Hommage illustré à Antoine Martin
L'écrivain Antoine Martin vient de mourir, au moment même ou paraissait son dernier livre HERCULES 59 (éditions Le Diable Vauvert). Michéa Jacobi lui rend hommage.
Hommage illustré à Antoine Martin
Antoine Martin, écrivain et traducteur, s’est éteint au matin du 5 avril, dans sa maison de l’impasse du Cade, à Nîmes, entre les lilas à peine fleurissant et les olives qu’on avait oublié de cueillir. Il était apparu pour l’unique et dernière fois dans Marsactu à l’occasion d’une chronique que j’avais rédigée lors du premier confinement. Il avait bien voulu jouer alors le rôle du type qui appelle de son beau jardin son camarade enfermé dans son appartement.
Le jardin, faut le dire, n’était pas son lieu de prédilection. Il préférait son bureau, il préférait écrire que faucher les avoines sauvages et tailler les figuiers. Mais en littérature : Quel artiste ! Transformant les incidents les plus anodins de la vie quotidienne en épopées, il savait donner à son impeccable syntaxe un ton d’évidence et de familiarité unique, mêler les termes savants et le lexique argotique et rendre, à chaque ligne, hommage à la langue que lui avait apprise l’école publique de Sommières, Gard. C’était comme moi un fils d’immigré, un fils d’ouvrier. Nous avions créé ensemble Le Midi Illustré, revue littéraire jamais subventionné et toujours sur le point de disparaître. La rédaction se trouvait au 63 de la rue Consolat, on publia 14 numéros, Antoine alimenta chacun de ses précieuses contributions.
Pas besoin de venir à Marseille, je lui proposais un thème et il m’envoyait ses textes : drôle, inventifs, ciselés. Et quand il se décidait à être là en personne, il fallait absolument faire quelque chose à quoi on n’avait jamais pensé : visiter le château d’If, lui montrer une cagole véritable, aller voir l’emplacement des anciennes arènes du Prado. Une fois, il vint exposer à la Vieille Charité les merveilleuses figurines qu’il s’était mis un temps à modeler.
Comme ils étaient vivants ses toreros et ses picadors à figure de traître, comme elle fut longue la soirée qui suivit, chez Vincent, quand l’ami Henri monta sur la table pour chanter du Luis Mariano, sous le regard inquiet de Florence Delay, de l’Académie Française.
Comme il aimait Marseille, lui qui me suggéra, en 1989, le texte du dernier article de l’ABC des Marseillais.
« On soupçonnera toujours le métro de Marseille
de sentir la mer,
et ses zonards
de n’être pas vraiment méchants. »
Mais gare, l’œuvre d’Antoine Martin est d’une autre envergure que celle des délicieuses pièces qu’il donna à notre revue.
Il a traduit de l’espagnol Toreros de Salon de Camilo José (quand cet auteur reçut le Prix Nobel, ce volume était le seul disponible sur le marché français) et tant d’autres ouvrages. Il s’est attaqué aussi à des textes italiens et catalans, parus au Diable Vauvert. C’est pour Marion Mazauric, qui dirige cette maison, qu’il a, quelque mois avant sa mort, travaillé sur les Lettres de Che Guevara à ses parents. Elles paraîtront à la rentrée.
Il a publié ses romans, ses épopées, ses sitcoms (ainsi aimait-il nommer ses inclassables textes) chez Climats, puis au Diable. Il a conquis de haute lutte le prix Hemigway en 2009, année où il fut double finaliste, une fois sous un pseudonyme, une fois sous son vrai nom. Son dernier livre, son « chant du cygne » rigolait-il entre deux chimios, est un « péplum » pétri de drôlerie et d’humanité qui s’intitule Hercules 59. Courez l’acheter.
En attendant, je vous offre un texte qu’il écrivit en 1992 pour le Midi Illustré, alors appauvri et contraint de sortir en demi-format et sous une couverture en papier verre.
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Le thème en était LA PAUVRETÉ et j’avais enfermé Antoine dans le genre (particulièrement pauvre en effet) de l’abécédaire. Mais même coincé entre les 26 signes de l’alphabet, il avait réussi à être drôle, à être grand.
Suerte, Antoine !
André, ils viennent de lui couper les Assedic. L’Assistante de l’ANPE a promis de s’occuper de l’Aide Sociale. Le revenu minimum qu’on Appelle. Pour André, faire manger sa famille, ça va devenir toute une Affaire.
Benaziz Bosse dans les petits Boulots. Balayeurs, Bagagiste ou encore dans le Bâtiment. Il Bricole. Au Black. Dès qu’il peut, il envoie quelques Biftons à sa Bédouine qui est restée au Bled. Il aimerait Bien rentrer au Bercail, mais acheter un Billet de Bateau quand on est un pauvre Bicot, c’est le croissant et la Bannière.
Colette et Cécile Collectent dans le Caniveau un tas de vieux Coucous. Les Clients Cossus trouvent Cocasses Ces deux Clochardes qui, Contre un Canon, offrent aux Clients le Contenu Cassé des Containers.
Le Docteur de la Dass a Demandé à Denise si ses Dartres étaient Douloureuses. Puis, il a fait un Dépistage. Il lui a Dit qu’elle Devrait se Doucher le Dessous des bras et aussi le Derrière. Enfin, il a Donné son Diagnostic, auquel Denise n’a compris que Dalle : il a Déclaré qu’elle était immuno-Déficitaire.
Eric et l’Enseignement sont pour ainsi dire Ennemis. Les Equations, l’Electrolyse de l’eau, l’Ecriture même, tout ça, pour lui, c’est de l’Ebreu (sans parler de l’orthographe). Les Equarisseurs de l’école laïque, Excédés, l’Encouragent à Ecourter ses Etudes. Mais les Ediles de l’agence pour l’Emploi Expriment qu’il aura des Ennuis pour Emporter l’Embauche avec une Education aussi Elémentaire.
Les Flics ont fourré Farid aux Fers. Ils l’ont Flairé pendant qu’il Fauchait une Ford Fiesta. D’ailleurs, il était déjà Fiché pour d’autres Fraudes. Pas de gros Forfaits, comme le Fric Frac de Fourgue ou les Faux Fafiots, mais pour avoir Flirté avec la Fumette. Finalement, le juge des Flagrants délits, Furieux contre les Fils de Fellahs (ce Fonctionnaire a des Faiblesses pour le Front national) lui en Fout pour deux ans de Frigo. Voilà comment on Finit quand on n’est pas Favorisé par la Fortune Financière.
Gisèle Git sur son Gerflex Glacé. Elle Gigote un peu, en Geignant. Elle Gargouille des Gaz. De Grasses Gelées Gastriques Gigotent dans son Gosier. Elle repousse plutôt du Goulot. Bref, elle est Gaga. Sa Garde-malade Gémit sur son Gagne-pain : “Gageons qu’elle va Garer l’arme à Gauche, la Grand-mère !”
“Hablez dans l’Hygiaphone !” Depuis les temps Historiques, cette Harangue Humiliante Hurle dans les Halls d’Hébergement les pauvres Hères. Henri s’en fout. Il est Habitué aux Horions. Allongé sur le banc de pierre aussi bien que dans un Hamac, la tête posée sur son Havresac en Haillons, il passe sans Histoire la saison Hyperboréenne. Son Hibernation n’est Heurtée, au Hasard, que par l’humeur Hargneuse des Hordes Hallebardière, ou des Hébergeurs Hygiaphoniques.
Isabelle I Insiste mais, derrière l’Ilot, l’Individu Indélicat reste Inflexible. Il vient d’Interroger l’Instrument Informatique. Celui ci Indique que l’Intitulé Impute trop d’Incidents, Infiniment de quoi Inquiéter les Investisseurs Intègres de l’Institution financière. Ipso facto, Il Inscrit en Incarnat l’Irrévocable mise à l’Index.
Isabelle, qui n’est pas, Il s’en faut, Imposé à l’IGF, devra s’Ingénier à Indemniser Illico les Intérêts Intermédiaires.
Le Job de Jacqueline n’est pas Joli Joli… Elle est fille de Joie. Certains, les Jaloux, ceux qui Jactent sans Justification, Jugeraient qu’elle fait la Java pour un Julot. Jamais de la vie ! Qu’on en Juge : sur une Jetée de la Joliette, elle écarte les Jambes pour trois Jetons (elle n’est plus une Jeunesse pour qui des Jolis cœurs Jubileraient de jeter le Juste prix), elle se fait Jauger le Joufflu jusqu’à la Jouissance par de Jaunes Jacquemards ou par des Jean-foutres pas plus riche que Job. Jadis, elle arrivait encore à Joindre les deux bouts. Mais, ces Jours-ci qu’elle donne moins de Jeu, ces Joyeusetés Jaculatoires lui assurent de Justesse sa Julienne quotidienne.
Sortez vos Kleenex car voici un triste Kabuki. Kao lin, avec une Kyrielle d’autres Kamikazes s’est Kalté des Kolkhozes du Kampuchéa démocratique. Ils ont vogué plus d’un millier de Kilomètres sur un Ketch à peine plus grand qu’un Kayak. Pendant la traversée, beaucoup de ses compagnons sont morts, du Kala azar ou sous le Kandjar des pirates de la mer du Kathay. Aujourd’hui, pour deux Kopecks par mois, il cuisine des en-Kas de Kipper arrosés de Ketchup dans un Kiosque Kasher.
Lucien Lancine de Langoureux Lamentos sur une Lame de scie. Il Localise son Lutrin dans le Labyrinthe du métro. Malgré la Ladrerie Latente, sa Liquette en Loques et ses Litanies Larmoyantes incitent certains à des Largesses. Ce n’est pas du Luxe, mais il y en a de plus mal Lotis. Lucien arrive toujours à se faire quelques Liards, de quoi Liquider le Litron, le Livarot et la Litière.
Depuis que son Marie est mort, Maryse est devenue Marteau. C’est ce que Murmurent les Médisantes. Elle est la Madone des Milliers de Matous qui Maraudent partout dans la Maison et Meurtrissent le Mobilier de leur Maîtresse. Elle Maintient toutes les ordures dans la salle à Manger et Met Même de côté ses Mictions Moisies. A Minuit, quand elle va vraiment Mal, elle Mastique Mélancolique ses Matières.
N’Coco, Natif de Niamey, N’est pas un Nanti, pas Non plus un Nécessiteux. Son Négoce Nomade de Nouveautés Néo africaine (“pas cher, pas cher ») le Nourrit Normalement, il a un Nid douillet dans le Nord de Nanterre. Le seul Nuage Noir à cette Nitide Nomenclature, c’est la sainte Nitoucherie des Nénettes d’ici. Le Naturelles sont Nationalistes, elle N’aiment pas les Négros. Qu’il leur propose une Nuit de Noce (ou, plus Naïvement de Niquer), le Narguant, elles Nient : « Noli me tangere ».
Oscar est Obèse. C’est l’Origine qu’il n’Obtient pas à Œuvrer comme Ouvrier.
Pedro Pointe dans les Petits boulots. Plombier, Peintre, Parfois les Poubelles. Quand c’est Possible, il Poste un Peu de Pognon à sa Promise, celle pour qui il en Pince et qui Patiente au Pueblo. Il Place un Pécule pour Pouvoir Partir au Pays. Voilà Pourquoi, ici, sur Place, il se Prescrit des Privations.
En politique, Pedro Préfère les positions du Parti au Prêchi-Prêcha Pieux de l’abbé Pierre.
A Quarante ans passés, Quentin, Qui avait pourtant une bonne Qualification, a perdu son travail. Il a Quémandé une Qualité pendant plusieurs Quinzaines, il a Quadrillé le Quartier sans s’occuper du Qu’en-dira-t-on, en Quête de n’importe Quoi, Quelque chose comme Quincailler ou livreur de Quotidiens … A chaque fois, un Quarterons de Quidams Questionneurs lui donnait Quitus : Top vieux pour un emploi Quelconque ! Las des Quolibets, Quentin est Quasiment parti en Quenouille. Il a fini par se Quitter la vie, peu Quiet de se trouver chômeur et Quinquagénaire.
Rachid Rode dans les rues. Il y Remue un Rare Ramdam. Il rêve d’une paire de Reebok ™ Rouges mais il n’a pas un rond. Il radote sans Répit des Refrains Rythmés, des Rengaines qu’il Réinvente Régulièrement. Il Répète Rageusement ces Raps avec d’autres Rebelles. Ensemble ils Rament pour Réaliser un Remix de Riquita. Chez Riri, le Rade du quartier, Rachid Réussit quelques Rapines : des rouleaux de Réglisses et des Raider ™.
Serge Se Soucie peu des Saveurs. Il n’a pas assez de Sous pour ça. Pour ne pas la Sauter, il va Se Sustenter chez les Salutistes. Question de Subsistance. un Steak, une Salade Suffisent Souvent à le Soutenir toute une Semaine. Il ne Singe aucune Simagrée quelle que Soit la Saloperie qu’on lui Soumette. Il Sait même Se Satisfaire de Salsifis, Si on les lui Sert en Suffisance. Un Seul Scrupule Soulève Ses Sens, les Senteurs, Sécables au Surin, des Scorsonères.
Thierry est d’un Tempérament Teigneux, surtout quand il retourne du Troquet. Et, comme il est sans Travail, il y Traîne Tout le Temps. Quand il n’a plus de Thune pour payer la Tournée, plus de Tabac, il Tourne les Talons et rentre Terroriser ses Trois petits. Thierry est un Terrible, un Ténor de la Torgnole, le Tsar des Taloches, le Tartarin des Tartes. Il leur Tape sur la Tête, leur Tire les Tifs, les Traumatise à coups de Tatane dans les Tibias. Emportés par ses Tempêtes, il en envoie un ou deux sur le Tapis. Pourtant, il ne se Tient pas pour un Tyran. Tancer ses enfants, c’est le seul Témoignage de Tendresse qu’il Tolère.
Pour aller à l’Usine ou encore à l’Uniprix, Ursule, malgré ses jambes Usées, Utilise les transports Urbains (“Underground”, comme disent ceux de l’Union Jack) aux odeurs d’Urine. Elle s’aimerait s’acheter Une auto, même Ultra petite, mais c’est Une Utopie avec des taux Usuraire en Usage dans les banques. Enfin, elle n’en fait pas un Ulcère …
Ce n’est pas pour les Vacances que Vicente Voyage. Avec sa pauvre Valise et son Vieux Veston, il a l’air d’un Vagabond. Il Vient pour les Vendanges. Dans son Village, près de Valladoïd, il Vivote Vaguement avec des revenus Variables. Ici, le Viticulteur Va lui Verser un Viatique Valable, Vin en sus. Il n’y a qu’un Vice : il n’arrive pas à Vocaliser la Voyelle E et la lettre V, qui ne se Vulgarisent pas Volontiers dans sa langue Vernaculaire.
William est boxeur. Un mauvais swing lui a décollé l’os Wormien. Aujourd’hui, il est tout juste bon à passer la Wassingue dans les Waters …
Ouais … On a atteint la limite du genre, non ? Parvenu à ce niveau de médiocrité, l’abécédairiste, vaincu par l’indigence lexicale des dernières pages de son dictionnaire, se persuade, il était temps, de la pauvreté de son entreprise. Il abandonne en priant les dieux de l’Alphabet et ses lecteurs de ne pas lui en tenir trop grande rigueur. Xerci. Yerci. Zerci.
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