Délogée : voter ?

Billet de blog
le 8 Mar 2020
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Photo : Emilio Guzman.
Photo : Emilio Guzman.

Photo : Emilio Guzman.

Voilà plus d’un an que nous avons quitté notre logement du Marché des Capucins dans la précipitation. Depuis nous sommes retournés chez nous au gré des demandes de nos voisins ou des nôtres, peut-être cinq ou six fois : chercher l’épluche légumes, des casseroles, des draps, des robes d’été, le classeur avec toutes les fiches de paye …
Trimballés d’hôtel en hôtel puis finalement relogés à la Blancarde dans un appartement certes plus petit mais presque neuf, datant tout au plus de la fin du vingtième siècle, solide, sans fissures, sans fuite d’eau, au sec, sans risque de traverser le plancher ou qu’un plafond ne s’écroule sur nos têtes.
La vie a pu reprendre son cours, pas de la même façon mais au moins retrouver des habitudes, le chemin pour aller travailler, aller promener le chien, faire les courses. Comme tout avait changé à marche forcée autant continuer à tout changer : alors changement de travail et de lieu de travail, bref quitter les lieux connus, aller ailleurs loin de tout ça parce qu’il y a encore de la rancoeur quelque chose qui fait monter la colère ou l’envie juste de ne plus penser qu’on a été chassés de chez nous sans qu’on y ait été pour grand chose. J’écris qu’on n’y a pas été pour « grand chose » plutôt que pour « rien » parce qu’il y a eu des remarques quand même, allant de la petite moue aux paroles blessantes.
Rentrer à la maison parce que les travaux de reconstruction de notre immeuble seraient en cours ou même en voie d’achèvement on n’y pense même pas, on sait que les propriétaires n’ont pas consacré toute leur énergie à mettre en route un retour possible, alors on ne sait pas quand. On passe devant l’immeuble de temps en temps, on essaye de pousser la porte pour voir mais il n’y a rien à voir.
Dimanche prochain il faudra aller voter pour élire le futur maire de Marseille. J’habite dans le 4ème à présent et je n’ai pas pu faire refaire ma carte d’électeur, il aurait fallu que je passe rue Beauvau pour demander que l’on me fasse un justificatif de domicile et justement je ne peux plus rentrer dans les locaux des délogés, je m’y sens mal, presque la sensation que quelque chose va s’effondrer là-dedans. Je ne veux plus montrer mes papiers, réexpliquer encore, me souvenir de l’ambiance de ce lieu il y a un an, des visages des gens perdus, des bébés bien patients dans les poussettes , des calculs stupides sur le nombre de délogés à mettre en rapport avec le temps que nous devrons attendre encore avant de quitter l’hôtel. Bref calcul idiot parce que ceux qui nous empêchaient n’étaient pas les autres délogés mais notre propriétaire qui avait laissé pourrir son bien, puis la mairie qui a préempté notre immeuble entre temps et qui n’agit pas plus.
Je ne voterai pas dans le premier arrondissement parce que je n’avais pas eu le temps de faire ma demande de changement à la mairie et que je n’ai plus aucun justificatif à jour. Alors, si je n’ai pas été radiée des listes je voterai probablement dans le douzième où j’habitais auparavant.
Clairement les problèmes de délogés ne concernent pas les futurs élus de la mairie des 4ème et 12ème arrondissements, et j’ai l’impression que ce n’est même pas un thème de campagne dans le 1er. On a été avalés par les problèmes de sécurité, la qualité de l’air, de l’eau, par tout plein d’autres choses certes essentielles et les couteaux à beurre. L’effondrement de la rue d’Aubagne et les délogés sont devenus le problème exclusif de l’ère Gaudin, personne ne les veut en héritage.
Des questions me viennent à l’esprit régulièrement, des questions pratiques : qu’allons-nous devenir ? Est-ce qu’on va pouvoir rester ici tant que notre immeuble ne sera pas reconstruit ? Même si ça dure encore des années ? Quand allons-nous pouvoir retrouver nos affaires ? Quand allons-nous enfin nous sentir libres de pouvoir nous installer quelque part avec l’accumulation de tous ces petits objets qui ont fait nos vies depuis toujours ? Nous sommes pris en otage d’une situation qui dure, qui dure et personne ne porte nos voix, à qui, alors, donner la mienne ? Et pourquoi plutôt ici que là-bas ?

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