cuisine et repassage : il aura fallu un confinement pour en arriver là. Les femmes s’en balancent ! C’est à pleurer. Je découpe les tote bags promotionnels, une pollution en coton bio, sérieusement, mais quel échec, et couds mon deuxième masque-barrière, modèle multiplis de la collection masques printemps-été 2020 —toujours d’après patron labellisé Afnor. Non, je préfère le canard, on étouffe sous celui-là. Je prépare un Carrot Cake, il faut vraiment écouler le stock de carottes. Je fais les fonds de tiroir : du soja à la place des œufs, du sucre de canne à la place de la vergeoise, un glaçage coco et du muesli à la place du mélange noisettes-raisins, un Micmac maison, ça fera bien la blague, je ne vais pas courir Marseille pour trouver des raisins secs. C’est bon. C’est sucré. Bien trop sucré, il faut le reconnaître mais voilà exactement de quoi remonter le moral des troupes. L’ado est content. L’homme grossit à vue d’œil. Je ris. Tout le monde se couche de bonne humeur.
Mardi 7 avril. 8 heures. Il faut que je rende quelques lignes à un client. Ce soir. Je m’y mets au dernier moment, évidemment. La journée file presque autant que la soirée. Une journée de passée, En balançoire.
Mercredi 8 avril. Les mots de Pierre Dac. “Il est encore trop tôt pour savoir s’il est trop tard.”
Jeudi 9 avril. 14 heures. Entreposer son cercueil à Rungis coûte donc 150 euros de frais d’admission, 35 euros la journée supplémentaire et 50 euros le recueillement, La mort et l’ange. La mort est un business. Comme un autre. je crois de moins en moins aux lendemains qui chantent. Déjà que je n’étais pas convaincue, convaincue…
Vendredi 10 avril. 17 heures. En fait il n’y pas d’histoire de confinement, ni de feuilletons, ni de journal. Il n’y a que la répétition de jours absolument mornes. Un Passage à tabac. Sans désir particulier : j’ai lu que le stress engendré ne permettait pas de s’adonner aux loisirs qu’on projetait de faire, tout s’explique.
L’issue est plus qu’incertaine et je doute qu’elle soit joyeuse. Les morgues sont pleines, les cercueils manquent. Les croque-morts se régalent. Comme les actionnaires des entreprises de gestion de maisons de retraite médicalisées. Une “entreprise de gestion de maison de retraite”… Certains préfèrent poster des images de mer apaisée, de dauphins et de baleines montrant leur dos dans les vagues argentées du Parc national des Calanques. Ou poster des objets orange à la queue leu-leu dans leur fil de publications Facebook.
Je préfère encore une sourde déprime à cette distorsion cognitive, les journées passent plus vite : se coucher relativement tôt, se réveiller au milieu de la nuit, regarder des épisodes de séries. Se rendormir, faire une pause méridienne, suivre le navet ORTF d’une oreille. Imprimer son attestation, sortir une demi-heure faire quelques courses indispensables : du café, un soda pour l’ado, un saucisson, une boisson alcoolisée. Les apéros commencent de plus en plus tôt, je me bats avec l’homme pour attendre 19 heures avant de s’offrir un verre de n’importe quelle piquette –note à soi-même : acheter une caisse de vin chez un producteur pour boire au moins avec dignité. C’est dans Vampires de Jonquet : “Quantité ne rime pas forcément avec qualité. À tout bien considérer, mieux vaut un cru économe, gorgé de saveurs, riche en arômes, qu’une piquette généreuse mais qui au final râpe le gosier et lasse les papilles du connaisseur.” Faire sa compta, remplir le formulaire pour toucher les 1500 euros promis par l’État. Ce n’est pas un confinement mais un roman noir. Douze chinetoques et une souris. Un grand cru !
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