Intox et Covid-19 : faire face à la vague de désinformation

Billet de blog
par Le Sonar
le 18 Déc 2020
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Cette année, marquée par la pandémie de coronavirus, a été accompagnée d’un lot de fausses informations à ce sujet. Des intox tenaces qui circulent rapidement et qui représentent parfois une menace.

Des personnes font la queue devant l’institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection à Marseille. Photo Gérard Julien/AFP.

 

Détourner des images, faire un autre récit d’une actualité, utiliser des chiffres sans leur contexte… Le phénomène de la désinformation n’est pas nouveau. « Le virus causant le Covid-19 est une arme biologique créée par l’Homme », « la technologie cellulaire 5G est liée à la pandémie de coronavirus », « l’ail peut guérir le Covid-19 »… Depuis le début de la crise sanitaire, les fausses informations inondent les réseaux sociaux.

« Le fait que ce [l’épidémie de Covid-19 ndlr] soit un terreau très fertile pour ces fausses informations, c’est tout sauf une surprise, avance Jonathan Parienté, chef du service Les Décodeurs du journal Le Monde. À partir du moment où on a entendu parler de l’épidémie en Chine, les fausses informations ont commencé à apparaître de manière très massive avant même qu’on soit touché par la maladie, le confinement… »

Dès le mois de février, l’Union régionale des médecins libéraux de Provence-Alpes-Côte d’Azur (URPS-ML Paca) appelait à la vigilance face à la désinformation et aux rumeurs qui se propageaient autour du Covid-19. « D’une part parce que les intox pourraient engendrer une forme de psychose parmi nos concitoyens, et d’autre part parce que certains faux remèdes pourraient même s’avérer dangereux pour la santé », déclarait Laurent Saccomano, médecin vasculaire et président de l’URPS-ML Paca.

« Se désinfecter les mains avec de l’urine d’enfant pourrait éliminer les risques de contamination »

L’URPS est immédiatement revenue sur les fausses informations les plus répandues en matière de santé en février. « Les décoctions à base de plantes (thé, fenouil, ail, etc) ou d’huiles végétales permettent de guérir le coronavirus », c’est faux. Aucun remède au Covid-19 n’a été identifié à ce jour. « Se désinfecter les mains avec de l’urine d’enfant élimine les risques de contamination », évidemment c’est faux. L’URPS indique que l’urine ne tue aucun virus et porte même des quantités de substances virales ou bactériennes.

Mais ce qui est intéressant ici est la crédibilité donnée aux intox. Parmi elles, une en particulier inspire des théories parfois complotistes : le SARS-CoV-2 aurait été créé dans un laboratoire. Selon une étude de l’Ifop réalisée pour la Fondation Jean-Jaurès et l’Observatoire du conspirationnisme Conspiracy Watch, plus d’un quart des Français pensent que le coronavirus a été fabriqué en laboratoire. Pour 57 % des Français, le virus est apparu de manière naturelle mais 17 % d’entre eux estiment qu’il a été développé « intentionnellement » dans un laboratoire et 9 % qu’il a été fabriqué « accidentellement. »

Jonathan Parienté compare parfois son travail de fact-checking au fait de « vider l’océan à la petite cuillère », sans pour autant juger son travail inutile, bien au contraire. Mais vérifier une information partagée sur les réseaux sociaux ou par le bouche-à-oreille s’avère parfois difficile. Surtout que les fact-checkeurs se retrouvent à armes inégales face aux créateurs des intox. « Par définition, on est toujours dans la réaction, on ne va pas parler des fausses informations avant qu’elles soient diffusées… On ne peut pas les anticiper », explique le chef des Décodeurs.

Pour comprendre comment le complotisme prend de l’ampleur, on peut se pencher sur une autre enquête réalisée par l’Ifop. Elle indique que les personnes qui s’informent grâce à Internet sont plus sensibles aux théories complotistes.

Sondage Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et ConspiracyWatch

Sondage Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et ConspiracyWatch

Cette enquête nous apprend aussi que les moins de 35 ans, les moins diplômés et les catégories sociales les plus défavorisées demeurent les plus influençables aux théories du complot : 28 % des 18-34 ans adhèrent à cinq théories ou plus, contre seulement 9 % des 65 ans et plus. À l’inverse, la confiance dans les médias ne cesse de s’affaiblir. La France est à l’avant-dernière place du classement Reuters Institute sur les quarante pays couverts par l’étude avec seulement 24 % de confiance accordée aux médias.

« Un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse »

Les théories les plus farfelues circulent sur les réseaux sociaux. Parfois reprises par des personnalités influentes, elles finissent par convaincre les moins crédules. Amine, médecin à l’hôpital de la Timone à Marseille a un nouveau credo, celui de lutter contre les fausses informations sur le Covid-19 à travers son compte Instagram « Et ça se dit médecin ». « J’essaye de manière argumentée et scientifique de démonter les fausses idées pour que les gens puissent prendre soin de leur santé, détaille-t-il. Cela peut être dangereux pour eux de croire des bêtises. » Suivi par 78 000 personnes, il reçoit aujourd’hui 200 à 300 questions d’internautes en rapport avec l’épidémie.

Une publication d’Amine sur son compte Instagram « Et ça se dit médecin »

Amine est confronté aux fausses informations chaque jour à l’hôpital et pour en discuter avec ses patients, il préfère user de pédagogie. « Je ne vais pas dire aux gens qu’il faut porter le masque (…) j’essaye de leur expliquer pourquoi il faut le porter, comment et quand », certifie-t-il.

Mais l’apparition d’autant d’intox sur le Covid-19 ne l’étonne pas. « J’ai l’habitude de dire qu’un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse », ironise-t-il. Il ne faut pas oublier que 9 % de la population française croit que la Terre est plate. »

Pourquoi certaines personnes croient-elles aux fausses informations ? Pour Amine, c’est assez simple. « Il y a une défiance vis-à-vis des médias, de la politique et de la science… Et je pense que c’est ce dernier point qui est le plus dangereux. »

Erreurs de communication et incertitudes

Les revirements du gouvernement que ce soit sur l’efficacité du confinement, du port du masque, ou même de certains médicaments, ont ouvert la porte à des détournements. Il en est de même pour la mauvaise utilisation, volontaire ou involontaire, des données sur le Covid-19. Guillaume Rozier est le créateur de CovidTracker, un site Internet qui permet de visualiser toutes les données disponibles liées à la pandémie en les remettant en perspective.

Il raconte volontiers l’histoire d’un journaliste publiant sur son propre compte Twitter le chiffre brut du nombre de décès un lundi sans son contexte. « Il dit [le journaliste ndlr] que ça augmente par rapport à la veille alors qu’on est en pleine décrue (…) les données sont forcément plus faibles le week-end car il y a moins d’employés pour faire remonter les données et le lundi, il y a un gros rattrapage, dissèque le jeune homme. Ce qu’il a écrit n’est pas faux mais sans le contexte c’est une information trompeuse. » Les médias font parfois une interprétation trompeuse des statistiques journalières, d’après lui.

À 24 ans, il n’avait au départ pas plus d’ambition que celle de comprendre l’épidémie de coronavirus. Aujourd’hui, son site est vu par 100 000 personnes par jour et la fréquentation peut parfois grimper à 250 000 visiteurs dans la journée. « Il y a une demande des citoyens de s’informer, de visualiser ces chiffres », souligne Guillaume Rozier.

Et face au succès retentissant qu’a connu le documentaire Hold Up, réalisé par Pierre Barnérias, le travail des fact-checkeurs comme les publications de Guillaume Rozier et d’Amine deviennent d’utilité publique.

Laura Laplaud

Commentaires

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  1. Jacques89 Jacques89

    Joli tableau ! Il aurait peut-être fallu insister d’avantage sur les causes de ces dérives.
    La présence tout à fait anormale des médecins dans les médias par exemple. S’ils avaient la connaissance que nous sommes sensés leur accorder sur ce virus, cela paraîtrait « normal ». Il se trouve qu’ils n’en savent pas plus sur son évolution que ce que les statistiques peuvent en dire. Et pourtant, il y a très peu de statisticiens dans les médias pour parler de ce sujet. Ils pourraient par exemple reprendre les annonces « sensationnelles » que les journalistes se partagent en parlant des pays « les plus touchés » et leur rappeler, que proportionnellement, la plupart des pays d’Europe et des Etats Unis sont dans une fourchette de mortalité comprise entre 0.07 et 0.10% et ses variations entre les pays oscillent entre ces deux bornes en permanence. Ils pourraient aussi nous expliquer pourquoi la Suède qui n’a pas confiné jusqu’ici a un taux de mortalité proche de celui des pays qui confinent (0.063 à fin novembre) alors que la plupart des pays nordiques ont une mortalité beaucoup plus faible. Pareil pour le Brésil qui est à 0.08 à fin novembre.
    Ils pourraient également nous expliquer pourquoi la mortalité augmente en France depuis 10 ans : 0.85% (2010) ; 0.84% (2011) ; 0.87% (2012) ; 0.85% (2013) ; 0.84% (2014) ; 0.89% (2015) ; 0.89% (2016) ; 0.91% (2017) ; 0.91% (2018) ; 0.91% (2019) → hausse de 0.06% en 10 ans, due à autre chose que le virus SARS-CoV-2.
    Bref, autant de questions que se pose la population qui ne trouve pas de réponse et qui tout naturellement (comme depuis des millénaires) pose sur le point d’interrogation l’auréole du complot comme, il n’y a pas si longtemps, la preuve de la présence divine. Saint Raoult en est la preuve vivante.

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  2. Alceste. Alceste.

    Et que voulez vous mettre à la place des médecins, des journalistes de l’Equipe ?

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  3. Félix WEYGAND Félix WEYGAND

    Pour reprendre une citation du compte Instagram d’Amine auquel renvoie l’article : “Le problème avec ce monde c’est que les gens intelligents sont plein de doutes alors que les imbéciles sont plein de certitudes. Charles Bukowski ”
    Outre la perte de confiance dans les institutions (la presse, les politiques, les fonctionnaires, etc.) alimentée par des discours complotistes construits (extrême gauche ou droite, Russie, etc.) ou spontanés (des “rumeurs”).
    Il me semble qu’un phénomène nouveau s’est produit ici dont le résultat est de faire perdre confiance dans la science : c’est la mise en débat public des polémiques, controverses et franches hostilités entre chercheurs. Le débat, la controverse, voire l’hostilité véhémente sont des modalités normales de la recherche et de l’échange entre scientifiques… et puis à un moment donné, il y a consensus : les preuves sont accumulées, les hypothèses sont vérifiées ou invalidées, on n’a plus de la recherche, on a des connaissances scientifiques.
    Là on a brutalement mis sus le nez du public, non pas des connaissances mais de la recherche avec la charge polémique entre scientifiques qui l.
    La confusion

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  4. Félix WEYGAND Félix WEYGAND

    avec la charge polémique entre scientifiques qui la caractérise.
    La confusion (normale) de la parole des chercheurs partagée par le plus grand nombre a aussi alimenté les désinformations

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