Autopsie du Front Républicain et Balistique de l’abstention.

Billet de blog
le 27 Juin 2022
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Autopsie du Front Républicain et Balistique de l’abstention.
Autopsie du Front Républicain et Balistique de l’abstention.

Autopsie du Front Républicain et Balistique de l’abstention.

22h25 ce 19 juin dans le jardin du 152 avenue de la Rose…Il reste une dizaine de bureaux sur 67 qui ne nous ont pas encore envoyé de résultats définitifs. La tendance est désormais irréversible l’écart se creuse et les derniers bulletins ne vont faire qu’amplifier le désastre. 55% pour le RN, 45% pour nous ! Je suis en colère et fatigué, la nuit va être très courte.

5h45 le 20 juin, je suis assis face à mon casier dans le vestiaire de la Timone et je prends conscience de la défaite et de ses conséquences, je n’ai pas dormi…

 

1)Autopsie du Front Républicain

 

Il faut étudier les reports de voix entre le 1er et le second tour, les listes d’émargements et affiner les analyses, mais ce que j’avais pressenti le soir même est très rapidement confirmé par un article de fond publié par Marsactu (Comment le front républicain a explosé dans les 67 bureaux de la 3e circonscription – Marsactu) . A la lecture de cet article on constate que la logique du « Front Républicain » n’a pas fonctionnée sur la 3ème Circo de Marseille notamment mais beaucoup plus largement sur l’ensemble du territoire. Sur les 62 circonscriptions dans lesquelles s’affrontaient au 2nd tour des candidats NUPES et des candidats RN, seulement 7 candidats de l’ex-majorité présidentielle ont appelé à faire « barrage » au RN. Dans 53% des duels le RN l’emporte. Notre département, notre région est dévastée par la poussée RN avec 6 duels sur 8 remportés par l’extrême droite. Les explications sont nombreuses. La montée de l’abstention j’y reviendrais), le cynisme politique de la droite de Sarkozy dans le découpage électoral de 2012, le relativisme inconscient de la Macronie en lien direct avec la tripolarisation de la vie politique française confirmée par les résultats de la dernière présidentielle.

Les ordonnances de juillet 2009 portées par Alain Marleix sur instruction de Nicolas Sarkozy préconisent un redécoupage électoral des circonscriptions. S’abritant derrière un « impératif démocratique » cette initiative cache mal le charcutage intéressé des circonscriptions en fonction des intérêts politique de la majorité de l’époque et de la volonté évidente de faire basculer des circos « de gauche » à droite. Ce que n’avait prévu ni Marleix, ni Sarkozy c’est qu’au fil du temps et de la radicalisation des opinions ces circos qui devaient au départ échoir à la droite sont désormais des circos où l’extrême droite règne sans partage ! Petit focus sur la 3ème circo de Marseille pour comprendre concrètement ce dont je parle :

 

Avant les législatives de 2012 cette circo couvrait le 13ème arrondissement dans sa totalité et une grande partie du 14ème. Après le découpage pour « impératif démographique », cette circo s’est vue d’une part amputée du Grand St Barthélemy (Flamants, Busserine, Picon, St Barthélemy…), des Micocouliers pourtant topographiquement dans le 14ème. Et d’autre part cette circo s’est vue décalée vers le Nord Est marseillais avec l’adjonction d’une douzaine de bureaux du 12ème arrondissement (Bois Lemaître, Montolivet, Petit Bosquet…). Pour rajouter, si besoin, à la démonstration. Dans la même école des Micocouliers sont installés 2 bureaux de vote : 1466 et 1462. Le premier permet aux quartiers résidentiels et/ou noyaux villageois de voter et a été intégré a la 3ème pendant que le 1462 qui fait voter les habitants des Micocouliers est lui rajouté à la 7ème circo…Bien sûr ces données nous les avions, mais comme tout est lié il faut les intégrer à la réflexion globale sur la situation actuelle… le tripatouillage des circonscriptions aurait pu rester une vaine tentative ridiculement électoraliste si celle-ci ne s’était accompagné du relativisme de Macron et de ses troupes. En 2017 celui qui devenait le plus jeune président de la 5ème république promettait un écrasement de l’extrême droite. Il voulait aussi « make our planet great again » et a fini condamné par 2 fois pour inaction climatique…S’agissant du RN il réussit là aussi l’exact contraire de ses promesses en faisant progresser de 5 point au 1er tour Marine Le Pen entre 2017 et 2022 ! Les Gilets Jaunes, la gestion calamiteuse de la crise Covid, l’état de l’Hôpital, l’attaque sur les chômeurs, la conditionnalité du RSA, la diminution mesquine des APL ainsi que le principe de contemporanéité appliqué à celles-ci, l’arrogance, le mépris de classe et cette certitude assassine de toujours avoir raison et de ne jamais écouter l’opposition font partie des raisons qui poussent de plus en plus de concitoyens dans l’abstention ou la colère nihiliste du RN. Mais je parlais de cynisme et c’est en cela que Macron a une responsabilité exorbitante dans la progression de l’extrême droite et de ses idées ! Depuis la cristallisation politique qui s’est faite autour du mouvement des GJ, on entend une musique de fond reprise en cœur par les membres de LREM.

 

L’ennemi désigné n’est pas/plus le RN, Reconquête ou l’extrême droite, non ! Cette extrême droite réactionnaire, raciste, islamophobe, homophobe, phallocrate et anti républicaine est un outil de stratégie électorale, un outil de lutte contre le seul projet qui inquiète Macron : La Gauche ! Qu’il s’agisse de Blanquer, Darmanin, Borne, Vidal, Ferrand et tant d’autres, on comprend que la lutte contre l’extrême droite n’est absolument pas inscrite à l’agenda politique. Pire, il s’est agit depuis un moment de faire percoler l’idée que la Gauche et particulièrement LFI et le RN se valaient ! A tel point que beaucoup d’électeurs de LREM s’abstiennent, votent blanc/Nul ou même désormais votent au second tour pour des candidats du RN plutôt que pour la NUPES (cf. article Marsactu). Refaisons un focus sur la circo 1303.

 

Arrivé en tête au 1er tour devant le RN nous devions mobiliser les abstentionnistes tout en comptant sur un report rationnel et « républicain » des voix de la REM (environ 2000 voix). Il n’en a rien été ! Le silence de la députée sortante qui ne donne aucune consigne et qui explique a posteriori et de façon lunaire que la victoire du RN est un résultat démocratique (certes !) et qu’il est la conséquence de la naïveté ou de la lâcheté du candidat de la NUPES qui a eu l’outrecuidance de la battre au 1er tour, peut laisser sans voix ! Je répondrais toutefois que contrairement à la transparence de son mandat et de sa campagne, nous n’avons aucune leçon de courage à recevoir de celle qui en 2017 a bénéficié du report quasi intégral des voix du Front de Gauche, voix qui lui ont permit à l’époque de battre le même RN. Nous l’avions fait sans aucune illusion mais sans même une minute d’hésitation tellement il était évident pour nous que nous ne voulions et nous ne voudrons jamais la victoire de l’extrême droite ! Et ce, quel que soit le résultat global et les projections en sièges ! La République et ses valeurs cardinales ne se négocient pas, ne se marchandent pas, ne se calculent pas ! Le Front Républicain est mort et les postures asymétriques n’y pourront plus grand-chose ! Le Front Républicain est mort et c’est Macron qui l’a tué !

 

2)Balistique de l’Abstention

 

Ça ne sera surement pas la partie la plus « politiquement correcte » de mon texte, mais si nous voulons arrêter d’enfoncer des portes ouvertes concernant l’abstention, il va falloir aussi poser le débat en termes de « responsabilité citoyenne » !

Concrètement l’abstention est une lente érosion du sentiment citoyen. Elle n’est pas l’expression unique d’une désaffection ou d’un désintérêt politique. Il n’y a pas une abstention mais des abstentions…Electoralement elles se rajoutent les unes aux autres et, si nous allons vite, elles demeurent indifférenciées. C’est une lourde erreur !

Ayant pratiqué ci-dessus l’autopsie du Front Républicain, il nous faut en tant que derniers humanistes du paysage politique français nous poser l’équation comme il se doit si nous voulons vraiment la résoudre. L’abstention qui m’intéresse est celle qui frappe les quartiers populaires. Je milite dans ces quartiers depuis plus de 20 ans et c’est endémique. On constate systématiquement entre les quartiers résidentiels et les quartiers populaires un écart de 20 à 25 points de participation quelle que soit la mobilisation globale. C’est énorme, quasi insurmontable si on rajoute les dégâts démocratiques provoqués par les mandats Macron ! Il y’a beaucoup de choses qui se comprennent et d’autres qu’il est beaucoup plus difficile d’appréhender rationnellement ! Oui le recul de l’état dans nos quartiers, les crises démocratiques, écologiques et sociales qui se potentialisent dans ces territoires et aboutissent à une vraie impasse démocratique expliquent en partie cette situation. Pourtant, Comment ne pas être affligé par un bureau qui vote à 16 et 17% des inscrits à cette législative ?

 

Nous avons fait une campagne militante d’une rare intensité, enthousiaste, collective, inclusive, profondément humaine et populaire ! Nous avons visité des centaines de cages d’escaliers, nous avons collé, nous avons fait des réunions thématiques, rencontré des dizaines d’assos et d’acteurs associatifs. Nous avons expérimenté des prises de paroles spontanées ou en cortège au cœur même de nos quartiers…Tout ça nous l’avons fait et nous avons progressé entre le 1er et le 2ème tour de 4000 voix (et sans report ou réservoir de voix traditionnel). Ces voix nous sommes allés les chercher…mais ça n’a pas suffi. Face à la mobilisation automatique du bloc d’extrême droite et aux atermoiements décadents de LREM, il nous en fallait 6500. Difficile mais pas impossible. Si la participation monte de 7 points dans les bureaux de vote des QP nous redevenons majoritaire malgré le cynisme du découpage électoral et le relativisme imbécile et mortifère.

 

Comment y parvenir ? En ré-enchantant la politique ! Le programme partagé de la NUPES, l’union de la gauche et des écologistes et la campagne de Jean Luc Mélenchon participent de ce travail qu’il faut continuer et amplifier ! Dans tous les bureaux de vote des QP nous avons progressé entre le 1er et le 2nd tour grâce à la popularité de JLM. Cette progression nous la constatons aussi dans les bureaux mixtes (socialement) grâce à l’unité de la Gauche. Et c’est très encourageant !

 

Pour autant il va aussi falloir effectuer ce travail de discussion et de persuasion des classes populaires. Trop souvent, pendant cette campagne et les autres, je me suis entendu dire : « voter ? ça va changer quoi pour moi ? », « Vous venez que pendant les élections et après on ne vous voit plus… » ! Comment répondre à ces interpellations ? En parlant de ce qu’est la politique. Il faut évidemment déconstruire la relation utilitariste/individualiste/clientéliste en expliquant que nous faisons société ! Que l’enjeu d’une élection est un enjeu collectif, commun ! Que celui-ci ne peut pas simplement s’examiner à l’aune de l’intérêt personnel. Expliquer que selon les projets, les impacts sur la vie des gens ne sont pas les mêmes et que si rien ne change c’est parce que justement ce sont celles et ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change qui sont systématiquement élus et réélus! Expliquer aussi que rien ne se fait sans un minimum de mobilisation citoyenne. Les élus du RN qui détestent les habitants des QP ne se mobiliseront jamais pour eux ! Les élus de droite (LR et LREM) méprisent cette partie du peuple et examine cyniquement les taux de participation. Dans leurs logiciels il est inutile de se battre pour des bureaux de vote (et donc des territoires et des habitants) qui n’ont aucun impact sur leur élection ou réélection ! Participer massivement à un scrutin c’est imposer un rapport de force qui oblige les responsables politiques à intervenir pour ces quartiers.

 

Mais il faut aussi se poser la question de l’engagement citoyen. L’abstention n’est pas une notion à détacher de l’individualisme (pardon pour le côté psychologisant). J’en veux pour preuve les mobilisations et les luttes des quartiers populaires ! Dans les quartiers les assos de locataires se démènent sans moyens, sans aides et souvent sans soutien des habitants du quartier ! A chaque fois la force et la dynamique de ces luttes ne repose que sur quelques individus (souvent des femmes) qui se tuent à la tâche pour faire face aux mauvaises conditions de vie, aux inégalités et aux injustices ! Ces personnalités admirables y laissent souvent leur temps, leur argent et leur santé ! Tout comme les militants politiques d’ailleurs ! Je crois en cette convergence des profils et des luttes pour mobiliser les citoyens et ré-enchanter ce rapport à la politique par le biais de toutes ces victoires à venir : luttes de quartier, luttes syndicales et luttes politiques pour combattre l’abstention et susciter des vocations militantes. En attendant sur la 1303, comme dans d’autres circos populaires, l’abstention ne se traduit que par un suicide électoral. Ou pour parler balistiquement, elle ne correspond qu’a un tir à bout touchant de temporal à temporal opposé…

 

Mohamed Bensaada

LFI/NUPES -13/14

 

Commentaires

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  1. Tarama Tarama

    “Cette extrême droite réactionnaire, raciste, islamophobe, homophobe, phallocrate et anti républicaine est un outil de stratégie électorale, un outil de lutte contre le seul projet qui inquiète Macron : la gauche”.

    Oui, le FN est pain béni pour Macron. Il assure son élection et sa réélection.
    Qui a pu croire un seul instant qu’il ferait quelque chose pour diminuer son emprise est un idiot.

    Le FN lui permet de se présenter comme un humaniste, le FN tire toute la société vers la droite. Désormais, une proposition vaguement social-démocrate est taxée “d’extrême-gauche” (et est renvoyée dos à dos avec le péril d’extrême-droite).
    C’est pour cela que ses idées inondent et dégueulent des CNews et autre BFM. C’est le projet.

    Il ne faut pas oublier que le régime favori des néolibéraux de Thatcher et compagnie, dans les années 80, était le Chili de Pinochet.

    Vous avez vraisemblablement fait une belle campagne, pour mobiliser 4000 électeurs de plus entre les deux tours, dans des quartiers où on a toutes les raisons de ne pas avoir envie d’aller voter.

    Mais que vaut l’énergie militante face à la puissance médiatique des milliardaires que nous affrontons, dont les chaînes ne servent qu’à promouvoir l’individualisme, le désengagement, quand ce n’est pas la haine de l’autre…

    Vous avez du courage.

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  2. Félix WEYGAND Félix WEYGAND

    Honneur à vous Mohamed Bensaada et Bénédicte Gomis, ainsi qu’aux militant-e-s qui vous ont accompagnés ! Votre échec me fait de la peine mais ce que vous avez fait, vous l’avez bien fait, ne baissez pas les bras.

    Ce n’est pas pour faire l’ancien combattant : je me souviens du tract que j’ai distribué à Frais-Vallon et au Petit Séminaire le 11 mai 1981, je me souviens de ma campagne électorale aux législatives de 1997 (comme suppléant de Francis Caccintolo, PCF), et bien sûr de la douzaine d’années (2001-2015) où j’ai été moi même élu du coeur du 13e arrondissement, je peux partager quelques constats :

    1°) La capacité des classes populaires a s’emparer du vote pour défendre leurs intérêts n’était pas terrible dès le début, mais je l’ai vue s’effriter continuellement au fil de ces années. Ce ne sont pas seulement les dernières années qui expliquent l’abstention, c’est un processus de long terme.
    2°) Le seul frein que j’ai vu réellement résister au désintérêt pour le vote à été l’implantation historique de la “contre-société” que le PCF avait construite jusqu’à ce que ce modèle s’effiloche à partir des années 70. C’est la pyramide des âges qui a épuisé ce frein.
    3°) Je n’ai vu qu’un rebond : 1994 (J’étais directeur de campagne pour Marseille de la liste “l’Autre politique” conduite par Jean-Pierre Chevènement) ; les quartiers ont voté massivement … pour la liste Energie Radicale conduite par Bernard Tapie !
    4°) Seul le clientélisme a marché durablement pour faire voter les quartiers. Il fournit immédiatement quelque chose à celles et ceux qui en ont besoin : un logement HLM, un emploi, une subvention pour une association… (sans parler du pire en matière d’achat de voix).
    ————–
    Sans lapin sorti du chapeau (Tapie), ni ressources permettant le clientélisme, le chemin à parcourir va prendre des décennies, mais c’est le seul chemin. Il vous appartient de former les futures générations de militant-e-s et de cadres politiques issu-e-s des quartiers.

    Courage ! Vous en avez effectivement beaucoup !

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    • Alceste. Alceste.

      Je vais être dur cher Félix , mais les politiques sont plus que quelques fois décalés.Tracter est bien,cela fait partie de la panoplie électorale.Mais soyons realistes,ce qui intéresse les gens les plus pauvres,pardon modestes,c’est la fin du mois,la place en crèche, l’appartement attendu.Le reste ils s’en fichent royalement et cela peut se comprendre.
      Alors la conscience politique,trois petits points et puis s’en vont.L’episode Tapie en étant le plus significatif. Sa profession de foi : tu veux l’appartement,pas de problème et en plus deux places au stade aouf.

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  3. Félix WEYGAND Félix WEYGAND

    Cher Brallaisse,

    Bien sûr, quand on est pauvre, dominé économiquement, socialement et culturellement, les contraintes de la fin du mois préoccupent plus que des perspectives politiques nécessairement plus lointaines et abstraites.

    Pour autant l’émancipation économique, sociale et culturelle, avec l’amélioration de la situation matérielle qui l’accompagne, passe par le politique.

    C’est bien pour cela que le travail des militant-e-s progressistes est d’abord un travail d’éducation visant à donner des perspectives collectives et à concevoir les moyens de les réaliser.

    Les partis y compris de gauche s’étant progressivement transformés en écuries de courses à la présidence, il appartient maintenant aux militant-e-s de gauche d’aujourd’hui de reconstruire à neuf une organisation politique pouvant remplir ce rôle éducatif et programmatique.

    Pour les classes populaires une telle organisation est indispensable et c’est un préalable. C’est un travail de longue haleine mais je ne doute pas que des personnes comme M. Bansaada et B. Gomis l’ont déjà bien entamé.

    C’est pour cela : Bravo à eux et bon courage !

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