DERNIÈRE CHRONIQUE
Marseille pendant le premier confinement. Photo Emilio Guzman.
Ceci est ma dernière chronique dans « Marsactu ». Je tiens à dire qu’il ne s’agit pas, de ma part, d’un désaccord avec « Marsactu » et son équipe, mais c’est simplement dû au fait que je quitte Marseille. Et, au moment de partir, je tiens à m’expliquer sur ce départ et sur ses raisons.
Le retour à Marseille : une déception
Quand j’ai commencé à contribuer à Marsactu, en mars 2016, je revenais vivre à Marseille. J’avais déjà vécu dans cette ville, de 1983 à 1993, je l’avais quittée à la fois pour des raisons personnelles et en raison de l’évolution de mes activités professionnelles : après avoir enseigné à l’École de journalisme, qui était alors au Pharo, j’avais quitté Marseille pour aller enseigner à l’université d’Avignon, puis à Sciences Po, à Lyon. Quand j’ai cessé d’enseigner, j’ai eu envie de revenir vivre à Marseille. Comme ma femme, elle, était née dans cette ville et y avait vécu, nous avions, l’un et l’autre, souhaité y retrouver nos marques, revenir dans des lieux qui avaient les nôtres. Mais, si nous avons fini, au bout de cinq ans, par décider de partir, et, sans doute, cette fois pour de bon, c’est parce que nous n’avons pas retrouvé la ville que nous avions quittée et que nous attendions, c’est parce que nous avons éprouvé une immense déception devant ce qu’est devenue Marseille.
Une déception politique
Sans doute la première déception que nous avons éprouvée est-elle d’ordre politique, sans doute s’inscrit-elle dans les logiques de la politique urbaine. Pour dire les choses brièvement, même au risque de choquer, la municipalité dirigée par J.-C. Gaudin a littéralement détruit Marseille, elle a mis la ville à genoux – voire encore plus bas. Ce n’est pas la première fois que j’écris cela dans Marsactu, mais, au moment du bilan de mon second séjour à Marseille, je le redis : la ville est sale, les constructions et les aménagement sont dégradés, les transports en commun ne répondent pas aux besoins d’une ville de 850 000 habitants, la politique culturelle n’existe pas. La ville se trouve dans une situation de véritable crise politique.
Cela permet de mieux mesurer la tâche qui attend la municipalité dirigée par B. Payan. C’est un chantier immense qui se trouve devant l’équipe que nous avons élue l’année dernière. Mais, dans le même temps, il s’agit du deuxième aspect de la déception politique que j’exprime ici. J’attendais énormément du changement de municipalité et de la venue d’une gauche unie à la tête de la ville. Mais les choses ne se sont pas passées comme je l’aurais souhaité – comme, sans doute, un grand nombre d’habitants de la ville. Le premier choc est venu de la démission de Michèle Rubirola presque tout de suite après son élection. J’ai eu le sentiment d’avoir été, en quelque sorte, floué : alors que j’avais placé un grand espoir dans cette nouvelle maire, elle partait – un peu comme si elle avait retiré la chaise sur laquelle je m’étais assis, confiant et désormais plein d’enthousiasme. Le second choc n’en est pas vraiment un : il s’agit plutôt d’une expérience qui n’a pas répondu aux promesses. La vie politique, à Marseille, n’a, au fond, pas changé, les acteurs politiques sont restés les mêmes, les pratiques de la politique urbaine sont restées comme elles se déroulaient dans l’ancien temps.
C’est que, finalement, si l’on observe la politique marseillaise dans le temps long, on est bien obligé de constater que plus de trente ans de municipalité Defferre et vingt-cinq ans de municipalité Gaudin ont marqué la politique de la ville d’une manière ineffaçable. Cette culture politique qui a dominé la ville pendant toutes ces années semble continuer à régner sur Marseille aujourd’hui.
Une déception culturelle
L’autre déception qui me pousse à partir est culturelle. La vie culturelle, à Marseille, semble éteinte, elle semble comme morte. Bien sûr, on m’objectera que, comme on dit, aujourd’hui, partout dans le monde, « c’est la faute au virus », parce qu’il faut bien trouver un coupable. Mais ne nous leurrons pas : même si le virus a pu avoir un tel effet sur la culture de la ville, c’est aussi parce que la vie culturelle était fragile. Alors que j’ai toujours pensé que la ville est l’espace de la culture, alors que j’ai toujours écrit et enseigné que c’est dans la ville que se construisent les politiques culturelles et qu’elles se mettent en œuvre, Marseille ne répond pas à ce que l’on pourrait attendre de la deuxième ville de France. Mais ne nous trompons pas : la culture, c’est ce qui fonde l’identité en l’exprimant, en la donnant à voir, à lire et à entendre. Sans culture, une ville n’a pas d’identité. Or j’ai le sentiment que c’est bien cette perte d’identité qui menace aujourd’hui Marseille.
D’ailleurs, une autre identité se perd, à Marseille : celle de la Méditerranée. Même la Méditerranée, à Marseille, m’a déçu, parce qu’elle est devenue une mer de carte postale, réduite à une image. En effet, ce qui peuple la Méditerranée, aujourd’hui, à Marseille, ce n’est plus la vie réelle, mais ce sont ces immenses bateaux de tourisme. À Marseille, la mer n’est plus un espace d’échanges, d’activités, de cultures véritables qui se parlent et qui s’écoutent, mais elle a fini par se réduire à n’être plus qu’un espace à voir.
C’est pour toutes ces raisons, parce que la tâche me semble insurmontable, que je m’en vais. Je souhaite longue vie à Marsactu, qui a eu la gentillesse d’accueillir cette tribune que j’ai eu plaisir à écrire toutes les semaines : c’était mon petit rituel du dimanche de mettre ma chronique en ligne. Mais, en même temps, ce sont les journaux comme Marsactu qui peuvent en même temps redonner de l’espoir aux habitants de Marseille et renforcer leur information. C’est pourquoi il faut les saluer, les écouter, les encourager.
Commentaires
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J’avais loupé cette chronique. Heureusement que Marseillologie, sur Twitter, attire mon attention sur son existence.
Si les meilleurs s’en vont, que deviendra Marseille ?
Je suis loin de mon ironie habituelle en posant cette question. Je partage le constat, terrible, de cette ville détruite par les quatre mandats d’un incapable. Mais il faut reconstruire. Si le départ de ceux qui ont des idées pour la ville, de ceux qui paient des impôts aussi, est inexorable, comment faire ? Comment empêcher le navire de couler ?
Sans rancune, néanmoins !
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Cher Bernard,
Je partage ton analyse sur l’échec d’une politique d’envergure pour développer Marseille. Si je continue pour ma part à participer à la vie collective de Marseille, c’est pour la vitalité qu’on y observe dans les quartiers. Et si la culture d’apparat y est sans doute moins brillante qu’à Lyon ou à Bordeaux, la culture populaire (au sens des anthropologues) y manifeste une plus grande vitalité. Nos Maisons pour tous, nos centres sociaux, sont des lieux où se fabrique collectivement un art de vivre ensemble qui continue les traditions et l’invention que j’ai connues enfant, lorsque nous sortions les chaises au cours Julien pour passer la soirée à blaguer, à faire notre théâtre de rue et notre musique, mélange de mélopées arméniennes et de chansons corses. Les voitures ont eu raison de l’occupation festive des rues, mais il nous reste les équipements sociaus, les bistrots, les déambulations dans des rues qui valent bien celles que certains admirent dans les films sur le Bronks ou LIttle Italy. J’ai toujours vingt ans, quand au printemps les filles se mettent en tenue d’été, même si, c’est vrai, il n’y a plus autant d’hirondelles pour les siffler. Espérons nous retrouver bientôt dans ce superbe capharnaüm, unique au monde.
Amicalement, en espérant aussi que, comme Allio, tu feras ton retour à Marseille
José
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