La mer et la ville

Figures de la Méditerranée à Marseille

Billet de blog
le 5 Nov 2016
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Marseille s’est construite et a connu son histoire en tournant le dos à la mer. C’est sensible quand on regarde l’architecture de la ville et l’aménagement urbain de la métropole marseillaise, mais c’est sensible aussi quand on observe les réseaux de circulation, et, en particulier, ceux des transports en commun. On a le sentiment qu’ils se sont structurés sans tenir compte de la mer ni de sa place dans la géographie de la ville.

Sans doute importe-t-il de commencer par la mythologie marseillaise, par ce que l’on peut appeler l’imaginaire fondateur de la ville. Si Massilia, l’ancêtre de Marseille, est née de la mer, par l’installation dans le site de la ville de Protis, le marin venu de Grèce qui a épousé Gyptis, la fille du chef de la cité-État, sans doute convient-il de lire deux récits articulés l’un à l’autre dans ce mythe. Le premier est l’idée selon laquelle c’est l’immigration qui fonde la ville, qui l’institue en la faisant venir du dehors, de l’étranger. Cette figure renvoie, en ce sens, à une longue tradition culturelle de Marseille et de ses relations avec l’étranger. Mais un autre récit peut se lire dans ce mythe, en y représentant la figure d’une mer qui entre dans l’espace urbain. Par l’arrivée de Protis dans l’espace de la cité, c’est à la fois la mer et l’étranger qui entrent dans la ville pour y fonder son histoire. Mais, si l’on observe un moment le site de Marseille, on se rend compte que sa configuration est elle-même celle d’une entrée de la mer dans le site urbain : la Méditerranée entre dans la ville en laissant d’un côté le fort Saint-Jean, l’église Saint-Laurent et la rive Nord du Vieux-Port et, de l’autre, le fort Saint-Nicolas, le site du Pharo et la rive Sud. Le Lacydon, le nom ancien donné au Vieux-Port, est une avancée de la mer entre deux lieux du site de la ville qui l’enserrent en se faisant pénétrer par la mer.

Et l’on est amené à s’interroger sur la signification même du nom de la ville. Marseille, ce n’est pas tout à fait un nom forgé sur le nom grec de la ville, Massilia : dans Marseille, il y a, au début du nom, Mar, une sorte de préfixe qui ne peut pas ne pas évoquer la mer. Comme si la relation à l’espace de la mer était exprimée dès la configuration du nom de la ville comme est l’est dès la configuration géographique de son site. En ce sens, il importe de se rappeler qu’il y a deux logiques de l’étymologie, de ce que l’on peut appeler l’histoire des mots : il y a la logique, en quelque sorte mécanique, strictement morphologique, du devenir des signifiants, du devenir de la forme des mots dans le temps ; et il y a une autre logique, celle qui, dans la structure des mots, manifeste ce que l’on peut appeler l’inconscient de la langue. La manifestation de cet inconscient linguistique des identités est importante dans le cas du nom de Marseille.

Et cela nous amène à mieux comprendre la signification des figures de la mer dans l’histoire de la ville – mais aussi dans son présent. D’abord, cette figure de la mer entrant dans la ville pour s’y trouver, en quelque sorte, insérée, exprime une relation de maîtrise de la ville à la mer. Tandis que la figure classique de l’océan dans les villes du littoral de l’Atlantique en France exprime un affrontement de la ville et de l’eau dans lequel la ville court toujours un risque, la relation de Marseille à la mer est une relation dans laquelle elle la maîtrise, elle la domine. Par ailleurs, la mer donne à Marseille la place d’une ville située entre l’Est et l’Ouest et entre le Nord et le Sud. La ville est entre l’Europe occidentale, parce qu’elle se situe en France, et la partie orientale du monde, parce que sa situation méditerranéenne l’a toujours mise en relation avec les pays orientaux. Mais, aujourd’hui, la ville, située au Sud de la France, se trouve, de cette manière, au Nord du Sud : elle est une ville développée, riche, qui, comme Barcelone en Espagne, fait face à des régions du monde qui le sont moins, de l’autre côté de la Méditerranée. Sans doute, de plus, convient-il d’ajouter que cette situation de la ville l’a toujours exposée aux guerres et à la violence des affrontements, ne serait-ce que lors de ce que l’on a appelé, en France, la guerre d’Algérie, dans le cours des conflits du Proche-Orient, et, en particulier, aujourd’hui, dans la question des réfugiés liés à la guerre en Syrie.

La mer a deux autres significations politiques, aujourd’hui, à Marseille. La première est de l’identité d’une ville dont l’économie est fondée sur l’échange. Marseille est moins une ville de production qu’une ville de négoce, de commerce, de relations entre des parties du monde. Sans doute, aujourd’hui, serait-il important de repenser l’économie de la métropole dans cette logique, en particulier en imaginant de nouvelles logiques d’échanges impliquant la ville, grâce aux nouvelles technologies d’information et de communication. L’autre signification de cette relation de la ville et de la mer se situe sur le plan de l’énergie. Tandis que la Méditerranée a longtemps été l’espace de la circulation du pétrole, peut-être serait-il temps, aujourd’hui, en particulier en raison des risques de diminution des ressources pétrolières, d’imaginer de nouvelles ressources énergétiques fondées sur des usages de la mer encore à inventer, mais aussi sur une forme de redécouverte de la relation de Marseille au vent. Peut-être serait-il temps que la ville cesse de considérer le Mistral, comme la mer, comme ce qui vient du dehors pour mettre la ville en situation de risque, et qu’elle finisse par le maîtriser, comme elle a maîtrisé la mer, pour en faire une ressource.

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