Vendredi 30 juillet 2021

Aucun champion n’est plus fort que son sport

Billet de blog
le 31 Juil 2021
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Deux méga-stars, Novak Djokovic et Teddy Riner, ont vu leur rêve olympique s’évanouir. Les défis qu’ils s’étaient lancés étaient très risqués, mais ces défaites les rendent plus humains. Leurs disciplines sont impitoyables pour ceux que le doute effleure.    

Teddy Riner est passé à deux doigts de créer une légende. Le judoka français était probablement le plus fort du lot, ce qui ne l’a pas préservé d’une défaite évitable, provoquée sans doute par un excès de confiance et une préparation trop dispersée.

Elle n’était pas imprévisible : son vainqueur en quart de finale, Tamerlan Bashaev, champion d’Europe en titre et vice-champion du monde, est le n°1 du classement mondial, que le judo a institué depuis quelques années. Pas n’importe qui. Mais, comme accablé par le poids de cette victoire, le Russe n’est pas allé jusqu’au titre et il s’est retrouvé au côté de Riner, sur la 3e marche du podium.

L’adversaire japonais, Hisayoshi Harasawa, préparé depuis des années dans le but exclusif de battre le champion français, n’a pas su profiter non plus de l’ouverture du tableau. Et le combat pour la médaille de bronze a tourné à sa confusion. Intelligemment, Riner s’est adapté à la situation, a évité de déclencher les attaques attendues par son adversaire, et a mis en évidence sa passivité que les arbitres ont sanctionnées jusqu’à l’élimination.

La finale de la catégorie a donc permis au Tchèque Lucas Krpalek, ancien champion du monde et d’Europe, de s’imposer au Géorgien Guram Tushishvili, au palmarès équivalent. Il est douteux pourtant que ces deux valeureux judokas parviennent un jour à atteindre la même gloire que Teddy Riner.

Le colosse guadeloupéen demeurera dans les cerveaux de tous les prétendants au titre olympique pendant les trois années à venirs, puisqu’il a laissé entendre que sa carrière se prolongerait jusqu’à Paris. S’il s’en montre capable, un troisième titre en cinq éditions des Jeux ferait de lui à la fois le meilleur judoka de l’histoire, et le plus grand champion de l’histoire du sport français. Quoiqu’il arrive, sa carrière et son charisme imposent déjà l’admiration.

Les puristes du judo contestent parfois ses escapades hors du champ limité de la discipline, et lui reprochent un activisme économique peu conforme à leurs yeux à la philosophie créée par Jirogo Kano. Mais le père fondateur du judo était autant un formateur qu’un combattant et il voulait que la “voie de la souplesse » forme des individus exemplaires. La discipline n’a pas à rougir du pouvoir exercé par Riner, qui illustre parfaitement l’ouverture souhaitée sur le monde entier, et renvoie au judo autant de bienfaits qu’il en a reçus.

Il n’est pas possible d’établir la statistique sur l’instant, mais il ne serait pas surprenant que Teddy Riner soit déjà en 2021 parmi les combattants qui ont obtenu le plus grand nombre de victoires individuelles dans les tournois olympiques, derrière le lutteur Wilfried Dietrich (cinq fois médaillé olympique de 1956 à 1968), parmi les autres multi-médaillés de l’escrime, la boxe ou la lutte. S’il s’imposait à Paris, il n’aurait pas de rival à cet échelon non plus.

Au même moment, le tennisman Novak Djokovic n’a pas pu aller au bout de son projet gargantuesque : avaler tour à tour les quatre tournois du Grand Chelem, et les JO de surcroît, ce qui n’a été réalisé que par l’Allemande Steffi Graf en 1988, à l’occasion du retour du tennis dans le programme olympique.

Après ses victoires à Melbourne, Roland-Garros puis Wimbledon, le champion serbe avait hésité à se rendre à Tokyo. Puis il s’y est engagé, en simple et en double mixte. Alors que ces titres lui semblaient promis, il les a laissé s’échapper tous les deux en demi-finales.

Sa défaite contre le jeune et talentueux Allemand Alexander Zverev remet en évidence une faille mentale qui a manqué de l’engloutir à plusieurs reprises par le passé et lors de cette saison. Il n’a pas su la combler cette fois avec son habituel et énigmatique passage par les vestiaires. Et n’est pas parvenu à redresser le déroulement du match quand celui-ci a commencé de lui échapper.

Djokovic n’est pas le plus populaire des trois rapaces qui ont englouti chacun vingt tournois du Grand Chelem, à l’opposé de Roger Federer et Rafael Nadal. Il a su rattraper le retard pris dans l’accomplissement de sa carrière, avec une volonté et une intelligence impressionnantes, une préparation physique ahurissante, et un petit soupçon de filouterie.

« Nole » a une perception particulièrement développée de l’histoire de son jeu et de la place qu’il y brigue. Mais la compétition olympique de tennis n’exige pas tout à fait les mêmes vertus qu’un tournoi du Grand Chelem. La fréquentation des stars d’autres sports, la coexistence au sein du village, l’adaptation permanente à des contraintes inattendues sont des dangers redoutables pour la concentration. L’ascendant psychologique que le Serbe exerce souvent sur ses adversaires, qu’il envoute peu à peu, est plus difficile à mettre en œuvre dans ces conditions. Et Djokovic le sait parfaitement, lui qui n’a jamais conquis qu’une médaille de bronze lors de ses trois participations précédentes aux JO.

Or Roger Federer, s’il a manqué le bronze en 2000, compte une médaille d’argent en simple en 2012 (battu par le Britannique Andy Murray qui, survolté devant son public, gagnait le premier de ses six grands succès), mais aussi un titre en double en 2008. Et Rafael Nadal savoure un titre en simple en 2008, et un autre en double en 2016.

Dans les anciens pays socialistes, comme la Serbie où Djokovic a grandi, l’emprise des Jeux est majeure et la célébrité qu’un titre olympique procure dépasse toutes les autres. Cette pression supplémentaire était peut-être clandestine, mais elle a probablement exercé des ravages dans le mental du Serbe, qui n’aura sans doute pas une nouvelle chance à Paris.

Alexandre Zverev a su briser le sortilège exercé par Djokovic sur les jeunes champions en devenir. Si la recette se répand, Djokovic pourrait même manquer la 4e levée du Grand Chelem, en septembre à New York, et la possibilité de dépasser ses deux rivaux (qui l’attendront de pied ferme) au compteur des victoires. Le passage par Tokyo pourrait alors s’avérer désastreux. Mais cette mésaventure permettre aussi au public de percevoir le « Djoker » comme plus aimable dans la difficulté qu’une simple machine à hypnotiser ses adversaires…

VIGNETTES

¤ Les JO sont un échec public pour le Japon, mais pas sportif. La judoka Akira Sone (21 ans) a obtenu le titre quotidien chez les plus de 78 kg en provocant la disqualification de la montagne cubaine Idalis Ortiz. Celle qu’en demi-finale, la jeune Française Romane Dicko n’était pas parvenue à simplement ébranler. Dicko n’en a pas moins obtenu une très méritoire médaille de bronze sur ippon contre la double championne d’Europe Kayra Sayit, née à Fort-de-France et devenue Turque après son mariage.

¤ En aviron, le titre du skiff (seule épreuve individuelle) est revenu de manière inattendue au Grec Stefanos Ntouskos. Pas de surprise en revanche au 10 000 m qui inaugurait les épreuves d’athlétisme : l’Ethiopien Selemon Barega s’est imposé au sprint devant deux Kényans (grâce à la « mine » du roi Selemon ?). Le Corse Mohrad Amdouni, champion d’Europe 2018, a terminé 10e. On le reverra sur le marathon.

¤ Echec dans la chasse aux médailles des Français en BMX, malgré la présence de quatre qualifié(e)s parmi les seize finalistes. Comme à Rio. Performances en demi-teinte dans le slalom du kayak monoplace et en escrime, où l’épreuve de l’épée par équipes a été chipée aux Tricolores par le Japon qui obtient ainsi un premier titre qu’on aurait plutôt attendue au sabre…

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